Exposition Greco : Guillaume Kientz “Greco échappe à tout sauf à l’admiration”

Dans le cadre de l’Exposition Greco au Grand Palais, Finelife TV a interviewé le commissaire, Guillaume Kientz. Pour lui “Greco échappe à tout sauf à l’admiration”.

= Léonore Cottrant : Comment expliquez-vous l’intensité du regard et l’expressivité des mains chez le Greco ?
Guillaume Kientz : Greco est un peintre qui cherche à donner une force expressive à ses tableaux et la force expressive passe par la couleur, la touche, la composition mais aussi par la gestuelle.
Si vous me permettez un aparté je dirais que quand Picasso fait “Le Repas Frugal” par exemple il reprend complètement les mains mêlées de Saint-Paul et de Saint-Pierre de Greco. Il a compris ce que le peintre apportait à la gestuelle.

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L’intensité du regard s’explique également par la recherche de tableaux expressifs qui sortent un tout petit peu de leur cadre.
Cette intensité tient en bien sûr aussi à la formation byzantine. Quand on peint un art où il y a des Pantocrator effrayants cette intensité surnaturelle on s’en souvient.

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LC : Les yeux et la gestuelle du Greco expriment un profond humanisme. Que pouvez-vous nous en dire ?
GK : Greco est avant tout un peintre humaniste. Il peint des tableaux religieux parce que c’est la nature même de l’art de son époque. C’est un peu comme peindre un tableau abstrait quand on est au milieu de l’abstraction.
C’est logique, c’est normal, c’est la commande, c’est le goût.
Mais ce qui le différencie peut-être dans son art c’est cet humanisme qui lui donne une ambition très haute de la peinture. La peinture ne se résume pas à la représentation illustrée des histoires Saintes ou des histoires profanes. La peinture est un langage, un discours, une force rhétorique. La peinture est performative. Personne jusqu’alors n’avait poussé cette idée aussi loin que lui et personne ne le fera jusqu’aux Modernes.

LC: Justement quel est l’héritage de Greco ?
GK : Je pense que deux choses séduisent les Modernes.
En premier lieu, l’approche sérielle. Gréco travaille avec des inventions ensuite il varie, réinvente, reformule un peu comme Cézanne avec “La Montagne Sainte Victoire”, Van Gogh et ses meules, Monet et ses nymphéas ou ses cathédrales. Cette oeuvre en perpétuelle évolution et réinvention est quelque chose de tout à fait nouveau qui entre en collision avec les expectations et les pratiques que les Modernes sont en train de développer.
La deuxième chose et la similarité des situations.
Quand Greco arrive en Italie le pays traverse deux crises, celle du style et celle de l’image.
Celle du style vient du fait que les grands maîtres de la Renaissance sont morts ou en train de mourir. Il faut lui donner un nouveau souffle.
La crise de l’image s’explique par le contexte politique. Le concile de Trente vient de réformer l’ Église et de statuer sur la question des images pour donner plus d’importance aux images notamment aux images sacrées.
Les Modernes sont dans la même situation.
Il y a la question du style. Après un siècle d’académisme un peu étouffant il faut aussi réinventer ce qu’est le style en peinture.
Cette question de la liberté, de l’individualité stylistique se pose parallèlement à la question de l’image avec l’invention de la photographie. La peinture doit aller au-delà des apparences. Il faut faire de l’outre-peinture et je crois que les Modernes ont compris que Greco avait déjà commencé cette quête d’une peinture qui va plus loin que les simples apparence qui est justement performative.

LC : Comment expliquez-vous que Greco ait peint des figures si “mouvantes”, si étirées en plein XVIe siècle ?
GK : Je pense que ce que Greco veut faire avant tout dans ses tableaux est de montrer qu’une image n’est pas une image statique. Pour lui l’image est réellement un instrument spéculatif, un outil de connaissance du monde. Or le monde n’est justement pas une réalité statique. C’est une entité mouvante qui a une températur qui change, une durée que l’on peut calculer, ressentir. Le monde a des couleur qui changent, qui surprennent.
D’une certaine manière son approche est un peu similaire à celle de Monet avec les nymphéas. Monet peint la nature quand il peint les nymphéas mais quand on les regarde on se rend compte que les fleurs ne ressemblent pas à des nymphéas mais expriment ce qu’elles sont. Et bien le rapport de Greco au réel est semblable. La peinture n’est pas là pour imiter seulement les apparences mais pour les exprimer.

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LC : Comment le Greco est-il arrivé à créer sa palette si particulière de jaunes acides, roses intenses, verts anis, bleus électriques sur des fonds gris sombres, des clairs obscurs ?
GK : L’agencement des couleurs chez Greco est vraiment l’enfant de sa trajectoire inédite.
Dans la peinture crétoise byzantine il y a une économie de la couleur. On aime les choses très monochrome. À Venise en revanche il découvre une palette de couleurs extrêmement chaude. Ensuite à Rome il va être confronté à des couleurs plus acides, plus clivantes, tranchantes. Tout cela va pouvoir s’exprimer à Tolède où il va inventer une palette dont il a le secret. Cocteau dit une phrase que l’on cite dans l’exposition “Ces jaunes et ces rouges qu’il est le seul à connaître”. C’est exactement ça ! On peut même reconnaître un tableau de Greco à sa couleur. Il a vraiment voulu faire des œuvres signature des offres marque. Greco n’est pas qu’un nom, c’est un univers.

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LC : Dans cet univers on trouve des références aux gueules de l’enfer de Bosch. C’est assez anachronique au regard de son parcours ?
GK : Il a sans doute vu des tableaux, des gravures de Bosch au couvent de l’Escorial (NDLR : le grand monastère voulu par Philippe II le roi d’Espagne). Les expos c’est fait pour ça, faire des rencontres. Je ne pense jamais avoir lu un texte sur Gréco et Bosch.

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LC : Concernant le public dans quel esprit avez-vous conçu cette exposition ?
GK : Je crois que Greco est un artiste que l’on croit connaître à travers ses images les plus célèbres. Ce que j’ai voulu faire dans cette exposition est d’organiser une rencontre entre le public et le peintre en allant au-delà de ces images. Le piège dans lequel le Gréco est un peu tombé est que ses tableaux sont tellement forts qu’ils font image. D’une certaine manière on peut se contenter de les regarder dans des livres et se dire “bien, c’est ça c’est toujours pareil”. Non ce n’est pas toujours pareil. Ce n’est pas toujours pareil même s’il se répète sans se varier c’est toujours nouveau Et ça, il n’y a que le rapport direct avec la peinture qui peut le donner à voir.
La scénographie très épurée pour laquelle nous avons optée invite à un regard contemporain.
Greco échappe à son siècle, à son pays. Il échappe à tout sauf à l’admiration.

Guillaume Kientz, l’un des deux commissaires de l’exposition Greco au Grand Palais avec Charlotte Chastel-Rousseau, est commissaire et directeur des collections européennes au Kimbell Art Museum de Fort Worth.

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Credits photos RMN et Finelife TV

Greco
Grand Palais
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