Hans Hartung – MAM : abstraction jubilation
Hans Hartung – MAM : abstraction jubilation pourrait être un bon titre pour l’exposition.
Dès l’entrée, menton bravache, regarde direct, l’autoportrait est à l’ image de l’artiste : un défi.
Inspiré par la force et l’énergie des signes de Rembrandt, celui qu’on encense comme un grand précurseur de l’abstraction casse son image en pleine gloire et préfigure, au début des années 60, le Street Art à coup de spray, aérosol, pistolet de carrossier.
Le musée d’Art moderne consacre une rétrospective à cet aventurier du geste qui pose des paysages à l’abstraction atmosphérique sur des supports battus, griffés par une panoplie d’instruments choisis dans son atelier-cabinet de torture pour toiles & co. Un brin sadique Hans Hartung ?
Le MAM a choisi 350 œuvres environ et des documents en abondance (catalogues, épreuves, journal d’atelier, correspondance avec critiques et artistes …)
La scénographie toute en courbes ondule comme pour suivre les pérégrinations artistiques de l’artiste autour de quatre thématiques chronologiques et en écho avec l’histoire.
Mais au fait qui est Hans Hartung ?
Celui qui sera l’un des chefs de file de l’art abstrait nait en 1904 à Leipzig où il suit des études de philosophie et d’histoire de l’art tout en se passionnant pour la photo, les sciences. Deux domaines qui marqueront fortement son œuvre. L’exposition montre de nombreux clichés sélectionnés parmi les 15 000 en stock. Hans Hartung n’était pas un économe du clic. Il avait, comme en peinture, la gestuelle généreuse et maîtrisée. L’exposition isole ainsi son travail d’une journée -le 29 mars 1977- : une succession en jaune et noire de 14 œuvres sur cartons ! Prolixe HH !
En 1922, les premières aquarelles marquent le début une carrière de près de 70 ans. La décennie suivante il prend les distances avec le cubisme et le surréalisme et forme son vocabulaire.
En 1939 il épouse la peintre norvégienne Anna Eva Bergman dont il divorcera avant de reconduire leur union en 1952. Son côté sériel ?
Opposant au régime nazi, il fuit l’Allemagne et s’engage comme brancardier dans la Légion étrangère où il est blessé puis amputé d’une jambe. Cela ne l’empêche pas de rebondir à la Libération. Hans Hartung est un grand résilient.
Son talent explose comme son énergie. Ainsi en 1960 il reçoit le Grand Prix de peinture de la Biennale de Venise. Les manifestations prestigieuses se succèdent. Hans Hartung change alors d’orientation et explore de nouveaux horizons graphiques. Frondeur toujours !
Il meurt le 7 décembre 1989.
Son dernier tableau 11989-Rio date du 16 novembre.
L’exploration de la peinture a été fougueuse, éclatante et ultime.
Transversalités
L’exposition du MAM est ponctuée de transversalités : la céramique, l’œuvre gravé, les ateliers (passionné d’architecture Hans Hartung a conçu ses ateliers successifs à Minorque, Paris, Antibes) et la photo À côté des portraits, les expérimentations sur le ciel, les nuages, l’eau, les branches … témoignent d’un intérêt surprenant pour la nature même à travers le prisme techno.
Les « 4 périodes Hartungiennes »
Les quatre temps scénographiques correspondant aux 4 périodes « hartungiennes » d’une quête du geste et de sa « fabrique ».
« À la recherche de l’abstraction » couvre les années 20 et 30. Hartung est très tôt touché par l’expressionnisme allemand mais aussi par Rembrandt et Goya dont il « interprète » les portraits notamment en cerclant les traits de noirs et en ouvrant d’immenses yeux écarquillés.
Il initie la méthode qui va caractériser son travail jusqu’en 1960 : le report d’après la technique du carreau. Les aquarelles abstraite des années 20 mêlent les tâches de couleurs (tachisme) -qui semblent se rendre visitent- aux traits et courbures calligraphiques.
Ses fondamentaux vont s’affirmer dans les années 30 parallèlement à l’affranchissement de toute école. Hartung travaille, approfondit les guirlandes graphiques, grilles ou barreaux qui mettent en tension les toiles d’aplats colorés. Dans cette invention de l’abstraction Hartung est seul avec un souci de maîtrise mathématique. Le geste « lyrique », la poussée vitale. émotionnelle est soigneusement préparée.
« Le discours pictural sur la méthode » s’étend sur les deux décennies suivantes.
Après la guerre, l’abstraction dite lyrique commence à irriguer le monde de l’art. Hans Hartung est en bonne place, il fait figure d’initiateur. Un initiateur qui poursuit ses recherches meurtri par l’exil et l’amputation. Des blessures qui donnent à ses œuvres une profondeur humaine au-delà de la l’élégance esthétique et du caractère novateur de l’œuvre.
L’activité sérielle comme la production s’accélère, Des centaines d’œuvre sont réalisées à l´encre au milieu des années 50. On peut parler de laboratoire d’images. Les formats s’agrandissent, la calligraphie s’incruste sur des fonds colorés.
À la fin des années 50 l’artiste travaille principalement sur papier selon une gestualité rapide qui annonce les grattages des années 60.
« Des gestes et des outils : la pulvérisation » rompt avec les étapes précédentes.
La gloire des années 60 s’accompagne en effet de ruptures et d’inventions majeures.
Hans Hartung s’adapte à son handicap en s’entourant d’assistants et en peignant directement sur la toile. Fin donc de la période fondatrice du report mais pas du questionnement sur la reproduction, sur l’original et la « copie » qui migre de support en support.
Le contact direct passe par la pulvérisation.
La pulvérisation, elle, passe par une série d’outils : spray, aérosols, pistolets de carrossier. Hartung est curieux des nouveautés techniques mais aussi bricoleur. Il imaginera plus tard une sorte de balayette faite de pinceaux multiples ou encore un balais dont les branches de genets – du jardin- fouetteront les cartons baryté. Tout est bon pour gagner de l’amplitude, pour libérer le geste d’un corps malade.
La palette des couleurs se limite à des tons froids où dominent le vert turquoise, le jaune citron le brun très foncé.
La superposition des couches permet un travail de grattage, de frottage, d’abrasion. Fascinant à regarder, le résultat est un immersif support à la méditation encore plus puissant dans les toiles de la dernière période.
Hans Hartung – MAM : abstraction jubilation
« Couleurs, grands formats : la jubilation de peindre »
Au fil de l’âge, de la maladie, du deuil.de la proximité de la mort l’œuvre évolue bers des formats de plus en plus grands et parfois stellaires. A l’Action painting succède une sorte de « Big bang painting ».
Dans les années 70, les couleurs éclatent à l’image de l’époque pop psychédélique.
Les outils se diversifient pour aller plus vite au plus profond. À côté du balais de genets qui frappe la toile, la serpette et la tyrolienne ou le pulvérisateur à vigne pulvérisent, grattent, abrasent.
À Antibes, Hartung dispose d’un atelier aux dimensions de PTE/PME. Les assistants préparent les supports, les bains acrylique noir,photographient, classent, répertorient. Ils sont pour beaucoup dans la constitution de la Fondation Hans Hartung – Anna Eve Bergman.
Plus la mort approche plus Hartung peint.
Philosopher est apprendre à mourir.
Hartung ne pouvait ignorer l’adage.
Peindre jusqu’au bout était peut-être une fronde, un défi pour pulvériser de la vie jusqu’à l’ultime.
Léonore Cottrant
Hans Hartung – MAM : abstraction jubilation
Hans Hartung
Musée d’Art Moderne de Paris
11, avenue du Président-Wilson,
75016 Paris
https://www.mam.paris.fr/
Crédits photos : FineLife Tv et Musée d’Art Moderne
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