Divas d’Oum Kalthoum à Dalida : glamour féminisme et panarabisme
Divas d’Oum Kalthoum à Dalida : glamour féminisme et panarabisme .L’exposition de l’institut du monde Arabe retrace la vie des divas mythiques. Elle sonde leur intimité et souligne leur rôle dans l’affirmation d’une culture panarabe du Caire à Beyrouth. Égéries de Nilwood (le Hollywood arabe), ces voix d’or et monstres de scène appuient aussi les changements politiques (décolonisation) et sociétaux (féminisme). Le focus sur les chanteuses oubliées des années 20 et les pionnières de l’émancipation des femmes comme Hoda Chaaraoui et Ceza Nabaraoui fait figure de sésame. Aux antipodes temporelles, les œuvres actuelles montrent l’étendue de ce revival qui irrigue l’art contemporain.
Intimité des boudoirs et effervescence « moderniste » cairote
On traverse un rideau à l’effigie des quatre divas mythiques. Immédiatement c’est l’immersion dans l’effervescence du Caire des années 20. Des panneaux accrochés diffusent des images d’archives. Terrasses, voitures d’époque, fragments de vie artistiques, recréent l’atmosphère de la « Nahda ». La « Nadha » c’est la renaissance intellectuelle symbolisée par la capitale égyptienne. Le mouvement attire alors les artistes de l’ensemble du Moyen-Orient.
Les premières divas
Les premières divas y jouent un rôle actif. Elles s’appellent Mounira al-Mahdiyya, Badia Massabni, Assia Daghner, Aziza Amir. Elles sont première actrice musulmane, danseuse et fondatrice de nouveaux lieux de spectacle, figures engagées du cinéma égyptien naissant.
L exposition présente « La chanson du cœur«, le premier film chantant égyptien. Ce temps fort de la manifestation met en scène Nadra qui inspirera Oum Khalthoum ou Badia Massabni icônes du féminisme.
Les premières divas s’activent sur tous les fronts. Elles sont artistes, entrepreneuses, réalisatrices … Elles jouent l’art et l’entreprise contre le patriarcat.
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Les salons du féminisme
Ces artistes polyvalentes s’inscrivent dans le même combat que les grandes bourgeoises cairotes.
Apres la vie trépidante du Caire rendue par les animations, on partage l’intimité du bureau de Hoda Chaaraoui. Une bibliothèque, une machine à écrire, des photos, des livres … La reconstitution restitue le climat de lutte culturelle. De combat à travers les livres, les idées qui fusaient dans les salons influents. Hoda Chaaraoui (1879-1947) sera la première femme à se dévoiler en public. Date : 1923. Suffragette des sables elle milite pour l’alphabétisation des femmes, l’accès à l’enseignement et l’hygiène. Avec Ceza Nabaraoui (1897-1985) elle fonde l’Union féministe égyptienne puis crée la revue L’Egyptienne.
Oum Kalthoum, Warda, Asmahan, Fayrouz : dans les loges des divas
Les idées émancipatrices portées par les premières divas et les grandes voix de l’intelligentsia du Caire sont relayées par les divas mythiques des années 40 et plus. L’autonomie , l’autorité, la culture, Oum Kalthoum, Warda, Asmahan, Fairouz les incarnent auprès du grand public.
En suivant un mur de velours « opéra » on visite les loges-alcoves des chanteuses-actrices légendaires. Des textes retracent leurs parcours et leurs origines très variées.
Oum Kalthoum : transe et engagement panarabe
»Chez » Oum Kalthoum, surnommée « l’astre de l’Orient », on voit les célèbres mouchoirs et robes colonne. les bijoux (diamants), quelques photos de son « chignon signature ». Objets aussi cultes qu’intimes. Oum Kalthoum révolutionne le chant en ajoutant des instruments à cordes (violon, violoncelle) au takht, l’ensemble instrumental classique. La marque de la diva, au delà de la voix, c’est aussi les morceaux très longs. Plusieurs heures parfois. Une photo la montre à l’Olympia. Elle avait accepté de s’y produire pour financer la Guerre des six jours menée par Nasser. Le directeur, Bruno Coquatrix, s’inquiétait du répertoire. Au menu deux chansons. Un peu court a priori pour un cachet de 50 000 francs de l’époque. Dans les faits non puisque les morceaux duraient chacun 1h30 De quoi faire entrer le mythique directeur de l’Olympia dans la transe arabe ?
Oum Kalthoum a toujours soutenu Nasser et le panarabisme. Un engagement qui en sus de son talent a sans doute assurer sa popularité.
La photo montrant son cercueil passant entre les mains de millions d’hommes est sidérante. Des millions d’homme honorant une femme issue d’un milieu religieux très modeste qui menait sa vie loin des dogmes patriarcaux. « Sa vie privée reste un mystère » note Hanna Boghanim la co-commissaire » Son mariage tardif avec son médecin était est-il une manière de faire taire les rumeurs sur son homosexualité? »
Warda al-Djazaïria : sonorités du Maghreb et sympathie FLN
Militantisme également chez Warda al-Djazaïria. « La Rose algérienne » est née à Puteaux, à côté de Paris, d’un père militants nationaliste algérien et d’une mère libanaise de confession musulmane. Elle débute dans le cabaret de son père au quartier latin dans les années 50. Soupçonnée d’intelligence avec le FLN sa famille est expulsée vers le Liban.
Warda fera carrière entre Paris, Le Caire et Beyrouth. Une carrière qui se mesure en dizaines de millions d’albums.
Son style mélange l’héritage d´Oum Kalthoum et les sonorités du Maghreb.. « Ses chansons des années 90, très pop, sont beaucoup remixées aujourd’hui » note la commissaire.
Asmahan : la sulfureuse princesse druze
La loge de d’Asmahan reflète le côté décalé de la diva à la voix inclassable.
Née princesse druze, en 1917 Amal al -Atrache meurt dans un accident de voiture en 1944. Vengeance d’un frère ne supportant pas la vie très libre de sa sœur ? Mesure de rétorsion des Allemands après l’aide apportée par la chanteuse aux Alliés? « Les rumeurs alimentent le phénomène de revival » estime Hanna Boghanim.
Dans la loge de « la Sublime » (Asmahan), on découvre whisky. cigares et extraits de films .. « Toutes proportions gardées, Asmahan était un peu la Amy Winehouse de l’époque » avance la commissaire.
Fairouz : l’âme du Liban
« Fairouz change la donne. Elle module la musique égyptienne languissante. Elle invente une musique plus proche de l’Occident mais jouée avec des instruments orientaux » explique Hanna Boghanim.
Fairouz est la dernière des grandes divas arabes. Fin août 2020 Emmanuel Macron lui remet la légion d’honneur. À 84 ans, elle reste le symbolise d’unité qu’elle a toujours été. Fairouz a chanté le Liban et la Palestine..Elle a aussi contribué à décentraliser la culture arabe. Du Caire le Coeur de l’art est passé au Liban.
Nilwood : l’âge d’or du cinéma arabe et ses icônes
Troisième partie de cette exposition qui en compte quatre sur 1 000 m2 : Nilwood. Des années 40 aux années 70 les comédies musicales de « Nilwood » (le Hollywood arabe centré au Caire) triomphent. Leur succès consacrent les divas actrices telles que Laila Mourad, Samia Gamal, Sabah, Tahiyya Carioca, Hind Rostom ou Dalida.
Hyper glamour, cette parie étale robes couture, costumes de scène, bijoux, photos. affiches et couvertures suggestives de magazines. Dans ce star system Tahiyya Carioca réinvente la danse du ventre, Hind Rostom est comparée à Maryline Monroe. Sabah, la grande chanteuse libanaise, à une Barbarella levantine. On découvre également la jeune Dalida dans deux films. À retenir : la beauté des photos en noir et blanc de la chanteuse et actrice dans des lieux emblématiques de la ville.
Revival dans les arts contemporains
En France on connaît Hindi Zahra imbibée d’Oum Kalthoum dès le berceau.
Au delà, l’exposition dévoile le revival qui anime les artistes contemporains.
On trouve les photos de cinémas aujourd’hui désertés. L’âge d’or de Nilwood a pris fin dans les années 70 avec le décès de Nasser en 1970 , celui d’Oum Kalthoum cinq ans plus tard, le déclin des comédies musicales., le jeu des États du Golf qui imposent leur puissance et leurs goûts
Plus loin Nabil Boutros détourne des clichés de films égyptiens pour interroger ce qu’il reste du rêve d’émancipation des femmes. En bref : peu de chose.
Citons aussi Shirin Neshat qui a offert une image de son film –Looking for Oum Khaltoum (2017)- comme affiche de l’exposition. Ces deux courts métrages sont également présentés.
En guise de final la très bluffante performance de Randa Mirza et Waël Kodeih. Le duo d’artistes fait danser les hologrammes de Tahiyya Carioca et Samia Gamal, sur une bande-son composée à partir de morceaux populaires tirés de films égyptien.
Un nouveau travail dans la veine hypnotique des grandes divas est-il à venir ?
Divas d’Oum Kalthoum à Dalida
Institut du monde Arabe https://www.imarabe.org/fr
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