Faut-il voyager pour être heureux ?

Faut-il voyager pour être heureux ? Expo réponse de la Fondation EDF qui part en vacances à Clermont pour interroger, à travers l’art, le plaisir du voyage, ses moteurs, ses enjeux environnementaux ainsi qu’un futur à inventer.

Forte de son succès à Paris « Faut-il voyager pour être heureux » (92 000 visiteurs) s’installe cet été à Clermont-Ferrand (Auvergne-Rhône-Alpes). Ce déplacement fait partie de la politique d’itinérance des expositions voulue par la Fondation EDF.

Je vais craquer si je ne pars pas : le confinement source de l’expo

L’idée a germé durant le Covid alors que la France rêvait d’ailleurs lointains ou proches car un petit bout de parc, un jogging autour du pâté de maison relevaient alors de la survie. Des appli avaient d’ailleurs commencé à vendre des voyages de type « Découvre ton quartier en une heure ». In fine, le confinement devait conduire à un changement de paradigme, au triomphe du tourisme de proximité. La société des loisirs et les migrations de masse allaient devoir régler leur logiciel car l’imaginaire des antipodes serait supplanté par celui des régions. Le bonheur du voyage se trouverait dans le pré et non plus sur une plage surpeuplée.

Aujourd’hui, si le vanlife a le vent en poupe et si la vogue du patrimoine booste le tourisme en région, les lignes bougent sans se presser. Ainsi, on n’a jamais autant volé. Selon l’association FlightRadar24, le 6 juillet a pulvérisé le record du nombre de vols commerciaux. À savoir 134 386. Dans un autre registre en Grèce le « mouvement des serviettes » renseigne sur la montée en puissance de la privation des plages. Mais dans le même temps, il montre que l’engouement pour la bronzette en mode sardines ne se démord pas. La plage et la mer restent des fondamentaux du bonheur estival.

Un autre critère entre en jeu dans le voyage. L’affichage sur les réseaux et le récit de retour. Voyager est un indicateur social de bien-être, une norme, un impératif de bonheur cadré. Et toi tu as es allé(e) où pendant les vacances ? Répondre nulle part est un signe de singularité. Plus généralement c’est la loose. Répondre à Cabourg avec le Secours populaire renseigne sur le statut social : pauvreté et précarité. La loose aussi par rapports aux images d’ultra luxe diffusées par certains intagrameurs Dubaïotes de cœur et de carte platinium.

32 artistes se questionnent sur le rapport au voyage

L’exposition qui a donc pour origine « la mobilité contrariée » aborde plus ou moins ouvertement ces thèmes. En particulier le surtourisme et les enjeux environnementaux, l’uniformisation ou encore le voyage contraint des migrants. Elle se défend en revanche de toute vocation moralisatrice. Car « Faut-il voyager pour être heureux ? » se veut aussi « une invitation au plaisir et à l’émotion pour découvrir d’un autre œil l’univers du voyage ».

Les organisateurs ont demandé à 32 artistes nationaux et internationaux de questionner leur rapport à cet univers. Résultat, une cinquantaine d’œuvres : installations, peintures, vidéos ou encore photographies. Le commissariat pluriel réunit les très dynamiques, Nathalie Bazoche de la Fondation groupe EDF, Alexia Favre ancienne directrice du MAC VAL et Rodolphe Christin, sociologue spécialiste de l’environnement.

Au menu : des approches qui interrogent le voyage en lui même, des expériences politiques, poétiques, intimes et décalées.

L’art à travers les prisme de l’environnement, l’uniformisation, les migrations et les imaginaires

Mark Willinger documente les arrivées d’aéroports au son du Miserere

En guise d’accueil la saisissante installation d’Ange Leccia, un Arrangement de globes terrestres, interpelle bien évidemment sur l’absence de planète B (voir photo principale). Mais aussi sur les imaginaires autour du tourisme spatial.

Les voyages et ses impacts sur l’environnement sont également interrogés par une vidéo qui s’attarde sur un endroit idyllique quelque part en Croatie. Un paradis dont l’artiste refuse de donner nom et position. Une tendance qui se développe timidement sur les réseaux afin d’éviter l’envahissement de lieux secrets et préservés. Une résistance à l’heure où la planète est quadrillée jusqu’un plus humble sentier de randonnée. Un contre courant, un coupe feu face aux afflux de touristes instagrameurs.

De leur côté Stéphane Degoutin et Gwenola Wagon sont paris d’un constat. Il existerait 5 milliards de postes postales de la Tour Eiffel dans le monde. Les artistes ont alors travaillé sur l’essentialisation. La réduction d’un lieu à un symbole. Le duo propose ici douze cartes postales de banlieues. Objectif, orienter le regard vers le quotidien, l’ordinaire également composante du voyage. Une sorte d’ultra proximité face au surtourisme.

Dadide Belula fait voyager sa valise qui enregistre le son d’un vol Paris-New-York

On l’oublie souvent mais le voyage passe par les objets et les structures. Ainsi Dadide Belula fait voyager sa valise qui enregistre le son d’un vol Paris-New-York tandis que Mark Willinger documente les arrivées d’aéroports au son du Miserere.

Le voyage et l’intime

Loin des flux et de l’uniformisation, certains artistes explorent l’intime dans le voyage. Ainsi Barbara et Michael Leisgen photographient leur corps en dialogue avec la nature. Notamment avec cette photo où le corps fait corps avec le soleil.

Barbara et Michael Leisgen voyager pour faire corps avec le monde

Le performeur Abraham Poincheval expose son gyrovague, à la fois « roulotte » circulaire et caméra obscura. Son expérience artistique consiste à parcourir dans des conditions très précaires les Alpes françaises et italiennes. Un retour aux racines du voyage, confrontation à l’environnement et à l’inconnu. Mais aussi rencontres, plaisir et richesse de l’échange.

Abraham Poincheval expose son gyrovague

Des expériences aux antipodes des colonisations du tourisme de masse tel que le saisit de manière spectaculaire Santiago Sierra avec Inlander Raus (Natifs dehors). La photo dénonce la présence allemande massive à Majorque parfois considérée comme une province germanique. Un surtourisme qui ne bénéficie ni aux locaux ni évidemment à l’environnement.

Le voyage contraint : les migrations

Bottari Truck-migrateur Kimsooja 2007 /@ Kimsooja – MAC VAL / Adajp Paris

Faut-il voyager pour être heureux ? La réponse est résolument non pour les migrants qui fuient, guerres, dictatures, extrême pauvreté.

Taysir Batniji expose une œuvre créée pour une exposition à Marseille. Composée de savon de … Marseille, ville symbole de migration, elle rappelle le droit à circuler défini par l’article 13 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme.

Mais une fois arrivé(e)s à destination l’aventure, le voyage se poursuit. Sinon toujours, du moins souvent version galère. Ainsi Kimooja à travers la vidéo Bottari Truck-migrateurs (1) rappelle l’itinérance des expulsés de l’église Saint-Bernard (Paris 18ème) en 1996.

(1) le bottari est un balluchon fait d’un tissu traditionnel coréen, le bojagi.

Les imaginaires

Polaroid Kid de Mike Brodie, une série de 7 000 clichés sur les nouveaux Hobos qui sillonnent les États-Unis en sautant dans des trains.

Parmi les imaginaires on retient le travail documentaire de Mike Brodie sur les jeunes travellers américains. Une série de 7 000 photographies sur ces hoppers héritiers des hobos qui sillonnent le pays en sautant de train en train. Le voyage est ici un mode de vie.

Nathalie Talec Cinq minutes sur la route du pôle / @Nathalie Talec 1983 / @MAC VAL /Adagp

Toujours dans l’esprit des voyages extrêmes, Nathalie Talec, passionnée des expédition du Grand Nord livre une œuvre entre art et exploration. Assez décalée. Ainsi ce cliché d’une sortie de métro en combinaison polaire et rackets swarowski.

Enfin changement radical d’imaginaire chez Julie Fortier qui crée un voyage olfactif. Avec 60 000 touches à parfum et 4 parfums différents l’artiste compose ainsi un paysage mouvant. Objectif : évoquer une itinérance à travers 4 types de ciel du clair au sombre orageux.

INFOS

Photo principale : Ange Leccia Arrangements Globes terrestres 1990-2021

Faut-il voyager pour être heureux ?

Salle Gilbert Gaillard 2 rue Saint-Pierre
63000 Clermont-Ferrand

Jusqu’au 17 septembre

Clermont-Ferrand https://clermont-ferrand.fr/

Clermont Auvergne Tourisme https://www.clermontauvergnetourisme.com/

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