Expo Andres Serrano les sombres archives de l’Amérique
Expo Andres Serrano les sombres archives de l’Amérique. Le musée Maillol ouvre ses portes au photographe iconique pour un voyage à travers les séries cultes, de Nomads à Infamous en passant par le scandaleux Piss Christ et le barnum Trump. Un inventaire en format monumental de l’ADN américain à la veille des élections présidentielles.
« L’exposition débute et s’achève avec le drapeau américain symbole et révélateur de la critique d’Andres Serrano » estime le commissaire Michel Draguet. Elle présente 89 œuvres en dix chapitres. La scénographie thématique déroule et imbrique les séries qui ont fait la réputation du photographe. Notamment celles qui ont déchainé les passions et les haines des partisans de la révolution morale de Reagan dans les années 80. Andres Serrano est né en 1950 à New-York. Il est propulsé sur le devant de la scène à 37 ans. L’objet de la haine est aussi celui qui fera sa gloire : un Crucifix plongé dans l’urine, le fameux Piss Christ. Depuis, comme Robert Mapplethorpe à la même période, il est le symbole de l’establishment pour les populistes qui dénoncent les subsides accordés aux artistes contemporains.
Séries cultes et sombres archives de l’Amérique
L’exposition explore l’Amérique à travers ses marges. Des Nomads (1990) aux Natives (1995-1996) en passant par les suprémacistes dépassés du KKK (1990). Mais elle questionne également une démocratie qui s’est bâtie sur l’extermination des premiers habitants, sur l’esclavage, sur le racisme (Infamous 2019). Une société puritaine où prospèrent la pornographie et les évangélistes. Hypocrisie et extrémisme. Une nation violente (Objects of desire 1992, Morgue 1992) au nom de la liberté. Le port d’armes garanti par le deuxième amendement de la Constitution et la main invisible du marché, le capitalisme sans entrave. À travers les salles, l’esprit des origines, le « syndrome du chariot » semble perdurer dans toute ses espérances, ses nuances, ses errances et sa violence.
Le lien entre tous ces visages de l’Amérique est le drapeau. Du moins dans l’esprit du commissaire. C’est le drapeau en mode cagoule du Klan, mais c’est aussi le sang sur les étoiles (Blood on the Flag). Les attentats du 11 septembre 2001 frappent l’Amérique au delà de ses fractures. Andres Serrano fait du drapeau ensanglanté un témoignage. « Une déclaration » selon l’artiste qui va travailler sur une nouvelle série América (2001-2004). Il descend alors de nouveau dans la rue pour questionner cette fois-ci la possibilité du rêve américain.
Le style Serrano une monumentalité qui s’inspire du portrait de genre
« Les portraits d’Andres Serrano se font toujours sur toile de fond et avec un cadrage très rapproché afin de saisir le sujet au plus près » explique Michel Draguet. « Le travail de la couleur et de la lumière est aussi très recherché. L’inspiration des portraits classiques est indéniable. Andres Serrano fait de la photo comme un plasticien ».
Il paie ses modèles et se déplace avec un studio mobile à la rencontre des SDF. À l’image des photographes ambulants des siècles passés. Un modus operandi qui a sans doute inspiré des artistes plus proches de nous comme JR. « Edward Curtis l’avait fait pour les Indiens des plaines » rappelle le commissaire. « Ces hommes et ces femmes Serrano les appelle les Nomads, comme l’étaient les Indiens et les premiers hommes. Il les photographie en leur donnant monumentalité et dignité. À travers le technique du portrait de genre ». Michel Draguet semble reconnaitre parfois la touche d’un Michel Ange, parfois celle d’un David ou encore d’un Géricault ou du Caravage.
Andres Serrano met en avant outils et accessoires. Par exemple le casque d’un ouvrier métallurgiste car en Amérique « l’habit fait le moine ».
Ethnographie plasticienne
Par ailleurs, le « photographe plasticien » travaille comme un anthropologue. Il achète ainsi aux SDF leurs « cartons CV d’approche » pour en faire des tableaux muraux. Il explore également le net à la recherche d’objets vintage symbolisant l’essence de l’Amérique. Sur Ebay notamment Serrano collecte des poupées qui véhiculent une vision racialisée des Noirs. Les fameuses Black Dolls. Une essentialisation reprise par les Afro-Américains eux-mêmes (coiffure afro des 70es) selon l’artiste. Mais aussi un musée fait d’artefacts trumpistes (All things Trump 2O19) et des objets relavant de la pornographie. Race, sexe, violence, morale et money. Always.
La querelle de l’esthétique et de la morale
Les œuvres d’Andres Serrano sont aussi belles qu’effrayantes. « Les cartels ont une importance centrale » poursuit le le commissaire « Une œuvre frappe par sa beauté. Mais le cartel peut porter un récit très différent. Celui de la violence et de la mort ». Serrano essuie donc les critiques d’une esthétisation du mal. « Dans la série Klan notamment la lumière dessine en noir et blanc, en vert et blanc les formes des cagoules et des hommes » rappelle Michel Draguet. « Ailleurs le trou d’une cagoule évoque celui d’un révolver ». Il y a un colt « objet de désir ». Résultats stupéfiants et très esthétiques. Mais le beau n’apporte-t-il pas là une forme de caution au mal. Question récurrente. Certains photo-reporters et réalisateurs ont aussi été accusés de rendre la guerre belle.
Fidèle à son goût pour le baroque et le classique en général, Andres Serrano présente des natures mortes très décalées. Notamment une vierge qui porte un poisson à la place du Christ mort. Tollé chez les religieux dans une Amérique très puritaine.
Baroque, barnum et expérimentations
Le baroque se retrouve dans la série des exaltés religieux « Holy works » (2014). « Des images saintes avec des acteurs incarnant des personnages en sang » précise Michel Draguet. « Le sang a une dimension essentielle dans une Amérique ultra violente ». La tension monte jusqu’à la déchirure avec les expérimentations à base de sang, de sperme et d’urine. Body Fluids (1990) ou The Immersions et son sacrilège Piss Christ. Là encore le Christ dans ses fluides dégage une beauté sidérante. L’aura de jaune nimbe le crucifix dans un flou rouge où flottent des perles d’air. L’esthétique se hisse au sommet de l’ambiguïté.
Avec ces deux série Andres Serrano passe de l’abstraction un réalisme. Toujours esthétiques. Les Semen & Blood ressemblent à des paysages de delta.
Andres Serrano est catholique. Il respecte la religion mais pas les marchands du temple. Les crucifix de brocante dénoncent la marchandisation et la société de consommation.
Trump en est l’incarnation avec son apologie du marché. Serrano a photographié l’ancien et peut-être futur président en 2004. Il ne lui pose pas de question, il shooté. Trump est ombrageux, Serrano le sait. Le résultat est un Trump inquiétant qui observe, peut-être prêt à lancer « You’re fired » (vous êtes virés) comme sans l’émission de télé réalité The Apprentice. Plus tard, en 2019, Serrano présente l’exposition « The Game : All Things Trump » à ARTX (New-York). Pendant deux mois et demi, elle met en scène plus de 500 artefacts sur le millier achetés sur Ebay ou dans les ventes aux enchères. Un barnum reflet d' »une farce permanente » que Trump joue et qui aspire des millions d’Américains. Et au delà, impacte la planète entière.
À regarder attentivement à l’approche des élection du 47eme président des États-Unis.
Photo principale : Donald Trump en Snoopy Dog
EN BREF
Portraits de l’Amérique est une exposition très politique. Le musée Maillol choisit des séries qui racontent une histoire de marginalisation et de racisme, de violences et de surconsommation, de puritanisme et de religion. En bref sexe, morale, corps, violence, races. Andres Serrano a été pionnier dans l’exploration de ces facettes aujourd’hui tombées dans le commun mais que Trump porte à l’acmé. Il a surtout inventé une écriture plastique pour les raconter, du portrait de genre au travail sur la lumière et les fluides.
INFOS
Portraits de l’Amérique
Andres Serrano
Du 27 avril 2024 au 20 octobre 2024
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