Iris van Herpen sculpte les sens au musée des Arts décoratifs

Iris van Herpen sculpte les sens au musée des Arts décoratifs . Femmes poisson ou encore silhouettes squelette, la créatrice néerlandaise est connue pour son vestiaire haute-couture onirique, spectaculaire et futuriste qui puise dans le biomimétisme comme dans la haute technologie. La scénographie en neuf étapes magnifie un imaginaire singulier et met en scène plus de 100 robes iconiques -ode aux océans, à la terre, à l’air- qui dialoguent avec l’art contemporain. Entretien avec Cloé Pitiot co-commissaire de l’exposition « Sculpting the senses ».

Iris van Herpen, est un peu la Zara Hadid de la mode. Avec un souffle, pour le design, de Charlotte Perriand et ses créations en coquillages, os, vertèbres de poisson. Ou plus récemment de Neri Oxman auteur notamment du Silk Pavilion (2013) un bâtiment dôme construit par 6 500 vers à soie guidés par une structure en nylon. Et de la sculpture Ocean Pavilion (2015) à base d’eau et de chitosan, un dérivé de chitine, polymère abondant par exemple chez les crabes. Ces œuvres s’inspirent en effet du biomimétisme et célèbrent le mouvement et les formes naturelles. Toutes sont, ou étaient, avant-gardistes. Toutes aussi sont conçues par des femmes dans un univers encore ultra masculin.

Iris van Herpen en bref

Cristallization robe réalisée en impression 3D en 2010

Iris van Herpen est née en 1984. Dans le village de Wamel (Pays-Bas) où elle grandit au contact direct de la nature. Une expérience qui l’habite autant que la danse qu’elle pratique intensément. Après des études de mode et un passage chez Alexander McQueen, Iris van Herpen fonde sa propre maison en 2007 à Amsterdam. Quatre ans plus tard, la créatrice néerlandaise intègre la Chambre Syndicale de la Haute Couture à Paris. Elle présente en 2010 une robe réalisée en impression 3D. Crystallization est actuellement conservée par le musée des Arts décoratifs.

Robe Cosmica réalisée en collaboration avec Kim Keever – collection Shift Souls – collection privée Iris van Herpen

Iris van Herpen utilise des matériaux divers comme l’organza, le crêpe de Chine, la résine, le métal, le cheveu, le cuir ou encore le Plexiglas. Ces textiles connectés ou non se distinguent par leur côté innovant, hybride, résultat d’impression 3D et de découpe laser. Les formes empruntent à la nature : alvéoles, filaments de mycélium, bulles, onde, minuscules organismes marins …

La reine des Pays-Bas est apparue en Iris van Herpen lors de son dernier récent voyage à Paris. Mais la styliste habille bien d’autres « reines » comme Beyoncé, Lady Gaga ou Björk ainsi que des actrices et des mannequins stars comme Cate Blanchett ou Cara Delevingne.

Les créations d’Iris van Herpen ont autant leur place sur un catwalk que dans une galerie d’art contemporain ou pourquoi pas dans un musée d’histoire naturelle. En 2018 le défilé de la collection haute-couture « Ludi Naturae » a d’ailleurs eu lieu au Musée d’Histoire naturelle à Paris.

Entretien avec Cloé Pitiot

Robe collection Syntopia

Votre domaine est le design. Quel rapport avec la mode et Iris van Herpen ?

Olivier Gabet, le directeur du Musée des Arts Décoratifs, m’a confié cette exposition car effectivement je viens du design et il pensait que cette discipline s’inscrivait dans l’univers d’Iris van Herpen et dans sa démarche. Nous avons travaillé pendant cinq ans à raison de séances trimestrielles de trois à cinq jours à Paris ou à Amsterdam. Olivier Gabet m’avait dit qu’il considérait Iris van Herpen comme la créatrice la plus novatrice du moment. Mais il ne m’avait pas précisé qu’elle était discrète et timide. Donc qu’il était difficile de percer son univers.

Justement quel est cet univers ?

Ces univers plutôt. Car Iris van Herpen mêle le design, la mode, l’art, les sciences humaines et physiques. Elle explore les différents éléments du corps comme elle le fait pour les sciences naturelles ou encore les océans profonds. Par ailleurs elle s’inspire de la philosophie, de la neuroanatomie, de la mythologie. Elle questionne également le devenir du corps et de l’humain.

Iris van Herpen la mode du micro au macrocosme

Tout cela se retrouve dans la scénographique ?

Oui. On voyage du micro au macrocosme. C’est le parti pris de Nathalie Crinière qui divise par ailleurs l’exposition en neuf moments. Tout abord l’eau et le corps. Une ode puissante au plancton, aux coraux à la nature. Avec notamment une vidéo qui montre l’apnéiste Julie Gautier dansant sous l’eau dans une tenue de la couturière et sur une musique de Salvador Breed qui a imaginé une ambiance pour chaque salle.

On passe ensuite au monde des océans, aux forces du vivant et au monde invisible.

Mannequins en apesanteur dans la dernière salle – collection Shift souls

Enfin, les derniers parcours sont dédiés à l’atelier de la créatrice avec une table où des « poupées » portent certains modèles, un film et, sur les murs, les principales matières utilisées. Puis un voyage dans le cerveau d’Iris van Herpen, une sorte de cabinet de curiosités dark qui évoque les métamorphoses d’Ovide et les figures fortes de la mythologie comme la Méduse ou Médée. Le final est un voyage dans le cosmos avec des mannequins à l’envers, en apesanteur, une photo du CERN et une image de la Nasa. En écho à l’apnéiste du début, on découvre un film où la championne de parachutiste Domitille Kiger, habillée par la créatrice, tombe en chute libre et toujours en musique.

Cela résonne avec ce que je voulais. Une exposition à la fois intellectuelle et sensorielle avec des sons et des couleurs. Je désirais également instaurer un autre rapport aux robes, loin des podiums toujours en hauteur. Nous avons ainsi créé d’autres mises à distance des œuvres avec un dispositif de cercles en miroir.

Art contemporain et environnement

Quels sont les liens entre la mode, l’art contemporain et l’environnement dans l’exposition ?

Il y en a beaucoup car l’exposition est basée sur ce dialogue. Nous avons ainsi l’œuvre d’une artiste biologiste de formation qui travaille sur l’ostéoporose de la barrière de corail. Iris van Herpen est très impliquée dans l’environnement. Aujourd’hui son vestiaire utilise beaucoup le plastique recyclé en collaboration avec l’ONG Parley for the Oceans. Dans sa collection »Earthrise », conçue avec l’artiste Rogan Brown, elle choisit ainsi de magnifier le plastique recyclé.

Robe Hybrid Holism et pièce en cire d’abeille et verre de Tomás Libertiny avec en fond l’œuvre de Fanglu Lin

Il y a également le « coquillage » Nautilus de Wim Delvoye, le collectif Mé et sa vague, les œuvres de Ren Ri et de Tomáš Libertíny, composées par des abeilles, celles en papier de Rogan Brown, celle de Fanglu Lin et sa technique de filage et de nœuds.

On retrouve dans l’exposition des créations de Philip Beesley, Kate MccGwire, Damien Jalet, Kohei Nawa, Casey Curran, Jacques Rougerie, ainsi que des œuvres de design de Neri Oxman, Ferruccio Laviani. Également des pièces issues des sciences naturelles comme des coraux ou des fossiles.

Robes sculpturales et futuristes

Pourquoi ce titre Sculpting the senses ?

Robe de la collection Sensory seas

En référence au vivant bien sûr mais aussi à l’architecture et à la sculpture. Iris van Herpen est vue comme la sculptrice du corps. Un corps qui évolue entre terre et eau et dont le vestiaire est très inspiré par l’architecture aquatique de Jacques Rougerie. Comme les architectes, elle dessine des « habitats » pour des corps en mouvement, des corps projetés avec densité et légèreté sur une planète en mutation permanente.

Par ailleurs, en collaborant avec le sculpteur Anthony Howe, elle propulse l’être dans un futur imaginaire où l’habit serait lui-même en mouvement, un habit cinétique dialoguant avec la complexité de l’anatomie humaine, la beauté et la diversité de son environnement.

Robes et récits

Les robes iconiques ?

Chaque robe revendique une histoire, évoque le climat où les recherche sur le cerveau, chaque vêtement transmet un message. Les thématiques se succèdent et se pollinisent : l’eau, l’air, l’apesanteur, le squelette, la cristallisation, la métamorphose, l’hybridation, l’hypnose, l’âme, la synesthésie, le rêve lucide, la renaissance.

Installation autour des robes Skeleton

Le thème du squelette est inauguré par Skeleton la robe qui fait écho au squelette hybride d’une œuvre de l’artiste japonais Heishirō Ishinono. Les robes Architectonics renvoient à Jacques Rougerie.

Robe de la collection Hypnosis

Les tenues Hypnosis conçues avec le sculpteur expérimental Philip Beesley témoignent d’une dimension hypnotique de la nature et de la fragilité des équilibres. Elle évoquent également des états altérés de conscience, des voyages au delà des frontières de la perception. Le vestiaire de « Roots of Rebirth » est un hommage à la toile organique inframince et souterraine formée les filaments de mycélium. Célébration du gothique flamboyant, sa Cathedral Dress réinvente les codes du vêtement.

Robe préférée : hommage aux êtres microscopiques

Robe de la collection Syntopia

Votre robe préféré ?

Parmi toutes les robes exposées j’ai un faible pour celle qui s’inspire d’un petit animal marin. On y voit tout le travail d’Iris van Herpen sur la métamorphose, l’hybridation. Cette robe est un récit. Elle raconte comment le corps porte et révèle les éléments de la nature. On y trouve les visions holistiques du monde, le rapport à l’histoire de ceux qui, au XIXe siècle, ont découvert les êtres microscopiques. Ce petit animal est présent à trois endroits. Une chasse au trésor pour ceux prendront le temps de chercher. Un indice : les planches de Ernst Haeckel.

INFOS

Iris van Herpen exposition Sculpting the Senses

Musée des Arts Décoratifs

du 29 novembre 2023 au 28 avril 2024

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