Expo COALITION : 15 ans d’art et d’écologie
Expo COALITION : 15 ans d’art et d’écologie. Une cinquantaine d’artistes « vecteurs de nouveaux imaginaires » proposent forêt de poèmes, larmes de crevettes, prise de nuages, plongent dans le temps long et réincarnent les déchets.
La Gaité Lyrique est plongée dans la pénombre. Le crépuscule des dieux de la croissance débridée ? Non, mais une exposition rétrospective de Coal, la fondation pionnière qui, depuis 15 ans, croise art et écologie. « Des changements systématiques sont nécessaires » estime Lauranne Germond, co-créatrice « Les artistes peuvent être des vecteurs de changements, ouvrir d’autres imaginaires ». Créée en 2008, Coalition pour une nouvelle culture de l’écologie et du vivant, présente près de 50 artistes. Des « dinosaures » comme Benoit Mangin (Art orienté objet) aux jeunes talents comme Shivay La Multiple. Thème central : la transmission.
Sur deux étages, des œuvres qui pointent la lutte des femmes et des activistes en général, activent les slogans poétiques, réveillent rêves et cauchemars, jouent avec matières et textiles, techniques tradi et numériques. Bref, de quoi satisfaire tous les goûts et parfois de faire mouche. Notamment avec la crevette qu pleure, la prise qui crache de l’air ou encore la salle de décélération.
Focus sur 15 œuvres autour de l’air, de l’eau, de la terre et du temps long.
Terre : Cabane, statue en graines, forêt de poèmes
À l’entrée, dans la salle sonore, un film en macro où le vivant se recroqueville jusqu’à presque se calcifier. Notamment des abeilles. L’art « dystopique » de Momoko Seto donne toutefois sa chance à la résilience.
Plus loin une installation. Erreur il s’agit en fait de deux œuvres. L’une, la cabane, est signée Sara Favriau, l’autre, la statue en graines, de Louis Guillaume. Conçue comme un white cube ancestral, la cabane accueille en fait les œuvres d’une sélection d’artistes qui mettent, là aussi, la résilience à l’œuvre. « La fertilité évoquée par la femme enceinte renvoie à celle de la nature » explique Louis Guillaume. « Elle renvoie également au paléolithique ». Sur un tapis de chanvre, des graines récoltées dans l’environnement dessinent des motifs adaptables. « Le coton de peuplier, les glands … nous devons explorer le vaste potentiel de ces matériaux » poursuit l’artiste. Le temps est à la sobriété créatrice.
Recyclage arty des déchets
Même discours chez Stefan Shankland qui récupère des morceaux de ciment sur les chantiers et les transforme en petits totems ou en colonnes à la Brancusi. « Les débats autour de l’architecturent posent la question du recyclage dans l’habitat. Comment faire pour revenir sous une forme ou une autre, restaurer l’invisibilité ? »
Eco warrior et chapelle
Récupération toujours chez Art orienté objet qui présente deux œuvres. Un mannequin d’éco-warrior au look total récup. Et une installation. On rembobine. En 1853, les artistes de l’école de Barbizon sauvent une partie de la forêt de Fontainebleau en créant des « réserves artistiques. « En 1993, alors que nous vivions en bordure de cette forêt nous avons assisté à une coupe claire par l’Office National des Forêts de la Tillaie, d’une de ces fameuses réserves artistiques » se souvient Benoit Mangin. Riposte artistique avec « Réserve artistique ». L’installation montre une sorte de mini chapelle avec un banc, un porte-cierges électronique et une photo de la Tillaie martyrisée. « Nous avons contacté le fournisseur officiel du Vatican pour avoir les chandeliers électroniques » précise Benoit Mangin. On est méticuleux chez Art orienté objet.
Jardin de poèmes
De la forêt perdue aux jardins odorants. « Approchez-vous. Vous sentez le jasmin ? » invite Alex Cecchetti. « C’est l’odeur des saisons ». L’artiste propose une déambulation à travers des fragments de draps teints avec des pigments naturels. Il y pose de brefs haïkus fait de bienveillance et d’évocations des urgences.
Abysses : larmes de crevette, fish kiss et glaciers
Hypercomf sonde les abimes jusque dans les cuisines. Ainsi la vidéo truculente Fish kissed fait sortir de l’évier un poulpe et un oursin qui investissent l’espace de la « ménagère ». Le collectif « explore les diverses interprétations culturelles de la mer, entre mer nourricière et terrain vague, des mythologies de son passé aux enjeux de son avenir » lit-on sur le cartel.
Tout près, Larmes d’Ochún de Brandon Ballengée montre une crevette aveugle de la côte du Golfe du Mexique.
La minuscule créature a été collectée, conservée dans un flacon et présentée comme un spécimen unique. Elle symbolise le désastre environnemental causé par l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans la zone en 2010.
Dans une salle dédiée, Angelika Markul imagine une installation spectaculaire et immersive. L’effondrement d’un glacier au Sud de la Patagonie, sur fond de symphonie de fin du monde. Autour de l’écran, une centaine de sculptures. L’artiste évoque le peuple décimé de la Tierra del Fuego. Un dialogue entre deux fin de mondes.
Air : nuages et carbone
Des nuages sortent d’une prise électrique : « Prise en charge » du collectif Hehe. Le nuage de fumée s’échappant de cette prise questionne le progrès, hier adulé aujourd’hui questionné.
Ailleurs, des paysages de nuages piqués notamment de villages ou de phares où l’homme semble minuscule, invisible. Presque une évocation. Chaque année, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les polluants rejetés dans l’air causent la mort de 3.5 millions de personnes.
Parmi ces poisons, le noir de carbone, une substance principalement émise par la combustion des hydrocarbures. Anaïs Tondeur piste son parcours. En s’impliquant. L’artiste utilise en effet le noir de carbone accumulé dans son masque respiratoire afin de produire une encre. Elle l’utilise ensuite pour imprimer les photographies des paysages parcourus par le carbone.
Elle rend ainsi visible le polluant atmosphérique qui s’immisce autant dans nos vies que dans nos corps.
Le temps long
Depuis les années 50 l’homme inscrit son temps. Une accélération sans précédant initiée avec la révolution industrielle. L’Anthropocène rime certes avec progrès et bien-vivre occidental. Toutefois l’exploitation des hommes et des richesses a conduit à des dérèglements majeurs. Les artistes s’interrogent sur les conséquences en se connectant à des temps bien au delà de l’échelle humaine.
Avec Les mécaniques, Noémie Goudal convoque cette exploration au long court en partant de
la découverte récente des traces de l’existence d’une forêt tropicale, il y a 52 millions d’années, à l’emplacement actuel de la calotte glaciaire antarctique.
Toujours plus loin, Paul Duncombe présente une installation issue de son exploration du cratère d’impact de Manicouagan (Québec) formé par chute d’une météorite il y a 214 millions d’années. « Aux frontières de l’exploration, de la science et de la poésie, manipulant la matière numérique jusqu’à l’abstraction, l’artiste révèle alors la beauté de ces paysages primitifs, terres ancestrales de la nation Innue et le site témoin de la 4e grande extinction du vivant, ici interprétés par les machines ».
En version slow, Marie Velardi propose une Salle de Décélération où expérimenter le ralentissement, et se mettre au rythme de la Lune. L’installation montre une horloge lunaire dont l’aiguille fait le tour du cadran en 29,5 jours.
Photo de couverture Procession banners 1918-2018, de Lucy+Jorge Orta qui commémorent les succès de la lutte collective à l’occasion du centenaire du mouvement des suffragettes.
INFOS
Exposition Coalition
Visite en accès libre du 24 avril au 2 juin 2024
du mardi au vendredi de 14h à 20h et samedi, dimanche de 14h à 19
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