Une bête au Paradis : terre et folie

Une bête au Paradis : terre et folie

Une bête au paradis : terre et folie, passions et deuil. Le roman de Cécile Coulon nous balade d’exultation en désespoir sur la grande roue de la “nature humaine”.

Coupe carrée, couleur “blanc spring/summer 2019”, Cécile Coulon pose en blouson de cuir et peau de mouton retournée pour son dernier livre, un huit clos dans une campagne à vif.
Le look nous rend suspicieuse “Une bête au paradis” serait-il un roman tendance sur les neo ruraux en Chevignon ?

Loin de là ! Très loin !

On commence et on termine la lecture avec le cochon, sorte de Centaure revisité.

Ainsi Blanche, l’héroïne, perd sa virginité le jour où l’on égorge la bête. La plainte de mort de la bête se mêle à celles des vertiges d’Eros qui emplissent la chambre de la jeune fille. Une chambre qui s’ouvre sur un arbre centenaire tapissant, l’automne venu, le sol d’un tapis de feuilles sang.
Car il est aussi beaucoup question de sang dans le livre : le sang des créatures mortes, vivantes ou entre deux mondes.

Pitch

Émilienne élève ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel, après la mort accidentelle de sa fille.et de son gendre.
Blanche c’est la belle, la solide, la résiliente. Celle qui est enracinée dans une terre qu’elle “aime à la folie” et dans sa ferme baptisée “Le Paradis”.
Gabriel en revanche semble flotter, vivre en pesanteur déchiré à jamais par la perte.

Émilienne apprend à Blanche les gestes précis pour tordre le cou des volailles, pour relever la l’eau des lapins comme une chaussette, pour nourrir les cochons. Des choses de tous les jours, des choses de paysannes.

La grand-mère recueille aussi Louis, enfant battu par son père, et lui apprend le métier de commis. Commis, il le restera toujours, ne fera jamais partie de la famille ne sera jamais un ami. Question de sang et de rang.

Les choses se compliquent quand Blanche s’éprend d’Alexandre si beau, si charmant.
Alexandre c’est le double “négatif” de Blanche. Il vit avec ses parents mutiques, résigné dans une toute petite maison, une maison toute juste tout près de la route.
Après le bac, le beau gosse du village décide de partir, de fuir ce monde étriqué pour tenter sa chance à la ville.
Blanche vit ce choix comme une trahison et un nouveau deuil.
Elle se replie sur sa terre et ses souvenirs.
Douze ans plus tard Alexandre revient et c’est le drame. Paradoxalement seul Gabriel, le plus fragile, s’en sortira.

La campagne, le corps de femmes

Malgré quelques maladresses, Céline Coulon décrit magnifiquement la vie de la terre, ses paysages comme ses habitants.

Elle poursuit son travail de mise en perspective campagne- ville. Une ville attrayante et souvent seule perspective d’avenir mais une ville qui grignote peu à peu la vie paysanne et villageoise avec ses routes- lacets de goudron – et ces pavillons clonés.
Sous cet éclairage on se demande alors qui est la Bête du roman, la femme “folle” ou la petite main de la folle spéculation.

L’auteurE parle également du corps des femmes qui selon la grand mère Émilienne ressemble à une ville alors que celui des hommes, moins sujet aux transformations, reste un village. À la manière d’une entomologiste Cécile Coulan observe les métamorphoses dues du travail : les dos qui se voutent, les mains comme des racines d’arbres. Plus intimement, elle parle du plaisir et de la douleur. “Ça m’a fait mal comme quand je me suis brûlée avec une braise” explique ainsi Blanche à propos de sa première fois. La séquence où elle voudra éteindre ses braises sous un jet glacé et gratte son sexe jusqu’au sang pour effacer le plaisir venu d’Alexandre est l’une des plus fortes du livre.

Une bête au paradis : terre et folie

Car là où Céline Coulon donne le meilleur d’elle-même est le champ passionnel.
Elle habite et dissèque l’humanité et la “bestialité” de chaque personnage.
Les moments où Gabriel doit se vider de la mort ou celui où Blanche se transforme en bête nous plongent dans une ronde de folie, écaillent le vernis de la civilisation.

Une bête au paradis est un roman puissant sur la terre, les passions, la folie, le deuil. Il nous balade d’exultation en désespoir sur la grande roue de la “nature humaine”.

Une bête au paradis : terre et folie
Une bête au paradis
Céline Coulon
Édition L’iconoclaste
https://www.editions-iconoclaste.fr

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