La Danseuse Patrick Modiano dans les limbes

La Danseuse Patrick Modiano dans les limbes .Le dernier livre du prix Nobel de littérature 2014 enquête sur un souvenir dans une atmosphère et un Paris crépusculaires. L’écrivain parsème son récit d’éléments biographiques et poursuit l’exploration de la mémoire, du temps perdu et des destinées singulières.

Le narrateur croise par hasard un homme qu’il a connu il y a longtemps. Environ une cinquantaine d’années plus tôt. Serge Verzini. Le protecteur d’une danseuse et de son fils. Comment était-elle d’ailleurs. « Brune ? Non, plutôt châtain foncé avec des yeux noirs. Elle est la seule dont on pourrait retrouver des photos. Les autres, sauf le petit Pierre, leurs visages se sont estompés avec le temps. » D’emblée Patrick Modiano plonge dans un temps flou, une mémoire évasive.

Une autofiction polar dans un entre-deux-mondes

La danseuse est une autofiction très appuyée. Le père de Patrick Modiano était un homme d’affaires douteux comme le protecteur de La Danseuse et le père de son fils, Pierre. La mère de l’écrivain était artiste, comédienne plus précisément. Enfant, Patrick Modiano est placé à Biarritz, comme Pierre dans le livre, et voit sa mère le week-end.

Il y a du polar dans La Danseuse. Tout d’abord la narrateur enquête. Il remonte des pistes, reconstitue un puzzle. Pas celui d’un crime mais celui d’un épisode de sa vie. Ensuite parce qu’il esquisse des portraits de bandits que l’on pourrait croiser dans les films des années 50. Il travaille également le mystère. Celui de la danseuse, de son protecteur, du père de son fils.

Patrick Modiano place sa recherche entre le Paris de sa mémoire et un Paris contemporain qui le déstabilise, qu’il le reconnait plus avec ses cohortes de touristes aux mêmes valises, aux même looks. Où vont-ils se demande l’auteur ? Lui-même semble d’ailleurs en pleine errance dans un entre-deux-mondes.

Les couleurs sont absentes. Le gris et le noir dominent. L’action se déroule la plupart du temps au petit matin, le soir ou la nuit.

Les gares parisiennes sont des portes entre les mondes. Ainsi la danseuse arrive le matin à Gare du Nord pour aller au cours de Boris Kniaseff, un professeur Russe reconnu dans la profession. Un passage entre un monde, celui, trouble, de Saint-Leu-la-Forêt et un autre, celui, rassurant et émancipateur, du studio Wacker. De même, elle accueille son fils à Gare de l’Est. Là aussi une porte entre quelque chose de vague et un avenir plus certain. Plus loin elle récupère une mallette pleine de billets dans une église proche de la gare Saint-Lazare. L’argent d’origine douteuse lui assurera une sécurité matérielle.

Les églises oscillent parfois entre lieu de culte et espace de transgression. Le flou toujours, l’entre-deux-mondes.

Les lieux, restaurants, bars, ont également une connotation d’irréalité : la boite à Magie, le Trou dans le mur …

Danse, marche et mémoire

L’enquête sur cet épisode évanescent de sa vie du narrateur, la reconstitution de ce moment, se fait en marchant. À travers Paris. On va de la gare du Nord à la place de Clichy en passant par les larges avenues entourant l’Arc de triomphe. Une nuit, le narrateur marche de la Rive gauche à la Rive droite en traversant les ponts et en voyant la vie devant lui près des Tuileries. Le livre explore les quartiers pour les attacher à des moments clefs de reconstruction du souvenir. Le studio Wacker où la danseuse se construit, la chambre vétuste de la rue Chauveau-Lagarde où la narrateur commence à écrire.

La marche est aussi constitutive des personnages. La danseuse avalent des kilomètres pour « défaire les nœuds« . L’allure et la densité d’adhésion au sol sont essentielles. La danseuse marche afin que le corps s’épuise et puisse rompre avec la pesanteur.

Récit court et fin éternelle

La Danseuse est un livre très court de 96 pages. Un concentré d’autofiction avec des thèmes fouillés livre après livre par Patrick Modiano. L’abandon, la survie … « La danse disait Kniaseff est une discipline qui vous permet de survivre (…). Il expliquait (à la danseuse) que « cette discipline donne vraiment un sens à la vie et (…) empêche de partir à la dérive ».

Ce récit bref ouvre sur l’éternité. « Pierre rit de plus en plus fort. Et nous reprenons notre marche tous les trois dans la nuit jusqu’à la fin des temps ». Une ouverture sur un hors temps, un monde de limbes. Mais aussi une résistance, une espérance de survie face à l’abandon et au monde qui se délite.

Il faut parfois de la discipline pour finir ce roman qui, malgré ses qualités littéraires, a un léger goût de déjà lu et de nostalgie pâteuse.

INFOS

La Danseuse

Patrick Modiano

Éditions Gallimard

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