Secrets de beauté et estampes : expo MCJ

Secrets de beauté et estampes : expo MCJ. Décodage des codes sociaux à travers une mise en regard de “tutos” et d’oeuvres d’art. La Maison de la culture du Japon à Paris présente près de 150 estampes et 60 objets pour mieux connaître le maquillage et la coiffure de la période Edo.

Que se cache-il derrière le raffinement des estampes ? Une maîtrise de la composition et des couleurs doublée d’un regard singulier sur le monde. Oui. Mais la maison de la culture du Japon (MCJ) a creusé et découvert un monde secret. Un univers de beauté très codé qui a valeur sociologique. Alors que disent les chignons, les teints de lait, les bouches rouge et le noir des dents et des sourcils ?
Entretien avec Philippe Achermann, chargé de communication à la MCJ.

Lépnore Cottrant : Vous faites des tutos beauté Philippe Achermann ?
Philippe Achermann : “J’admets. Je connais mieux la période Edo que le maquillage”


LC : Alors … ?
PA : Alors j’ai progressé dans le second domaine. Et c’est passionnant.

LC ; Quels sont les principaux codes beauté de l’ère Edo?
PA; Juste pour poser le décor, la période s’étend de 1603 à 1668. Elle s’installe après une époque de troubles et de guerre civile. En 1603 le shogunat Tokugawa instaure une paix qui assure une prospérité de 250 ans. Au XVIIIe siècle Edo est l’une des plus grandes villes du monde. La capitale d’un pays qui se ferme.
Le Shogunat prône la morale confucéenne et instaurent un système de castes rigide. Au sommet les guerriers, ensuite les paysans qui les nourrissent puis les artisans et enfin les commerçants. Parallèlement, la bourgeoise prend son essor et contribue à l’éclosion d’une culture citadine qui comprend l’art de l’estampe, le théâtre kabuki, l’artisanat d’art.

LC : Le maquillage varie selon les castes ?
PA : Absolument. Il y a les trois incontournables, le blanc, le rouge et le noir. Mis ils se “déclinent” comme les coiffures et les vêtements qui changent selon la classe et l’âge.

LC : C’est la même chose en France …
PA : Oui les usages de cour sont très codés mais au Japon, les estampes fait voir ces codes. Ainsi, l’exposition montre dans des sites célèbres d’Edo des femmes de conditions et d’âge variables. Des sortes de cartes postales sociologiques. De même on peut voir des scènes de vie dans le gynécée.

LC : Pouvez-vous nous maintenant rappeler les basiques de la beauté ?
PA : D’abord il y a le blanc. Il est importé au 6è siècle en même temps que le bouddhisme. C’est la base de la beauté. Les femmes appliquaient les fards par couches afin de ne pas ressembler à un bouddha de pierre. Pour donner du modelé, Pour mettre en valeur la beauté de leur peau en créant des effets. La technique ? Faire fondre les poudres dans l’eau avant de les appliquer au doigt ou au pinceau sur le visage, le cou, la nuque, la poitrine. On le voit très bien sur une estampe. Comme ailleurs les poudres contenaient ou bien du plomb ou bien du mercure.

LC : Le noir et le rouge sont les autres incontournables …
PA : Tout à fait. Le noir était autant un rite de passage qu’un marqueur social. Les femmes du peuple se teignaient les dents de noir à l’approche du mariage et se rasaient les sourcils quand elles avaient eu un enfant. Dents teintes en noir et sourcils rasés symbolisaient le statut de femme mariée. En revanche, dans les classes supérieures (aristocratie impériale et noblesse guerrière), les femmes ne se rasaient les sourcils qu’à partir d’un certain âge, Le noir était obtenu par un mélange de vinaigre, de saké, de feuilles chauffé et mélangé avec de la noix de gale.

LC : Le rouge n’était pas vraiment rouge …
PA : Le rouge était la seule manifestation de féminité éclatante dans le maquillage d’Edo. Outre son utilisation pour le rouge à lèvres et à joues, il servait parfois à rehausser le coin des yeux ou les ongles. Extrait en quantités infinitésimales de la fleur de carthame des teinturiers, c’était un produit rare et extrêmement cher. Le maquillage dit sasairo beni a été lancé en 1800 par les courtisanes pour faire étalage de luxe.
Le procédé ? En s’enduisant la lèvre de couches superposées de beni, elles obtenaient un effet vert brillant qui a donné son nom à ce style de maquillage.Les femmes des classes populaires utilisaient une encre de chine pour approcher cet effet de vert irisé.


LC : Les chignons occupent une place centrale. Est-elle aussi importante dans la société Edo ?
PA : Les coiffeuses sont apparus à l’ère Edo. Le shogunat a tenté d’interdire le métier car il s’opposait à l’étalage des richesses et le chignon était un signe extérieur de classe mais aussi de richesse. Les courtisans avait des contrats avec les coiffeuses. Si vous regardez bien les estampes vous pouvez reconnaître les courtisanes. Elles portent deux peignes. L’un pour elle, l’autre pour le protecteur.
Autre particularité, les femmes japonaises n’ont pas de bijoux. Les bijoux ce sont les parures des chignons. On distingue des piques, des cordelettes, des mèches. Le chignon est un foisonnement.

LC : À quelle période sont apparus les chignons ?
PA : Au XVIe siècle on commence à attacher les cheveux et à les couper pour rendre le visage plus lumineux. Avant, les femmes portaient de longs cheveux qui traînaient par terre.

LC ; Combien existe-t-il de types de chignons ?
PA : Il existe quatre chignons de base Toutefois plusieurs centaines de combinaisons sont possibles. À chaque coiffure correspond une classe sociale. Elle s’agrémentt d’ornements en tissus de couleurs vives pour les jeunes filles, de couleurs plus pales plus tard. Les usages varient aussi selon les régions.


LC : Quels sont les objets remarquable ?
PA: Difficile de choisir. Dans la première partie de l’exposition on trouve un catalogue de beauté de 1813 avec textex et dessins montrant comment prendre soin de ses cheveux est un véritable best seller.
Il y a aussi une coiffeuse, un nécessaire de voyage (à l’intérieur du pays car répétons le Japon se repli autoritairement) avec des motifs de poudre d’or.
Un symbole : un petit miroir en métal poli. Avant la pérode Edo l’usage du maquillage était réservé à l’élite. Avec le Shogunat, il se démocratise. ce petit miroir à fard blanc en témoigne. Autre exemple des petits sacs de son de riz qui reflètent l’attrait des bains et l’art de la toilette. Les son de riz riche en lipides et vitamines servaient à nettoyer et hydrater la peau.

LC : Comment est organisée la scénographie ?
PA ; En quatre parties. Tout d’abord “Femmes se maquillant” dont nous avons déjà parlé. Ensuite “Femmes à leur coiffure” également évoqué. Puis “Statut social et toilette de la mariée“. On y découvre les rituels sociaux à travers le maquillage, la coiffure et la kimono. Enfin, “Les cent beautés d’Edo” largement illustrées par les estampes.

LC : Vous l’avez déjà déjà évoqué mais plus précisément que disent les estampes de cette époque ?
PA : Les courtisanes comme les vedettes du théâtre Kabuki lançaient les modes. Elles maîtrisaient parfaitement l’art du maquillage et de la coiffure. Une estampe montre une geisha se mauqillant avec du blanc de céruse le col du kimono ouvert. Une autre représente une courtisane se noircissant les dents. Surprenant ? Non. Les geishas montraient ainsi leur fidélité.
Une série de trois femmes informent sur les codes sociaux vestimentaires. Les broderies sur les kimonos étaient interdites aux femmes n’appartenant pas à la caste des guerriers.
Il existe aussi un lien entre les estampes et la publicité. En haut dans une sorte de vignette on peut voir le nom de marchands de fard blanc.
D’autres estampes informent sur la qualité des établissements de plaisir. C’est une sorte de Trip advisor des quartiers réservés. Outre les panneaux représentants les 100 beauté d’Edo, l’exposition montre la vie du gynécée du château de Chiyoda. Ces 40 estampes peintes par le maître Chukanodo sont un témoignage précieux car la vie au gynécée était tenue secrète. On y voit le quotidien de l’impératrice et des concubines au fil des saisons à travers des scènes de toilettes, de parures …

Secrets de beauté
Maison de la culture du Japon
101 bis, quai Branly
75015 Paris
https://www.mcjp.fr/

En collaboration avec l’institut japonais POLA Research of Beauty &. Culture
Jusqu’au 10 juillet 2021

Crédits photo POLA Research of Beauty &. Culture


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