La décision : Karine Tuil sonde la justice antiterroriste

La décision : Karine Tuil sonde la justice antiterroriste. Un livre qui résonne avec le procès des attentats du 13 novembre et interroge sur l’essence du jugement.

Indéniablement Karine Tuil a le sens du titre et de l’actualité. Ainsi dans « Douce France » (2007) ou «L’invention de nos vies » (2013) elle questionne l’immigration, la place et le ressenti de générations de migrants. De même dans « Les choses humaines » (2019) elle griffe le féministe de #metoo. Cette fois-ci, en plein procès des attentats du 13 novembre, elle sort « La décision ». Dans ce dernier roman Alma Revel, juge antiterroriste, doit se prononcer sur la mise en liberté conditionnelle d’Abdeljahil, un jeune homme soupçonné d’avoir rejoint les rangs de l’État islamique en Syrie. L’acmé du récit se déroule en mai 2016, six mois après les attentats de Paris (cafés et terrasses de l’Est parisien dont le Bataclan) et à Saint-Denis (Stade de France). Et deux mois avant celui de Nice.

Justice, judéité, entre soi

« La décision » se révèle très documentée. Karine Tuil dispose déjà de pré-requis. Elle est diplômée d’une maîtrise de droit des affaires et d’un DEA de droit de la communication. De plus la justice est un thème récurrent dans son oeuvre. Il est en effet question de machine judiciaire dans «Les choses humaines », prix Goncourt des lycéens et prix Interallié. Et l’on croise avocats et juges dans « l’Invention de nos vie » ou  « Douce France ». Mais ici l’autrice semble avoir compulsivement travaillé son sujet. Résultat : comptes-rendus d’entretiens, pièces de dossier, on croit parfois lire un rapport de police justice. C’est précis mais laborieux.
Au crédit de l’auteur, une découverte du travail des juges. Un métier psychologiquement éprouvant, fastidieux et chronophage. Ce constat s’applique bien entendu à tous les juges. Mais de l’avis d’un juge anti-terroriste dépend la vie d’un prévenu et d’autres vies. Celles de victimes potentielles d’attentats. Katine Tuil décrit également le travail de groupe, les rapports avec la police et les avocats.

À partir de ce portait des coulisses de la justice antiterroriste la romancière dépeint un milieu qu’elle connaît bien. Celui des élites parisiennes. Un entre soi qui abrite les maitres du barreau comme la faune littéraire. La juge Alma Revel a une liaison avec Emmanuel, l’avocat du prévenu. Lourd manquement à la déontologie. Mais occasion de pimenter le roman et de décrire la vie d’un avocat grand bourgeois qui évoque facétieusement Éric Dupond-Moretti. On ne sait pas si l’actuel ministre de la justice d’Emmanuel Macron a apprécié.

Si Alma succombe à cette passion torride ,oui oui, c’est peut-etre un peu parce que son couple bat de l’aile. Rien n’accroche plus avec Ézra son mari, un écrivain qui a connu une gloire aussi fulgurante que fugace. Face au délitement de sa carrière et de son couple Ézra interroge sa judéité, s’oppose au mariage de sa fille avec un musulman et finira par partir en Israël. On retrouve là deux autres mottos de Karine Tuil : le couple et la judéité.

La décision : justice et finitude

Epouse, mère, amante la juge est incarnée. Se pose alors la question du choix de la décision. Alma va-t-elle juger sous l’influence inconsciente de l’avocat d’Abdeljahil et le libérer sous surveillance ? Ou bien interpréter le dossier à l’ombre des peurs de son mari ? Ou encore trancher sous l’influence de ses convictions «d’avocate de gauche». Privilégier la chance d’une deuxième vie ?

Alma va juger sur dossier et y forger son intime conviction.

Elle traverse les affres du doute. Mais impossible comme Descartes de faire table rase pour construire ses certitudes. Au contraire face au vertige elle fait avec les faits : témoignages, interrogatoires, enquêtes. Et s’appuie sur le droit et la procédure. L’essence du travail d’un juge antiterroriste.

La décision sera-t-elle la bonne ?
Karine Tuil affirme l’intégrité et le professionnalisme de la juge antiterroriste. Et cite André Gide « Croyez ceux qui cherchent la vérité doutez de ceux qui la trouvent »(Ainsi soit-il ou les jeux sont faits).

La justice est à l’image de la société et de la vie. Il n’ y a pas de risque zéro. On reste avec dans la gorge le goût de la finitude humaine et le désir de croire à la solidité des garde-fous.

La décision – Karine Tuil / Gallimard 2022/ 22 € https://www.gallimard.fr/

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