Johan van der Keuken met en rythme le réel
Johan van der Keuken met en rythme le réel au Jeu de Paume dans une exposition qui rassemble près 150 photographies, documents et maquettes originales autour d’une dizaine de courts métrages. Cette grande rétrospective plonge dans l’univers d’un photographe et réalisateur qui déconstruit à la manière des cubistes, inscrit l’espace dans les scansions musicales, explore la mal voyance à travers une alter lumière, « hors cadre » les conflits du monde et la condition humaine.
Johan van der Keuken : le who’s who du Hollandais planant
Johan van der Keuken nait le 4 avril 1838 à Amsterdam aux Pays Bas. À 12 ans son grand père l’initie à la photographie. Il publie son premier livre de photos seulement 5 ans plus tard. Précoce et assoiffé d’images Johan van der Keuken s’inscrit en 1956 à l’IDEC (Institut des Hautes Études Cinématographique- Paris). Celui que le critique de cinéma Serge Danay surnomme le Hollandais planant ne cessera jamais d’explorer les deux médias même s’il déclare plus tard que la photo lui sert de croquis pour ses essais documentaires ou plus largement ses recherches visuelles qui le rapprochent des expérimentateurs comme Jean-Luc Godard.
Très tôt il intègre le son à son travail. Car le son est chez l’artiste un moteur voire un déclencheur. Il structure les images tout comme le montage scande l’œuvre. On pense dans un autre registre à l’approche musicale du montage d’Artavazd Pelechian.
Le travail de Johan van der Keuken reflète évidemment l’environnement artistique de l’époque marqué par le cubisme, les nouvelles formes narratives. Il intègre ainsi la musicalité et l’approche des mots de la poésie. Notamment celle de son ami Lucebert, fondateur du mouvement littéraire néerlandais Vijftigers.
Entre 1960 et 2 000 il réalise une cinquantaine de films. Il meurt à Amsterdam en 2001.
Scénographie en cinq actes pour près d’un demi siècle de création
Les commissaires, Frits Giertsberg et Pia Viewing, structurent le parcours et l’œuvre de Johan van der Keuken en cinq salles. Cinq actes qui couvrent l’ensemble de son travail entre 1955 et 2000. À l’entrée de chaque salle un court-métrage dialogue avec les accrochages. L’exposition présente également, pour la première fois en France, les maquettes originales de certains de ses livres photographiques.
Un récit derrière les vitres
Honneur aux proches tout d’abord avec les photos de la série nos 17 ans. De Lucebert à Ed van der Elskenen par la fragile évanescence des jumelle qui fait écho au photographe qui se photographie. Une réflexion sur le double, autant qu’un questionnement sur le positif et du négatif. Johan van der Keuken donne « un récit derrière les vitres dans lequel tous les angles sont appréhendés » estiment les commissaires.
Un court-métrage dont le héros est le chat du photographe témoigne de l’engagement dans le monde.
Le corps ville et le corps cadré
Avec Paris mortel (1963) Johan van der Keuken met dans un premier livre une série de photos qui font suite à son film Paris à l’aube (1960) où il traite des mouvements sociaux. L’exposition montre des clichés d’ d’individus en mouvement, des portraits, des gestes, des instants, des instantanés de rue, le métro et des scènes nocturnes. Le corps encadré par la ville. Dans l’exposition sur Cartier-Bresson l’Œil du siècle (BnF 2021), l’écrivain Xavier Cercas suggère que l’essentiel est hors du cadre. Une réflexion que peut aussi aborder Johan van der Keuken en interrogeant le rapport entre le sujet et les limites du cadre que lui donne la photographie.
Ville et corps, mouvement vertical et horizontal rythmés par la musique. « Johan van der Keuken est inspiré par les minimalistes comme Philippe Glas et plus tard par le jazz » poursuivent les commissaires. « Les répétitions des mouvements de caméra s’inspirent de celles des musiciens ».
Dans les années 90 le film sur Amsterdam notamment aborde la question de l’énergie des corps. Les moments de pause alternent avec le corps en mouvement. « C’est un travail sur tous les rythmes, internes, intimes, pleins, vides, complexes, élémentaires ». Bref « une interrogation sur l’essence des choses et sur ce que nous regardons ».
L’espace la mémoire
Johan van der Keuken analyse une situation par la perspective et le découpage. Le motif du déplacement du regard du photographe fait référence au cubisme. Une photo illustre indéniablement cette approche. Celle bien évidemment où les plis des draps sont les courbes inversées de la montagne vue par la fenêtre. Les draps ressemblent à la montagne et la montagne ressemble aux draps. « Ce cadre dans le cadre ainsi que la reconstruction de la réalité pour la comprendre font directement référence au cubisme » notent ainsi les commissaires Frits Giertsberg et Pia Viewing.
Chez Johan van der Keuken si l’espace est le territoire de la surface, le temps est le plan de l’émotion. L’exposition montre ainsi un court-métrage, où en gros plans, des mains déplacent extrêmement lentement des lettres et des enveloppes. « C’est un travail sur la mémoire et le cadrage » précisent les commissaires. L’émotion explose à travers cette lenteur qui rend le passé et le vécu humain présents et donc expose une vie qui peut-être est perdue ou se perd.
L’engagement le monde et ses reflets
Au début des années 70, Johan van der Keuken s’engage ouvertement. Il parcourt l’Europe et les Balkans, l’Afrique, l’Inde, le Vietnam, la Palestine, l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud avec sa femme preneuse de son.
Mais il interroge également le handicap. Ainsi un film sur la mal voyance expérimente l’expérience du réel par les autres sens.
Un autre essai filmique, montre un homme escaladant une montagne afin de saluer une icône. On ne voit pas l’homme juste ses pieds. Il est hors cadre. Un hors cadre qui dégage une forte émotion faite d’une présence-absence. L’absence imminente peut-être de l’artiste qui atteint d’un cancer va disparaître.
Ce que laisse notamment Johan van der Keuken en héritage est le rapport à ce hors cadre alors que l’on se noie dans un déferlement de datas. Un moment de l’histoire où l’on ne regarde plus qu’à travers le cadre étroit de nos devices les reflets du monde.
INFOS
Johan van der Keuken Le rythme des images
Jeu de Paume https://jeudepaume.org/
Jusqu’au 17 septembre
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