Sally Gabori la mystérieuse artiste contemporaine aborigène à la Fondation Cartier
Sally Gabori la mystérieuse artiste contemporaine aborigène à la Fondation Cartier . À 80 ans Sally commence à peindre et crée un monde unique sans lien avec les codes de la peinture aborigène. Une célébration de son île perdue. Une voix unique et éblouissante sur la beauté de la nature, l’exil et la transmission.
Des formats de 6 m où explosent des couleurs vibrantes dessinant des abstractions denses. Un langage pictural autant que tribal et familial. Tel est le monde de Sally Gabori.
Le mystère Sally Gabori et la condition aborigène
La Fondation Cartier pour l’art contemporain présente la première exposition française consacrée à l’artiste aborigène kaiadilt au parcours pour le moins atypique.
En effet Sally Gabori a commencé à peindre en 2005 à l’âge de 80 ans lors d’un cours d’initiation. Son œuvre s’étale sur 10 ans et se révèle prolifique. À sa mort en 2015 elle laisse plus de 2 000 toiles.
Quel est le déclic, la clef du passage à l’acte créatif à cet âge avancé ? On ne sait pas. Selon Nicolas Evans, anthropologue spécialiste des langues aborigènes « Ce soudain élan de créativité artistique semble venir de nulle part. Le secret se trouve à l’intérieur, dans la manière dont elle avait appris à voir le monde ». De même la peinture de la créatrice ne semble s’inspirer d’aucun courant. Sally Garori est une énigme.
Toutefois si l’on regarde d’où l’artiste à regardé le monde certaines évidences s’imposent.
Mirdidingkingathi Juwarnda Sally GaborI nait en 1924 sur de l’île Bentinck, dans le golfe de Carpentarie, dans le nord de l’Australie. Ce nom occidentalisé comprend une référence à l’animal totem juwardna, le dauphin, et à une crique située au sud de son l’île natale. Pas de surprise. En effet chez les Kaiadilts le nom est intimement lié au lieu de naissance.
La mémoire d’une terre
Sally vit une vie traditionnelle jusqu’au départ de sa communauté vers l’île de Mornington en 1948. Les missionnaires presbytériens appliquent alors aux Kaiadlits la politique d’assimilation forcée qui a cours sur l’ensemble du territoire australien. À savoir : séparation des enfants et des parents, acculturation avec notamment l’interdiction de parler le kayaldild, la langue autochtone, conditions de vie précaires dans des campements. Parallèlement les terres ancestrales sont confisquées. Sally et sa communauté doivent attendre 1992-1993 et la généralisation du Title Act (1) pour retrouver leurs biens. Elle retourne alors à Bentinck, plus précisément à Nyinyilki, où elle va peindre. Mais faute d’infrastructures de base Sally doit revenir à Mornington.
Le déracinement est bien évidemment douloureux et la nostalgie omniprésente. Les créations de Sally Gabori sont de manière intrinsèque une célébration de la beauté particulière de l’île perdue. L’expression « d’un traumatisme et d’un amour immense » selon Bruce Johnson McLean, conservateur spécialiste de la peinture aborigène.
Une oeuvre qui se démarque de l’art contemporain aborigène
Sally Gagori se distingue également par la singularité de l’œuvre. Certes ses peintures partagent avec l’art aborigène un coté cartographique. Une manière de nommer les lieux et de dire des endroits où des hommes et des femmes sont nés. Toutefois Sally se s’ancre pas directement dans Le Temps du Rêve. Cette mythologie-cosmogonie selon laquelle les Grands Ancêtres ont créé les choses en les nommant ou en les chantant au fil de leur parcours. Et, ce qui rejoint la cartographie, permet donc de savoir où l’on se trouve exactement sur un territoire. Les créations de Sally indiquent bien où l’on se trouve et l’endroit ou les habitants sont nés. Mais à Bentinck. Nulle part ailleurs. Le cœur de l’oeuvre est l’île perdue et la famille.
Autre singularité, Sally Gabori s’adopte pas le « pointillisme », les cercles ou encore le penchant pour les couleurs ocres, centrales dans les célèbres peintures sur écorce de la Terre d’Arnhem. Les Kaiadilts non pas de tradition d’expression artistique sur sols, corps, objets. Sally Gabori invente un style, un monde issus de sa mémoire visuelle. Et chaque toile est un spectacle résultat des coups acharnés de pinceaux fins appliquant une l’acrylique non diluée. La texture comme la couleur est dense, résultat d’un goût prononcé pour la superposition de couches de matière.
Un regard kaiadilt sur la terre, la mer, le ciel
Au delà du traumatisme de l’exil, Sally célèbre la vie à travers les paysages et les humains. « Elle travaille les pigments de manière très original notamment pour parler des phénomènes climatiques comme les Morning glories, ces cylindres de nuages typiques des matins australiens » explique Juliette Lecorne. « Dans le golf de Carpentarie le climat est violemment contrasté. Sally s’est nourrie de ses variations infinies de lumière ». La commissaire de l’exposition souligne par ailleurs le travail sur les formes, les superposition de surfaces, les formats. Sally Gabori a commencé par peindre de petits formats puis de très grandes toiles à la dimension de son attachement à sa terre. Le geste est appuyé et audacieux. Elle peint avant que la première couche soit sèche ce qui permet à la coloriste de créer des nuances autant délicates que vibrantes.
La scénographie s’étale sur deux étages et comprend une trentaine de toiles. Elles donnent bien entendu à voir les sources d’inspiration de l’artiste : la terre, le ciel, la mer, la famille. Et c’est alors tout un monde d’aplats larges et appuyés, d’accents noirs ou blancs, de couleurs brisées, de touches perpendiculaires que l’on découvre.
Variations sur paysages et portraits
L’exposition montre une artiste contemporaine aborigène qui peint des séries autour des paysages de son enfance et de son adolescence. Des lieux, répétons le, également liés aux membres de sa famille.
Ainsi Thundi est le territoire du père de Sally au nord de Bentinck. Les toiles renvoient aux tourbillons blancs de nuages des Morning glories comme aux étendues de vase et de sable et à l’écume de l’embouchure de la rivière.
De même My country parle le Mirdidingki, lieu de naissance de Sally. Elle y pêchait, activité attribuée aux femmes comme le tressage de paniers. L’artiste dessine les murets de pièges qu’elle posait dans les rivières. Mais aussi la mangrove verte et les coquillages circulaires, les bancs de sables et les récifs coralliens.
Mais le site que la coloriste a le plus souvent représenté est Dibirdibi. Lieu associé à son mari, Pat, héritier du récit associé à l’ancêtre Dibirdibi. Selon la tradition, Morue de Roche en creusant a créé les îles avant d’être dévorée. Le récit ancestral fait écho à l’élévation du niveau de la mer qui façonna les îles Wellesley après la dernière glaciation. Les toiles symbolisent des bandes de terre salée, des crêtes rocheuse, des nénuphars, des tortues et bien sûr la source où mourru Dibirdibi.
Toujours associée à la famille et au paysage, l’exposition accroche des toiles liées à Makarrki, la rivière du Nord terre de son fière et à Dingkarri, récif de corail à la pointe de l’île de Sweers et terre de son grand père.
Enfin la Fondation Cartier présente deux œuvres collectives réalisées au centre d’art de Mornington. Elles ont été crées avec les sœurs et les nièces de Sally toutes nées à Bentick.
Un témoignage autant qu’un support de transmission afin que la culture Kaiadilt perdure.
INFOS
(1) Title Act : donne la possibilité aux Aborigènes de faire valoir leur droits de propriété foncière auprès des tribunaux
Fondation Cartier pour l’art contemporain
Exposition Mirdidingkingathi Juwarnda Sally GaborI
261 boulevard Raspail 75014 Paris https://www.fondationcartier.com/
🕘 Tous les jours de 11h à 20h, sauf le lundi.
Nocturne le mardi, jusqu’à 22h
🗓 du 3 juillet au 6 novembre 2022
💶 prix des billets : adulte 11 € réduit 7,5 € pass Cartier 18 à 50 € Réservations en ligne https://fondation-cartier.tickeasy.com/fr-FR/accueil
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