Photographies au saut du lit méditations horizontales
Photographies au saut du lit méditations horizontales .Des clichés qui éclairent sur l’avant-gardisme et la créativité des femmes artistes du boitier. Dans les guerres, dans l’espace domestique et dans la sphère socio-économique. De Julia Margareth Cameron à Gauri Gill en passant par Zanele Muholi voyage dans de beaux ou de sales draps.
Le palais de Tokyo a récemment exposé les chambres d’hôtel de « Salut je m’appelle Lili et nous sommes plusieurs ». Une exploration de Lili Reynaud-Dewar où le lit, transitoire et support de récit, occupait une place centrale.
La démarche de l’artiste est loin d’être nouvelle ou isolée. Les éditions Actes-Sud publient un recueil d’une soixantaine de photos au féminin du XIXe siècle à nos jours. On y retrouve d’ailleurs une autre photographe, pionnière du boitier celle fois-ci, qui fait l’objet d’une vaste rétrospective au Jeu de Paume : Julia Margareth Cameron. Alors que l’activiste sud-africain-e Zanele Muholi vient d’avoir les honneurs de la MEP.
Le lit incarne l’intime et le social. La préface cite Annie Arnaux :
« Longtemps on ne l’a pas montré facilement. Pour une femme, ne pas faire son lit de la journée était considéré par le voisinage comme la preuve même du laisser-aller, le signe qui ne trompe pas sur son incapacité à tenir une maison (…) C’est dans le lit ouvert que j’ai appris à lire les taches. Toutes les femmes, liseuses de taches par obligation transmise de laver, de nettoyer, « selon la nature de la page de la tache », comme disent les conseils dans les magazines, de « ravoir ».
L’usage de la photographie – Annie Arnaux et Marc Aurie -Gallimard, « Folio », Paris, 2005 p.170-171
Pour Clara Bouveresse, l’auteur de Photographies au saut du lit, le lit a investi les deux domaines de prédilection de la photographie des origines. D’une part la mort, de l’autre la pornographie. Thanatos et Eros donc. Plus tard le meuble occupera toute les phases la vie et du quotidien. Il les balisera.
Lit défait et déconstruit : un nouvel imaginaire
Si l’approche universaliste de la photographie est remise en question par sa dimension coloniale et oppressive avec notamment un rapport de domination entre le preneur de vue et le capté par l’image, Clara Bouveresse veut encore espérer. Croire qu’une approche universaliste déconstruite est possible. Et que le lit en est un moyen à travers le regard de photographes femmes. Elles fixent leurs expériences, pointent les inégalités dans la répartition des taches ménagères et beaucoup de choses au-delà. Photographies au lit ne se veut pas exhaustif mais entend ouvrir les imaginaires sur ce meuble qui occupe 1/3 de notre temps.
Le lit : de la guerre aux moments de vie
Certes le travail de certaines photographes a été reconnu de leur vivant. Dorothea Lange avec sa couverture des Okies de la grande dépression, Sabine Weiss dans la veine humaniste ou encore Gerda Taro pendant la guerre d’Espagne. Lee Miller, Cindy Sherman, Nan Goldin, Sophie Calle sont également des noms qui parlent.
Mais le recueil ne montre pas forcement les clichés les plus connus de ces grands noms et s’attache bien sûr toujours au fil directeur : le lit.
Par ailleurs il attire la lumière sur des photographes comme Donna Gottschalk, militante talentueuse et encore peu connue des droits LGBTQIA+. (ici le travail de Hélène Giannecchini pour le promotion de l’œuvre de Donna Gottschalk).
Mais aussi sur des moments forts de vie et de mort. La photo prise par Abigail Heyman de son propre avortement. Celle de la mannequin Corinne Day après l’annonce de sa tumeur au cerveau. Le corps invisible ou presque d’une femme afro-américaine sous un drap dans un lit dit l’invisibilisation des corps des femmes non blanches. Celles-ci étant en revanche surexposées à l’érotisme. Difficile, voire impossible de se dégager des diktats. Le délicat portrait de Marilyn Monroe par Eve Arnold le montre à travers des draps froissés.
Projets collaboratifs : dépasser la hiérarchie
Les projets participatifs ou tissés par la confiance permettent de leur côté de briser une relation inégale. En couverture, l’activiste queer Zanele Muholi, dont la blancheur des draps fait ressortir le noir de la peau, met en avant un travail collaboratif au service de la dénonciation des violences et en faveur d’une plus grande visibilité. Mais également le regard « permis » de Susan Meiselas sur un foyer de femmes victimes de violences conjugales. L’instantané totalement flou d’une petite fille. Ou encore un cliché de Gauri Gill sur les communautés du Rajastan qui rompt avec les représentations coloniales. La photographe a en effet installé son studio dans une foire et donné aux modèles une seule directive : prendre les poses qu’elles souhaitent. Idem pour Daniela Rossi et ses modèle issues cette fois-ci des élites mexicaines.
La revanche animale
Enfin quelques clichés interrogent le rôle des animaux dans les représentations et les intérieurs. Les fables de Karen Knorr placent ainsi dans les musées et les châteaux des animaux jouant notre comédie humaine. Pesi Girsh pose sur un oreille un couple d’oies cendrées chassées pour réguler la population. Un cliché étonnant qui rappelle la taxidermie.
Chaque cliché est à découvrir, décrypter voire savourer. Un par jour … au saut du lit ou en y plongeant. En mode méditation horizontale.
INFOS
En couverture l’activiste queer Zanele Muholi dont la blancheur des draps fait ressortir le noir de la peau.
Photographies au saut du lit
Clara Bouveresse
Photo poche Éditions Actes-Sud
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