Le Palais de Tokyo réclame la terre

Le Palais de Tokyo réclame la terre . L’exposition réunit 14 artistes venus des quatre coins de la planète. Ils entendent présenter un art différent et ancré dans le Zeitgeist. À savoir les grandes questions de l’époque de l’urgence climatique au genre en passant par la migration, la colonisation ou encore les savoirs minorisés.

Le palais de Tokyo poursuit son programme écolo X peuples autochtones illustrée en 2021 par untitled (transcriptions of country) de Jonathan Jones en collaboration avec Australia Now. Lors du discours de présentation de l’exposition « Réclamer la terre », Guillaume Désanges s’est dit très affecté par le dernier rapport du GIEC. Le tout nouveau Président a par conséquent souligné l’impérieuse nécessité de prendre conscience des défis climatiques à travers conjointement l’art et les luttes relatives à la défense de la terre.

De fait l’exposition coche toutes les cases. Car avec le Conseil scientifique d’Ariel Salleh et de Léuli Eshāghi on parle savoirs minorisés, écoféminisme ou encore écosocialisme. Un discours certes un peu étonnant puisque le Palais de Tokyo semble plutôt macron compatible que socialiste crypto marxiste. Mais bref il y a urgence à agir et à exposer. Sous le commissariat de Daria de Beauvais 14 artistes sont donc venus du monde entier. Une dérogation bilan carbone leur a sans doute été concédée. Et tous proposent des versions très personnelles de leur rapport à la terre, à sa préservation et à sa mémoire. Avec comme motto : aller de l’avant loin de l’eurocentrisme.

Ignames radioactives, racines géantes, champignon jeu vidéo, temple de terre rouge : 4 installations remarquables

This is not Fantaisy Yhonnie Scarce

À l’entrée en guise d’accueil, une pluie de gemmes ultra toxiques. This is not Fantaisy de Yhonnie Scarce, Australienne d’origine Aborigène, se présente comme une averse d’ignames en verre soufflé. De fait un hommage aux pertes humaines et écologiques liées aux essais nucléaires.

Aïcha Snoussi Nous étions 1000 sous la table
Etrange beauté également chez l’artiste tunisienne Aicha Snoussi. Ici « Nous étions mille sous la table » plonge dans une grotte bleu fluo où des tentacules géantes et moussues poussent des pieds d’une table de billard. À la recherche d’eau. Tandis que des voix « queers » s’échappent des orifices de la table. Avec son atmosphère de fond-marin c’est peut-être l’installation la plus immersive de l’exposition.

Sporal Mimosa Echard

À voir. Car Sporal, le champignon jeu vidéo de Mimosa Echard invite à chiller sur des coussins posés en vrac. Pour laisser vagabonder notre mémoire, le motto de la plasticienne, en regardant des gens qui se filment endormis. L’une des dernières tendances sur Twitch. L’artiste imagine son installation en partant des myxomycètes. À savoir des organismes monocellulaires qui empruntent leurs caractéristiques à plusieurs règnes. En effet ces moisissures qui bougent sont à la fois végétales, animales et champignons. À l’image des myxomycètes dont il s’inspire, le jeu déploie ses ambiguïtés sur un mur. Les images constituent un patchwork d’imaginaires « écologiques , futuristes et post apocalyptiques ». Objectif : interroger les liens humains-environnement.

Soil Temple Tabita Rezaire.

Le côté méditatif est plus direct dans le temple de terre de Tabita Rezaire. L’installation Soil Temple a été conçue dans la forêt de Guyane française comme une maison de guérison collective (prières, chant, yoga). Après ses performances en tant que décolonisatrice du web, l’artiste, experte en marketing, se focalise aujourd’hui sur ce temple. Indéniablement une réussite esthétique. Au delà, la maison est le centre d’un projet qui rassemble tout ce qui est tendance. Du healing (Tabita Rezaire se dit guérisseuse) à l’agro-écologie (cacao) en passant bien entendu par la célébration de la femme noire au delà de la binarité.

Réclamer la terre : la force du son

Megan Cope Untitled (Death song)

La grande prêtresse travaille avec un studio de design sonore pour « éveiller notre conscience écologique ». Le pouvoir du son est utilisé par plusieurs intervenants. Outre Aicha Snoussi, citons Megan Cope. Avec Untitled (Death song) la créatrice Aborigène d’Australie livre une œuvre faite de cinq instruments sculpturaux. Le point de départ : le chant de l’Oedicnème, un oiseau menacé d’extinction en Australie. Megan Cope y voit en effet le symbole des menaces qui pèsent sur la terre.

Hala Wardé, A Roof for Silence, Pavillon Libanais à la 17e Exposition Internationale d’Architecture – La Biennale di Venezia, 2021 Crédit photo : Alain Fleischer et HW architecture

De son côté l’architecte Hala Warde crée un espace où habitent des oliviers millénaires. Paradoxalement, A Roof of silence et sa forêt hypnotique sont très sonores. Sous la coupole de verre de Palais de Tokyo et dans un « théâtre » à l’ambiance fantomatique les sons nous appellent et nous enveloppent. Initialement l’installation était une invitation au silence mais depuis l’explosion dans le port de Beyrouth le 4 août 2020 elle fait figure de refuge pour ceux qui ont perdu leur toit.

Laura Henno, Ge Ouryao !

De toit il n’en a pas. Logique puisque Smogi, le personnage principal de la série de photos et de vidéos de Laura Henno est un migrant comorien. À Mayotte il vit avec une bande d’adolescents, les Boucheman, et une meute de chiens. « Smogi considère ses chiens comme des égaux » affirme la photographe ». Le film  « Ge Ouryao ! Pourquoi t’as peur ! » montre les liens entre chiens et hommes à travers notamment les appels très spéciaux de Smogi et les cris des chiens. De fait Laura Henno questionne les relations inter espèces ainsi que la colonisation.

Monument aux morts de plantes ou « enlianement » : des récits pointus et personnels

Abbas Akhavan, Study for a Monument


La plupart voire la totalité des œuvres tissent des récits pointus et personnels. De surcroit l’exposition « suit la trace d’artistes qui travaillent autrement les éléments (eau, feu, air, terre) ou la matière dite « naturelle » (végétaux, minéraux…) » estime Daria de Beauvais, curatrice de Réclamer la terre.

Ainsi Abbas Akhavan construit un Monument aux morts des végétaux. Les sculptures en bronze de l’artiste iranien pointent les troubles sociaux et environnementaux subis par l’Irak ces dernières décennies. Les plantes autochtones et endémiques des rives du Tigre et de l’Euphrate prennent la forme d’éclats d’obus, de grenades ou de lances.

À l’opposé Thu-Van Tran signe avec De Vert à Orange – Espèces exotiques la revanche des plantes déracinées pour orner les serres européennes durant la colonisation. Elles colonisent à leur tour les terres d’accueil et menacent les espèces natives.

De son cote Sebastián Calfuqueo, artiste d’origine Mapuche, n’hésite pas à « s’enlianer » pour donner à ressentir l’eau. L’eau sous toutes ses formes naturelles : zones humides, lacs, océans, rivières, sources. Sa vidéo interroge par ailleurs le statut du sujet Mapuche dans les sociétés d’Amérique latine. Elle questionne aussi le corps, la binarité, le genre et la sexualité.


Côté jardin et agriculture

Réclamer la terre met également à l’honneur les 20 ans du Jardin des habitants. Une initiative collaborative très locale initiée par l’artiste Robert Milin. Un écho à  «Couper le vent en trois » l’installation ludique d’Hélène Bertin qui mêle art, botanique, agriculture et s’épanouit dans le vin.

Réclamer la terre exposition ultra tendance peut sans doute agacer. Elle a toutefois le mérite de s’inscrire dans un Zeitgeist en résonance avec l’urgence climatique tout en présentant des oeuvres novatrices et tripales.

INFOS

Réclamer la Terre-Palais de Tokyo du 15 avril 2022 au 4 septembre 2022 http://palaisdetokyo.com/

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