La vie Alaïa Donatien Grau révèle un couturier rhapsode

La vie Alaïa Donatien Grau révèle un couturier rhapsode. À la fois témoignage, ode et réflexion sur l’acte créatif, le livre donne une vision intime et inédite du petit homme en noir qui a laissé sa marque unique sur la couture. Très personnelle, l’approche de l’auteur tient néanmoins plus de la mythologie que de la biographie Bienvenue en bio-mythographie.

Oui, le livre est hagiographique et l’on soupire.
Oui, il règle des comptes avec Chanel et l’on sourit.
Oui encore, il fait dans le Whos’s Who et l’on s’agace.

Mais Donatien Grau ouvre le monde de son roi. On apprend mille choses sur le quotidien du très discret Azzedine Alaïa. Le nombre de ses costumes (365, un pour chaque jour, tous noirs et identiques), comme sa routine de vie. À savoir : 8h réveil puis travail; 13 h déjeuner puis affaires courantes ou créatives et travail; 19 h apéritif suivit d’un dîner dans l’un des coeurs du “Royaume” (la cuisine); minuit-4 h du matin … travail.

De labeur il est beaucoup question. Vertu cardinale du couturier franco-tunisien avec l’humilité et la discrétion. Du moins selon l’auteur qui apprend son âge le jour de sa mise en terre.

Le Royaume d’Alaïa

Le roi a son royaume : le “phalanstère” de la rue de la Verrerie dans le 4e arrondissement parisien. C’est là qu’il y meurt le 18 novembre 2017, en toute humilité, d’une chute. Fin banale, commune, de l’un des plus grands couturiers du XX ème siècle. Le livre s’ouvre sur la stupéfaction qui précède la douleur. Donatien Grau, proche d’AlaÏa pour qui il faisait office de consultant es “régisseur” en art et littérature, est sidéré comme la foule des proches puis le monde de la mode.
C’est là que l’historien décide de mettre en route le livre qu’il a promis à son mentor. On le suivra dans ses hésitations sur le chemin à suivre, les modèles inspirants où ceux dont il faut s’écarter.

Le lieu de mort fut un haut lieu de vie et de création artistique témoigne Donatien Gruau.
L’intelligentsia (mais pas bling bling juré même si l’on y croise BHL) se réunissait dans la cuisine pour des lectures. Les épices des plats (dont Azzedine Alaïa raffolait) se retrouvaient dans les conversations entre et autour du peintre et cinéaste Julian Schnabel, de l’écrivain Pierre Guyotat (Prix Médicis, Renaudot et Fémina), du peintre Christof von Weyhe (compagnon du couturier), du designer Marc Newsom et de bien d’autres.

Alaïa ‘s tribe

Le roi a son peuple, sa communauté : les proches (artistes, écrivains, photographes, philosophes, danseurs), la rue et les femmes.
Pour les premiers, il est prodigue de monographies, d’expositions dans sa galerie ou ailleurs. Donation Grau met tout en place sous l’oeil et la voix du démiurge qui dicte ses mots et ses instructions.
La rue, Azzedine Alaïa, toujours selon Donatien Grau, en surveille l’allure qui souvent le réjouit. Il se félicite d’un vêtement qui fait son office, qui tombe bien, qui sert à se sentir plus fort même s’il est “cheap”. Cliché “On peut tout porter quand on sait se tenir” ou bien rencontre bénie entre peau de chair et peau de tissu. À voir ! Notons le succès de la collaboration avec Tati.
Et puis dans le peuple d’Alaïa il y a les femmes de Paris. Celles qui l’ont accueilli quand Dior l’a congédié. L’auteur peint avec son texte la dévotion du petit homme en noir pour les femmes. Figures de l’Ancien Régime, reines d’emballements récents du public, grandes bourgeoises Alaia se dédie aux corps des femmes et bouleverse la couture.

Hommage à un couturier rhapsode

L’historien voit Alaïa comme un roi et comme un rhapsode, un poète antique qui coud des robes comme des vies. Cette vision se traduit dans l’écriture.
L’ouvrage suit une structure qui reprend certains mots ou blocs de formes. Incantations ? Formules mémo pour ceux qui décrocheraient ? Non, plutôt une cohérence fond et forme avec l’idée que le livre doit suivre le rythme et les processus stylistiques du récit du rhapsode pour coller à la vie du couturier-poète.

L’auteur introduit des textes et des formules d’Azzedine Alaïa dont les mots font naître des images. Le récit d’un Alaïa SDF d’une nuit qui marche jusqu’au matin le long d’une Seine qui l’accompagne est un moment de poésie simple et vraie.

Moment de grâce aussi quand dans la “cathédrale” profane de la galerie, le couturier dévoile la sélection de robes qui vont partir à l’exposition de la Villa Borghèse à Rome. Occasion dune réflexion sur l’esprit des robes qui gardent l’empreinte de la vie des femmes qui les ont habitées et leur survivent. Donatien Grau fait parler les robes comme Constance Guisset le faisait dans son exposition Actio au Musée des Arts Décoratifs. Des vêtements de différentes époques commentaient avec humour et parfois humeur l’intrusion des visiteurs.

La Vie Alaïa est un livre sur l’esprit de la couture. Sur la différence entre le vêtement et la venture. Sur la matrice, la source commune entre le coudre et l’écrire, voire le peindre et surtout le sculpter.

Reste que la vision très personnelle de Donation Grau donne à Alaïa une aura divine. Résultat toujours discutable.  Il y avait la biographie et la mythologie maintenant il y a la bio-mythologie.

La vie Alaïa Donatien Grau révèle un couturier rhapsode

La vie Alaïa
Donatien Grau
Éditions Actes Sud
Septembre 2020
https://www.actes-sud.fr/

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