Livre Avec les fées Sylvain Tesson ou Ulysse en Celtie

Livre Avec les fées Sylvain Tesson ou Ulysse en Celtie . Une odyssée le long de l’arc atlantique sur la trace du merveilleux loin des hommes et au plus près de la nature.

Après la Panthère des neiges Sylvain Tesson poursuit sa quête du merveilleux dans une nature qui se mérite. Le cabotage en voilier le long de l’arc atltantique relève de l’art. Celui de prévoir et de gérer les périls : des surprises sournoises des hauts fonds aux caprices grandioses de la mer. En comparaison, Ulysse, figure de référence dans la mythologie de l’écrivain, naviguait en petit joueur. Sur une mer d’huile. Certes quand les dieux le voulaient bien. Mais ses périls : magiciennes ou monstres, Lestrygons ou Cyclope, étaient bien plus plus redoutables que les fées de Tesson.

“Avec les fées” c’est Ulysse-Tesson chez les Celtes. Une rencontre avec des créatures fruits d’un regard d’où surgit le merveilleux.

Car la fée :

“est une qualité du réel révélée par une disposition du regard. Il y a une façon d’attraper le monde et d’y déceler le miracle”. Alors évidemment pas question de la voir comme “une fille-libellule (qui) volette en tutu au-dessus des fontaines”.

L’arc celtique : ruban des fées

Sylvain Tesson navigue depuis la Galice jusqu’en Écosse. “Les promontoires de Galice, Bretagne, Cornouailles, du pays de Galles, de l’île de Man, de l’Irlande et de l’Écosse, dessinent un arc. Par voie de mer j’allais relier les miettes de ce déchiquetage. Sur cette tourbe, on était certain de capter le surgissement du merveilleux”. Pendant trois mois, le marin dessine des cartes à l’encre bleue, couleur dont il agrémente ses titres et ses numéros de page. Un grimoires océan.

L’arc celtique tout en granit et odeur d’iode forme un ruban de quelques mètres de large parfois à la frontière du lisier, parfois sectionné par les grillages de résidences secondaires. Au pays de Merlin, Leroy Merlin est maître badine l’auteur. Plus haut, les escarpements donnent sur des terres de moutons et d’Anglaises géraniums “cheveux bleus et veste rose”. Sylvain Tesson nous concocte aussi une leçon d’histoire-géographie sur les peuples d’Europe centrale venus se réfugier sans ces zones limites, coincées entre la mer et le danger des terres profondes. Il retrace la colonisation chrétienne, les invasions vikings, les querelles de “forgerons belliqueux”. Il s’attarde aussi sur les menhirs. Pourquoi donc ériger ces mégalithes ? Explication : pour montrer sa force. En faire des tonnes est une arme de dissuasion.

Pour Sylvain Tesson le merveilleux celte, celui des promontoires, vient d’une configuration plurielle : le paganisme forestier, les cultes telluriques, l’apport chrétien. Sans soute aussi de la météo. Des brouillards naissent les légendes.

Le Graal : du mouvement à la présence

Ulysse navigue pour rejoindre Ithaque. Il se frotte aux créatures magiques qui l’en éloignent. Sylvain Tesson quitte son appartement parisien. Le merveilleux le rapproche de sa patrie : le XII e siècle.

Le XII e siècle est indéniablement la référence absolue pour l’auteur. Son Graal perdu. Son parfum d’immuable qui s’estompe et qu’il faut toujours récréer. Le rempart contre la machine, le progrès, la consommation.

En Celtie, Sylvain Tesson croise évidemment le roi Arthur, les chevaliers, le Graal.

“En réalité, ce roi de légende n’était qu’un arbre de Noël : on lui faisait porter la guirlande qu’on voulait. Geoffroy de Monmouth servait les intérêts de son souverain Henri. Chrétien de Troyes en fit l’étendard de la chevalerie. Ils inventèrent tous les deux au passage le roman moderne.

En Bretagne, autour de la cour arthurienne, une constellation de nobles cœurs, cherchant l’amour et l’aventure, porta très haut les vertus magnifiques d’un siècle indépassé : le XIIe (…) Les Romantiques du XIXe siècle arrivèrent. Il reconnurent cette aventure (…). Ils revivifièrent la tradition en y versant leur sensibilité spirite et leur goût néogothique. Arthur assurait la navette entre les Celtes, le roi catholique, l’esprit romantique. Trois coups : l’épée, la croix, la plume”.

Ses cogitations voguent d’hypothèse en hypothèse. Un air de cabotage, une navigation spéculative qui perd un peu Nord. Le Graal serait d’abord le mouvement. Rien d’étonnant pour un écrivain voyageur. Mais ensuite se profile l’idée de la présence. Le Graal dans la présence ? Celle d’un XII e siècle adapté ? Non, mais sa célébration irrigue le roman. Toujours cette addiction au passé plein de “choses mortes, les meilleures” et de refuge pour les fées.

La fée sent la chaussette

“Avec les fées” est un voyage entre “camarades”. Sylvain Tesson navigue avec Arnaud Humann, l’homme des steppes et Benoît Lettéron, le marin. Le soir, on distribue les quarts et on fait le point sur le merveilleux. “Mes amis avaient de l’indulgence pour le vaseux. Ils écoutaient, patients. Humman tournait les crêpes. Benoît tirait sur un cigare du Honduras en remplissant le livre de bord”. Dans un pub ils éclusent des liquides ambrés ou une bière noire sur fond blond. Sauf l’auteur, au régime sec.

Pas de femme dans cette aventure. La fée sent la caserne et les chaussettes.

Du merveilleux dans le style

Après un accident qui a notamment entrainé une paralysée faciale, sa “grimace”, Sylvain Tesson a arrêté l’alcool. Il n’a pas arrêté les aphorismes. Sa marque de fabrique stylistique avec les phrases courtes, des fulgurances, un don pour l’image, le goût pour les choses précises et l’auto-dérision. “Avec les fées” en regorge. C’est beau. Ça remue les tripes et l’imaginaire. Mais la répétition est parfois sinon indigeste du moins lassante. Et le merveilleux ne tolère pas le facile.

Certes le roman est construit à la serpe. Pas de gras. Le merveilleux exige l’essentiel. De plus Sylvain Tesson lit Flaubert, un autre écrivain à la plume hypocalorique. Alors pas question de faire dans le dilué.

“Avec les fées” se lit avec ravissement et agacement. Parfois. Parfois seulement. Car les descriptions par moments aussi terrifiantes que poétiques des paysages granitiques, le rendu des lumières et des noirceurs de la mer, l’attachement aux couleurs mauves et rousses des landes, aux ronces et aux murets, aux odeurs maritimes et aux ballets d’oiseaux donnent toute leur place aux fées. Pour Sylvain Tesson, le merveilleux est à la fois une sensation, un sentiment, un surgissement et un regard. C’est aussi, comme ici, un moment de lecture.

INFOS

Avec les fées

Sylvain Tesson

Éditions Équateurs Littérature

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