Le Havre X Australie l’intimité d’un lien : expo entre art contemporain et histoire naturelle

Le Havre X Australie l’intimité d’un lien : expo entre art contemporain et histoire naturelle. Dans le cadre d’Australia Now le Muséum fait dialoguer plus de 200 dessins de l’expédition Voyage en terres australes, créations artisanales, sonores et contemporaines d’artistes autochtones. Vous prendrez bien un ghostnet ?!


Gros poissons bleus verts, hippocampes mauves et jaunes, dauphins roses et ocres, méduses et tortues .. toute une faune marine se balance en apesanteur dans le hall du Muséum d’histoire naturelle du Havre.

Monumentalité, théâtralité, ce bestiaire de 18 pièces magnétise et fait surgir des sentiments allant du bien-être d’un rêve de récif à l’inquiétude. Il est issu d’engins de pêche récupérés et transformés en oeuvres d’art par des artistes du nord de l’Australie et du détroit de Torrès.

“‘L’art des ghostnets, littéralement les filets fantômes, est apparu en 2009, Il est unique au monde ” précise Géraldine Leroux co-commissaire de l’exposition Le Havre : l’Intimité d’un lien. Les artistes entendent sensibiliser le public à la pollution marine et au danger que représentent les filets de pêche pour les éco systèmes. Les dauphins et les tortues tissés selon des techniques de vannerie ou d’artisanat traditionnel renvoient à leurs doubles piégés par des filets qui pèsent parfois plusieurs tonnes.”Il faut imaginer le nord de l’Australie comme une machine à laver où s’engouffrent les déchets” poursuit Géraldine Leroux ” Le résultat est désastreux. Il impacte l’environnement des autochtones. Certains jouent la carte de la transposition artistique. Le muséum collabore de plus en plus souvent avec ces créateurs”.

Mais le lien entre Le Havre et l’Australie ne date pas de quelques années. Il remonte à plus de deux siècles. Un temps qui peut créer une certaine intimité. D’où le titre de l’exposition qui se tient dans le cadre d’Australia Now, l’année culturelle de l’Australie en France.

4 ans de voyages pour un trésor botanique, minéral et animal

En 1800, l’expédition Voyage aux terres australes part du Havre. Elle est commandée par Napoléon Bonaparte pour finaliser la cartographie de la Nouvelle Hollande (Australie), collecter des échantillons d’animaux et de végétaux et “observer” la population” rappelle Gabrielle Baglione commissaire de l’exposition.
Dirigée par le commandant Nicolas Baudin elle comprend deux bateaux Le Géographe et le Naturaliste, qui reviendront en 1803 et 1804. Le bilan humain est désastreux mais le “butin” scientifique exceptionnel : 100 000 échantillons dont 2 500 espèces inconnues.

” L’intimité d’un lien” présente 217 dessins et manuscrits de Charles-Alexandre Lesueur (1778-1846 et de Nicolas-Martin Petit (1777-1804) ) dessinateurs de l’expédition. Un trésor patrimonial mis en regard avec d’art contemporain australien.

Portraits d’explorateurs

Après une mini méditation autour des ghosnets, pendules d’alerte autant que figures artistiques, on grimpe l’escalier magistral du Muséum pour rejoindre la première partie de cette escale havraise.
Dans la section scientifique on croise les portraits des principaux acteurs de l’expédition et le non portrait de Nicolas-Martin Petit. Le dessinateur n’a jamais été dessiné ou peint. Cette absence frappante éclipse toutes les autres représentations.
Un oeil sur un carré Hermès des années 90 qui reprend le thème du Voyage aux Terres Australes, un autre sur les couleurs chaudes et profondes du tableau de la peintre et romancière Emmeline Landon, une ode aux paysages de sa “terre”, et on se fait happer sur les dessins de Charles-Alexandre Lesueur. L’argenté de ses daurades, la précision et la délicatesse de ses méduses,

Un monde s’ouvre. D’autres se sont ouverts avant celui de “L’intimité d’un lien”.
Scientifiques : les méduses sont carnivores. Dans quelle catégorie classer ses “végétaux” s’interrogent par exemple les savants du XIXe siècle.
Ou romanesques. Dans Vingt mille lieux sous les mers, Jules Vernes s’inspire des dessins de Lesueur pour ses animaux marins notamment ses méduses.

Les méduses c’est un peu la signature du dessinateur. Pour le souligner le Muséum renvoie à son aquarium et à la forme fluorescente du créateur Aly de Groot.

Saisir l’Autre : dessin et ethnologie

La disproportion pourrait, elle, être la marque de Nicolas-Martin Petit chargé de croquer les “Naturels”, les autochtones. La salle réservée aux habitants du continent et de Tasmanie regorge de portraits d’hommes aux membres grêles, aux traits “grossis”. Curieux pour un élève de David.

Le dessinateur sans visage a-t-il obéit à une injonction tacite : reprendre les canons des portraits déjà existants qui donnent à voir une certaine difformité et esquisse une classification des espèces humaines ? Mystère. Est-il une Avant-Garde à lui seul ? Hypothèse plus réjouissante mais très improbable.
Nicolas-Martin Petit s’attache par ailleurs aux moeurs et aux “usages”. La chevelure recouverte d’ocre d’un Tasmanien en est un exemple frappant. L’ocre symbolise la terre, la fécondité, les Ancêtres.

Dialogue entre les âges et les savoirs

On l’a dit le Voyage aux terres australes a rapporté un trésor scientifique. Effectué avant l’ère industriel dans un environnement non impacté par l’homme, il permet également d’établir un état des lieux de ce qui a été et de ce qui reste. Un témoignage écologique essentiel.
Ceci vaut pour la faune et la flore comme pour l’humain.
Selon la tradition autochtone le savoir se transmet le savoir de manière orale. Avec le déplacement forcé des habitants dans les plantations d’Australie du sud c’est tout un savoir qui s’est perdu.
C’est le cas des techniques traditionnelles de fabrication de pirogues et de vannerie tasmanienne. Les dessins très précis de l’expédition permettent une réappropriation.

Le Muséum d’histoire naturelle a passé commande d’oeuvres à des Ainés (hommes et femmes adoubés pour transmettre un savoir et un art). On voit ainsi un panier de jonc, un autre d’algue, un collier de coquillages (présent sur un dessin de Nicolas-Martin Petit), des waddies (bâtons de chasse ou de combat).

Pour Julie Dough une Ainée de Tasmanie la vannerie est essentielle car elle permet de retrouver les racines, de tisser un lien entre le passé et présent.
Mais c’est un tableau qu’elle présente dans le cadre de l’exposition. Une oeuvre toute en ocre et bleu où se mêlent l’argile de la terre, l’eau du lagon et les plantes d’un jardin.

L’exposition met aussi en lumière les liens entre le Muséum et le peuple Ngarrindjeri une nation de 18 peuples d’Australie Méridionnale. Leur culture est liée à certains lieux, à la nature aux animaux dont certains sont des totems.

On quitte le Muséum avec dans les yeux l’image d’une baleine de 3,4 m qui nage en apesanteur et dans les oreilles une oeuvre sonore des antipodes.


Le Havre – Escale australienne
L’intimité d’un lien

Muséum d’histoire naturelle
https://www.museum-lehavre.fr/
5 juin -7 novembre 2021


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