L’Épopée du Canal de Suez : utopie, désir, domination
Trompettes d’Aïda, maquettes géantes, répliques modelisées de navires, extraits de films, tableaux, journaux comme l’Illustré, photos, robe d’amazone de l’impératrice Eugénie, l’exposition « L’Epopée du Canal de Suez » se veut immersive et convoque tous les médias.
Le parti-pris des curateurs est de partir de l’inauguration en 1869 puis de remonter le temps des pharaons jusqu’à l’agrandissement du canal en 2015.
L’inauguration : vivante réplique des cérémonies de 1869
La salle de l’inauguration offre une rétrospective très vivante de l’événement et de ses fastes.
Au milieu de la pièce, trône la maquette de la cérémonie. On y voit les trois pavillons d’honneur, celui réservé aux invités de marque -têtes couronnées, ingénieurs, diplomates …-, celui dédié aux dignitaire chrétiens et le dernier abritant les représentants de l’Islam.
On remarque le fort, symbole de modernité et d’ancrage dans la civilisation occidentale. Également les eaux pales du fleuve et le désert blond tous deux investis par l’homme, preuves d’une nature domestiquée.
Car l’époque vénère un nouveau dieu ; le progrès scientifique gage de paix et d’épanouissement. Elle sanctifie par ailleurs le commerce dont la prospérité passe par la meilleure circulation entre la Méditerranée et la Mer Rouge.
Une vidéo commentée par Frédéric Mitterrand nous plonge dans une atmosphère de banquets et de fêtes.
Une autre maquette, celle de l’Aiglon, le navire qui amène l’Impératrice Eugénie, venue sans son mari souffrant, rappelle l’expédition bonapartiste de 1798. Le portrait d’Eugénie, comme sa robe d’Amazone racontent les expéditions le long du Canal.
L’isthme ; objet de désir
Passée cette première salle où résonnent les trompettes d’Aîda, opéra commandé à Verdi par Ismaïl Pacha, le Khévive, pour les réjouissances inaugurales, on monte un escalier à rembobiner l’histoire.
L’isthme de Suez est depuis des millénaires objet de désir.
Pour le pharaon Sésostris 1er, vers 1950 avant J-C, il s’agissait déjà de faciliter le transport de marchandises. En aménageant un bras du Nil, on pouvait transporter par barque antique 300 fois la charge d’un âne.
Une maquette de bois créée pour l’occasion nous transporte dans l’antiquité égyptienne commerçante.
L’exposition montre les différentes tentatives de jonction entre deux mondes.
Un superbe tableau dépeint la proposition vénitienne pour contrer la nouvelle route maritime ouverte au XVIe siècle par Gasco de Gama via le cap de Bonne Espérance. Proposition refusée par le Sultan.
L’exposition se poursuit par les utopies saint-simoniennes – croquis des costumes, portraits- puis s’arrête sur la période Ferdinand de Lesseps, l’aristocrate diplomate qui a concrétisé le projet.
Le prix de l’utopie
À quel prix ?
L’opinion internationale s’émeut de la corvée. Traditionnellement les paysans Egyptiens doivent s’acquitter de jours de travail sans solde. Une pratique qui empreinte à l’esclavage et au servage.
Un extrait de film montre des hommes et des enfants creuser le désert à coups de pioche. On parle de centaines de milliers de « réquisitionnés ».
Le scandale cesse avec l’arrivée de machines dont on voit une réplique modelisée.
Le Khévive s’endette pour les travaux propres au chantier mais aussi pour des réalisations annexes. Le pays, surendetté devra céder l’exploitation du Canal aux puissances occidentales.
Exotisme et commerce
Maquettes de navires et affiches de croisières témoignent de l’intérêt pour le lointain. L’attrait pour l’Orient Extrême culmine dans les années 20. Aller aux Indes par Suez c’est hype ! Filer à travers le désert sur les traces du mythique Lawrence d’Arabie ce n’est pas mal non plus. Les organisateurs de l’exposition ont acquis à prix d’or un fragment du film hollywoodien.
À noter, la scénographie de cette partie de l’exposition. Lumière cuivrée, bancs adossés à des poutres, poutres-poulies, on se croirait sur le pont d’un navire.
Moins glam mais aussi lucratif, le trafic commercial s’intensifie. Des panneaux indiquent les augmentations de tonnages.
Il est aussi intéressant de regarder les photos d’époque retraçant le changement architectural des villes du Canal.
Une série de statues retient l’attention. Bartholdi avait proposé de couronner le fort d’un statue de paysanne égyptienne éclairant la route du fleuve. Retoquée, elle ira éclairer le monde à New-York en devenant la statue de la Liberté. Changement d’échelle donc. Et plus grande stabilité.
Le canal : symbole d’indépendance et terre de guerre
Le canal de Suez et le Sinaï voisin vont être source de guerre et de turbulences.
Nasser le nationalise après le refus américain de financer le barrage d’Assouan. Deux films illustrent ce moment d’histoire. L’un reprend le discours du leader indépendantiste, l’autre la stratégie mise en place.
Cartes, documents audiovisuels et ITV de témoins retracent les guerres de 1956, 1967 et 1973.
L’exposition s’achève sur les travaux d’agrandissement du Canal en 2015.
D’autres défis guettent ce morceau d’histoire : la construction de routes polaires. Routes qui, comme le souligne Michel Serres sur les images d’un voyage en 3D, constituent « des menaces pour la biodiversité et un facteur d’aggravation du réchauffement climatique ».