Le château du Clos Lucé expose le Saint Jérôme de Léonard de Vinci
Le château du Clos Lucé expose le Saint Jérôme de Léonard de Vinci un prêt exceptionnel des musées du Vatican. Le chef d’oeuvre inachevé saisit par sa puissance émotionnelle. Dans cette Passion à l’histoire mystérieuse Léonard déploie sa connaissance de l’anatomie comme de la psyché humaines.
Son art reflète aussi un goût pour la nature que l’on savoure dans le parc. Les accrochages de reproductions d’œuvres iconiques comme La Joconde donnent en effet toute leur place à la lumière et à la terre. De son coté le château où le maitre vécu de 1516 à 1519 retrace son quotidien. De la chambre à la cuisine très veggy en passant par la salle des machines et l’atelier. Bref un détour vers Amboise qui nous plonge dans la sobre intimité du génie de la Renaissance tout en nous confrontant au sublime de l’une de ses œuvres les plus magistralement habitées.
Saint Jérôme : Père de l’Église, traducteur et pénitent
Saint Jérôme ou Jérôme de Stridon (Eusebius Sophronius Hieronymus Stridonensis en grec) est né dans la ville éponyme vers 347. Le sage qui a failli être pape est avant tout connu comme érudit. Il a en effet traduit les Évangiles du grec en latin puis l’Ancien et le Nouveau Testament de l’hébreu et du grec également en latin.
L’exposition du Clos Lucé présente l’édition complète de 1542 des Épîtres de saint Jérôme, dans la version établie par Érasme du monastère de Marmoutier en Touraine, ainsi qu’une Vulgate. Elle met par ailleurs en regard le Saint Jérome pénitent avec une gravure de Dürer et un tableau de Joos van Cleve. Fascinant tableau ou saint Jérôme pose avec tous les attributs de la fonction de cardinal tout en affichant une expression mêlant affliction et détachement une main sur la joue, un doigt vers une vanité. Méditation d’école sur la finitude humaine.
Mais si le saint est souvent peint en manteau de cardinal, barbu et penché sur la Bible, il existe une autre déclinaison prisée à la Renaissance. La pénitence. De fait la biographie de Jérôme, La légende dorée de Jacques de Voragine, inspire. Le Pérugin et Piero della Francesca ont notamment peint Jérôme en ascète.
« Le saint (de Léonard) est représenté dans une attitude de pénitent, à l’intérieur d’un ermitage de la « forêt » qui selon la tradition s’étendait dans la région syriaque où il s’était retiré dans la solitude après l’échec d’une précédente expérience cénobitique (375-376) » commente Guido Cornini directeur du département de l’art des XVe et XVIe siècles des Musées du Vatican.
Le Saint Jérôme : passion et humanisme de Leonard de Vinci
« Chef d’oeuvre absolu » pour Barbara Jatta directrice des musées du Vatican le Saint Jérôme témoigne de la maîtrise technique de Léonard. Indéniablement aussi de sa connaissance des ressorts des émotions humaines.
De son côté Guido Cornini détaille « le rendu anatomique des os et des membres. (La figure de saint Jérôme) est centrée sur l’inclinaison du torse et le dessin nerveux des épaules et du cou, marqués par la tension des tendons visibles, sur lequel un crâne chauve et un visage étonnamment émacié se détachent avec une expression douloureuse ». Jérôme un genou en avant dans une position sculpturale va se frapper le torse de son bras rendu. Son regard habité évoque une lourde souffrance mais suggère peut-être aussi qu’il n’est plus vraiment là, perdu dans une transe. Un paradoxe se dessine alors. Léonard peint à la fois une la présence paroxystique d’une douleur profondément humaine et une absence ou du moins un état de conscience modifiée.
Nietzsche verrait dans cette presque furor platonicienne une illustration parfaite de mortification en totale contradiction avec l’esprit dionysiaque de célébration de la vie. Toutefois on ne peut qu’être bouleversé par ce corps d’ascète traversé par les émotions.
Technique et non finito
Leonard de Vinci donne à ressentir la Passion selon saint Jerome d’après les commissaires Jatta et Cornini. « La pierre qu’il tient entre ses mains mais aussi le lion, le chapeau de cardinal et le crucifix sont autant d’éléments qui font allusion à la vie du saint » explique la spécialiste de Vinci.
Le saint Jérôme est une huile sur bois de noyer. « La très grande qualité du dessin
et la maîtrise de la technique picturale, procédant par glacis superposés dans les zones de clair-obscur, indiquent avec certitude la main de Léonard » estime Guido Cornini. Presque littéralement. Car ce tableau oscillant entre dessin et peinture a été « adoucit » au doigt. Des traces de la main du génie ? Sans doute.
On distingue également les techniques d’essuyage et de peinture au tampon. Le Saint Jérome est classé 100 % leonardien.
Composée de deux parties assemblées verticalement, le Saint Jérôme se caracté-
rise par ailleurs par un non finito (« inachevé ») présent dans de larges parties de la peinture. Incontestablement une aubaine pour l’analyse des méthodes d’exécution de l’artiste. Tout d’abord dessins au pinceau dans des tons bruns du corps du saint, du lion et du paysage sur une base de plâtre, de colle et de séruse. Puis pose de l’imprimature, une couche semi translucide à base de blanc de plomb. Les experts soulignent qu’elle adouci les éléments graphiques qu’il ne souhaitait pas développer dans la phase suivante.
Triple mystère : l’inachèvement, le commanditaire, la datation
Certes Le non finito aide à suivre les étapes de réalisation mais il pose également de la finalité du tableau.
Oeuvre laboratoire ou mystique ? Illustration du perfectionnisme du maître qui revenait sans cesse sur ses œuvres ? Ce qui explique d’ailleurs qu’il n’existe qu’une quinzaine de tableaux reconnus. Si Leonard était son propre commanditaire rien ne l’obligeait à poser la touche finale.
Mais d’autres hypothèses sont avancées. Dont une commande de l’abbaye florentine où se trouvait le tombeau familial du peintre. Ou encore celle d’une confraternité de Saint Jérôme.
Ses interrogations sur le commanditaire se doublent de questions relatives la datation du chef-d’œuvre. Elle oscille en effet entre les périodes florentine (1478-1481) et milanaises (1482-1490). La thèse en faveur de Florence tient à la proximité stylistique avec l’Adoration des mages commandée en 1481. Quant à l’option milanaise elle s’ancre dans le paysage similaire à celui de La Vierge aux rochers réalisée entre 1483 et 1489.
À cela il faut ajouter l’histoire mouvementée du tableau dont on retrouve la trace chez Anjelica Kauffmann une célèbre collectionneuse du XVIIIe siècle puis chez le cardinal Fesch oncle de Napoléon. Avant de disparaître pour être déniché, dit la légende, en deux morceaux. L’un chez un brocanteur l’autre chez un cordonnier.
Des mystères qui ne peuvent que piquer la curiosité pour cette oeuvre visible derrière une vitre blindée, doublée d’un caisson à hygrométrie contrôlée.
Le château du Clos Lucé et les jardins : Leonard et la nature
Léonard vécu trois ans au Château du clos Lucé ou il mourut le 2 mai 1519. François Ier l’avait invité et promu architecte, ingénieur et peintre royal. « Il avait emmené avec lui les trois chefs-d’oeuvre: la Joconde, la Sainte Anne et le Saint Jean-Baptiste, exposés aujourd’hui au Louvre » rappelle Francois Saint-Bris propriétaire du domaine. Des reproductions de tableaux se trouvent, à l’exception de la Joconde, dans l’atelier de Léonard.
Lors de la visite on découvre aussi sa chambre avec un lit de 2 m qui semble minuscule, écrasé par l’étendue de la pièce.
Le parc quant à lui rend hommage à l’amour de Léonard pour la nature. D’une part à travers des accrochages dans les arbres d’images de reproductions de toiles iconiques donc le Saint Jérôme pénitent. Mais aussi à travers des reprises d’études d’insectes, d’animaux et de plantes effectuées par le maître.
INFOS
Château du Clos Lucé – Parc Leonardo da Vinci
2 rue du Clos Lucé – 37400 Amboise
Tél. : + 33 (0)2 47 57 00 73
infos@vinci-closluce.com
https://vinci-closluce.com
DATES 🗓 Exposition du 10 juin au 20 septembre 2022
PRIX 💶
Adulte : 18 € Tarif réduit : 16 € Pass famille : de 52 à 54 €
Y ALLER
En train 🚆 départ PARIS – Gare d’Austerlitz -Amboise environ 2 h. Navette du centre d’Ambroise au Château du Clos Lucé.
En voiture 🚗 2h30 depuis Paris ou Nantes
DÉJEUNER 👨🍳
L’Auberge du Prieuré : service en costume l’époque et cuisine inspirée de la Renaissance.
Crêperie, La Terrasse Renaissance : pins, cyprès d’Italie et roses Mona Lisa avec vue sur le château.
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