Neurones les intelligences simulées : where is my mind ?

Neurones les intelligences simulées : where is my mind ? se demande-t-on lors de la visite de l’exposition organisée par le Centre Pompidou et l’IRCAM. L’histoire des sciences du cerveau et celle de l’intelligence artificielle y croisent documents et oeuvres qui jouent avec le devenir de la pensée ou le questionnent.

Where is my mind ? Dans le cerveau qui trempe dans un bac ou les coupes de Jack Burman fasciné par les morgues ? Dans la fresque mouvante de Refik Anadol Engram résultat du traitement, par une intelligence artificielle (algorithme), des souvenirs de 800 personnes ?
Nous avons voulu croiser des oeuvres avec l’histoire des neurosciences et de la neuro-computation” explique Frédéric Migayrou, co-commissaire de l’exposition “Neurones, intelligence simulées” et Directeur adjoint du Musée national d’art moderne.

Where is my mind ? s’interroge-t-on de plus en plus au fil de la visite.
Pour Aristote le cerveau, fait d’eau et de sable, ne valait pas grand chose face au coeur centre des sensations. Exit donc les Grecs ? Oui et non. Avec son monde des Idées, Platon avait pré figuré la dualité corps-esprit cartésienne fondement de la science occidentale. D’autre part, le réseau neuronal touche l’ensemble du corps donc le coeur d’Aristote. Fin de la parenthèse.

L’exposition rappelle qu’il faut attendre la Renaissance et les planches du grand Vinci pour entrevoir la complexité de “l’objet cerveau”, Les figurations anatomiques de Rembrand avec ‘La leçon d’anatomie du docteur Joan Deyman -1656-rejoignent, elles, les postulats de la philosophie cartésienne. Quant à l’observation d’un réseau neuronal, il ne se fera qu’avec l’avènement du microscope. “Enfin, l’affirmation du cerveau
comme système dynamique (Camillo Colgi, Santiago Ramón y Cajal) conduit à l’invention de nouvelles représentations du cerveau, comme la radiographie, les encéphalogrammes, ou la résonance magnétique, révélant la puissance de neurotransmission du monde cérébral” précise le dossier de presse.

Where is my mind ? Dans le cerveau donc. Voire au delà. L’US army et les penseurs de la beat generation se retrouvent curieusement sur l’idée d’une pensée étendue, stimulée par les psychotropes et la technologie. Aujourd’hui, les transhumanistes veulent caser la pensée dans une machine.
Where is my mind alors ? Réponse : dans the computer ?

De l’objet cerveau aux consciences augmentées en passant par le Cyberzoo

La partie épistémologique de l’exposition se divise en cinq thèmes, cinq graphes avec l’arbre en filigrane. De vastes tableaux d’images murales, de photomontages, se sérigraphies ponctuent chaque étape.

On commence par l’objet cerveau “L’histoire de l’IA est ancrée dans celle du cerveau” insiste Frédéric Migayrou.

Ensuite place aux jeux de décision issus des statistiques. Morpion, dames, échecs, les grands ancêtres de la comptutation comme Alan Turing ou Claude Shannon confrontent le cerceau humain à celui de la machine. Résultat : Deep Blue bat Garry Gasporov en 1997. Une simple affaire de logique ? Peut-être mais quand plus tard la machine surpasse le champion du monde de jeu de go basé sur l’intuition on réfléchit sur le deep learning et son encadrement futur.

Mite (Rorbert Wierner), coccinelles, tortues, renardes, l’exposition aborde la cybernétique à travers des robots non anthropomorphes. Les accros aux blockbosters américains (I.A de Steven Spielber etc) ou aux robot(e)s accort(e)s du CES de Las Vegas vont êtres déçu(e)s.
Dans une vidéo, on admire l’obstination désintéressée de la tortue de William Grey Warner. Pionnière de la voiture autonome, la tortue apprend à gérer les obstacles sans système de récompense. Une différence à méditer entre les modèles d’apprentissage machine-animal (joke !)

Next : les aventures psychédéliques du cerveau humain “augmenté” et les objets-machines qui servent cette extension (casques déments des 60-70es etc) se doublent d’utopies digitales dont la plus célèbre est le manifeste de la contre culture “The whole earth project”. Remarquons que ces anti-systèmes finiront dans la Silicon Valley ou inspireront les fururs Gafam (1). Récupération ou “vice” intrinsèque ?

Last but not least les arbres et les réseaux : un voyage de la classification aristotélicienne aux arborescences bayésienness en passant par le système de traitement massif des donnés (Big data).

Des oeuvres immersives, ludiques, inquiétantes

Intriquées à cette histoire du cerveau et de l’intelligence artificielle, les oeuvres (une cinquantaine) rivalisent d’esthétisme.
Une beauté que la commissaire Camille Lenglois veut incarnée et attractive “Les vies “neuronales” dans les trois aquariums soulignent la vulnérabilité, le caractère organique et la plasticité des synapses” estime-t-elle à propos de la série d’Hicham Berrada. L’oeuvre “Présage” se veut-elle un avertissement de l’artiste ?

Côte immersion on est happé par la vidéo Delusional Mandala de l’artiste chinoise Lu Yang. Sur une techno kitsh et hurlante des années 90 balancée dans un environnement futuriste saturée de couleurs, l’artiste fait subir à son avatar une suite d’expériences de types bad games bad trips.”Ici Lu Yang fait évoluer son avatar dans un univers contemporain dominé par l’intelligence artificielle, une chirurgie invasive, les stimulations permanente de l’image. Remarquée notamment à la Biennale de Venise en 2015 c’est une artiste à suivre. Je pense qu’elle va éclater dans peu de temps” croit savoir Camille Lenglois.

Plus loin on joue avec une installation qui nous ouvre un monde des filaments et on décortique Madam Repeateat le portrait de la Kenyane Wangechi Mutu. Les créatures hybrides mi-femmes mi -machines résultant d’une accumulation d’images découpées, collées et retravaillés renvoient à la violence faite aux femmes. Ces accumulations et détournements évoquent une version brutale et technologique des créations d’Arcimboldo.
On passe de la beauté torturée de Madam Repeateat à celle, ambigue, de tulipes changeant de formes et de couleurs au fil des variations des bitcoins.

Enchaînement “money-money” avec Jonas Lund qui conçoit l’oeuvre (sorte de peintures sur plexiglas) qui collera au plus près des attentes du marché de l’art.
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Ludique encore, Menace 2 , de Julien Prévieux, a la forme d’une commode d’apothicaire aux multiples tiroirs. Le principe est, en ouvrant les tiroirs et en utilisant des billes, de jouer au morpion un système d’apprentissage utilisé par les machines. L’artiste nous montre le fonctionnement d’un algorithme, d’une IA.

Une démythification qui ne doit pas rimer avec confiance béate.

En fin d’exposition, le Belge Maxime Matthys, se réapproprie les logiciels de reconnaissance faciale utilisés par les Chinois pour surveiller les minorités Ouïgours.” Participation”, son installation est glaçante.

Comme l’est l’algorithme éthique imaginé par Mathieu Cherubini pour déterminer quelle doit être le choix d’une voiture autonome face à un obstacle (femme avec poussette, cycliste etc). Réponse : le choix le plus “éthique” pour l’assureur sera le moins onéreux.

Le commissaire Frédéric Migayrou met en garde contre les fantasmes liés à l’IA. L’exposition montre d’ailleurs la richesse des utilisations des algorithmes dans les domaines du design ou de l’architecture. D’autre part, l’épidémie de Civid 19 a mis en évidence les limites des délires transhumanistes.
Reste, les oeuvres des artistes de l’exposition le soulignent, l’urgente nécessité d’une surveillance de ces outils voire d’une législation internationale.
Save my mind !

(1) Voir “The Valley” – une histoire politique de la Silicon Valley- le livre enquête du journaliste Fabien Benoit aux éditions Les Arènes

Neurones les intelligences simulées : where is my mind ?
Neurones, les intelligences simulées
Centre Pompidou
voir la vidéo sur le site du musée
https://www.centrepompidou.fr/

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