Giverny Hiramatsu Reiji ou l’art des nymphéas

Giverny Hiramatsu Reiji ou l’art des nymphéas. Le musée des impressionnismes expose 14 nouveaux paravents. Près de 100 mètres de beauté où explose la passion du maître du nihonga pour Monet et la nature.

Fontaines, parterre de lavande et de pétunias noirs, arches de verdure, odeur de glycine, la nature distille couleurs et senteurs aux abords du musée. Un monde de sensations qui se retrouve sur les toiles et les paravents d’Hiramatsu Reiji (1941-). Les impressionnistes ont révolutionné la perception de la nature. Mais, chez Hiramatsu elle a rang de divinité.

Entrée de l’exposition

« Nous avons déjà organisé une exposition en 2013 » rappelle Cyrille Sciama, directeur et conservateur en chef du musée. « Pour les 150 ans de l’impressionnisme, nous proposons une nouvelle rencontre à l’occasion d’une acquisition exceptionnelle, celle de 14 nouveaux paravents ». Les paravents mesurent en moyenne 4 mètres, mis bout à bout ils forment donc un ensemble de près de 100 mètres. L’œuvre a demandé trois ans de travail à l’artiste. Elle rejoint les 75 œuvres du « fonds » Hiramatsu. L’exposition propose également des tableaux.

Les paravents étaient très en vogue au 19e siècle. Van Gogh, Degas, Pissaro les collectionnaient. L’époque célébrait le japonisme. Hiramatsu Reiji, lui, s’en empare devant les nymphéas de Monet. « Il me sembla que si l’on pliait ces toiles toutes en largeur, on obtiendrait des paravents ».

Obsession Monet

Concerto de nymphéas et d’érables (détail)

Hiramatsu Reiji s’attache à l’extrême profusion – densité des motifs, « matérialité » des rouges- comme au dépouillement en noir et blanc allié à un geste qui évoque l’action painting. « On constate en effet une évolution entre le très décoratif et l’abstrait. C’est un itinéraire semblable à celui de Monet qui a, lui aussi, cheminé vers l’abstraction » confirme Cyrille Sciama.

L’exposition « Symphonie des nymphéas » nous immerge dans le cycle des saisons autour du bassin de Claude Monet. La dernière salle, l’hiver donc, est effectivement très graphique alors que les autres regorgent de pigments colorés et de détails. Le zen côtoie paradoxalement la profusion.

Concerto de nymphéas et cerisiers

Mais si l’accrochage suit le parcours des saisons, on peut indéniablement aborder l’exposition comme une danse des sens. Selon que l’œil zoome ou dézoome, le dessin varie, les perceptions valsent (Concerto de nymphéas et cerisiers). De même, selon que l’on s’approche ou que l’on recule, les articulations des paravents pointent leurs angles ou s’aplanissent. L’art de Hiramatsu Reiji génère un effet cinétique.

Giverny, miroir d’eau de l’étang vue de l’exposition

Il est aussi ludique. Notamment avec les nymphéas « virgules d’or » qui peuvent renvoyer au jeu vidéo Pac-Man (L’étang de Monet entre été et automne). L’artiste joue aussi avec les fonds constitués de milliers de mini vagues ou avec les nuages en mont Fuji à l’envers (Giverny miroir d’eau de l’étang). On découvre ailleurs des motifs cocasses, de l’escargot à la bouteille de champagne en passant par la chaumière normande. Du « terroir décalé » peut-être. Un hommage à la Normandie sans doute. Et à Monet par dessus tout.

Hiramatsu et le nihonga

L’influence de l’école de Rinpa décorative et raffinée

Les œuvres contiennent des références appuyées aux chefs-d’œuvre japonais. Notamment le Fuji rouge d’Hokusai au milieu d’une multitude de motifs. Mais aussi la myriade de mini vagues. Rien d’étonnant. Car Hiramatsu Reiji est fasciné par les maîtres de l’ukiyo-e. « Célébrant la beauté du quotidien, des artistes comme Hokusai (1760-1849) et Hiroshige (1797-1858) ont représenté les montagnes, les fleurs, les forêts, les végétaux, des villes et des villages » explique Cyrille Sciama. Mais Hiramatsu s’inscrit avant tout dans le nihonga, « la peinture japonaise ». Le terme, apparu dans les années 1880, se réfère à la tradition artistique millénaire plutôt qu’à la modernité occidentale (yoga) en vogue dans le Japon de l’ère Meiji (entre 1868 et 1912). Hiramatsu prend pour modèle l’école de Rinpa, aux œuvres décoratives et raffinées, un courant fondamentales dans le développement artistique japonais du 18e et 19e siècle.

Allusion au Fuji rouge d’Hokusai

Mais pas question pour autant de faire dans le passéisme. Hokusai et Hiroshige étaient ancrés dans le quotidien, reflétaient l’époque. Le nihonga utilise les techniques ancestrales pour traiter de nouveaux sujets. En l’occurrence, pour Hiramatsu, l’univers de Monet. Il lui emprunte un langage fait de formes simples, de détails, de frontalité.

Le nihonga la peinture japonaise qui demande 10 ans d’apprentissage

Devenir maitre de nihonga se mérite. Dix ans d’apprentissage sont en effet nécessaires pour en maitriser les techniques et la philosophie. La plupart du temps à genoux, penché sur la soie ou le papier. On remarque sur les paravents le travail des feuilles d’or qui traduit l’effet de la lumière sur l’étang de Monet. Mais aussi l’utilisation des pigments. Le nihonga utilise le mica ou la nacre de coquillages pour le blanc, l’azurite et lapis-lazuli pour les bleus, la malachite pour les verts, le corail et carmin pour certains rouges, les ocres à base d’argile. « L’ocre avec un travail sur les gris est très présent dans les œuvres sur le bassin en hiver » précise Cyrille Sciama. Le directeur souligne par ailleurs la qualité des transparences et celle du traitement des pigments.

L’étang de Monet, entre été et automne, vue de l’exposition

C’est aussi un monde en mouvement, un monde flottant que montre l’exposition. Une recherche et un rendu communs aux maîtres de l’ukiyo-e et aux impressionnistes. Les saules pleureurs peuvent incarner ce floutage des frontières cher aux Nabis. On retient notamment le très poétique « À la croisée des beautés éternelles » ou encore « L’étang de Monet entre été et automne ». Les bambous graphiques semblent aussi d’énigmatiques portiques entre les mondes.

Hiramatsu star du nihonga et vénérateur de la nature

Portrait dans son atelier, janvier 2010 © Ou Tanka © Hiramatsu Reiji

Hiramatsu Reiji est né à Tokyo mais a grandi à Nagoya. Son prénom de naissance est Kunio. Il le changera en Reiji en 1966, pour célébrer la guérison de son fils Rei, atteint d’une maladie du coeur. En 1948, il découvre l’œuvre du célèbre maitre de nihonga Kawabata Ryûshi. Une révélation pour le jeune garçon qui montre très tôt des dons pour le dessin et gagnera plus tard de nombreux concours. Par devoir filial, il s’inscrit à l’université dans la section Droit et Économie, tout en continuant à peindre.

En 1994 sa galerie l’expose à Paris. Hiramatsu, qui ne connaissait Monet qu’à travers des reproductions, visite l’Orangeraie. C’est alors le fameux choc esthétique devant les les Grandes Décorations. « Je me demandais ce qui avait bien pu pousser Monet à prendre pour motif l’étang, les nymphéas et d’autres végétaux de son jardin, sur des toiles d’un tel format ». Hiramatsu aurait passé une journée entière devant les Nymphéas. Plus tard, il se rend à Giverny et commence à faire des estampes. Plus que les impressionnistes c’est à Monet, ses coquelicots, ses étangs et ses nymphéas que Hiramatsu va vouer un « culte ».

Sur les traces de Monet, il exécute sans relâche des croquis du bassin aux nymphéas. Comme l’avait fait Monet avant lui. « Monet a regardé pendant 30 ans les nymphéas pour matérialiser le temps » raconte Philippe Patel directeur de Normandie impressionniste.

Un jardin impressionniste au Japon

Giverny, forêt de bambous(détail)

Comme Monet toujours, Hiramatsu va cultiver son jardin. En 2001 il installe un second atelier à Karuizawa dans les Alpes japonaises. Il y conçoit un grand espace fleuri avec un bassin. Une manière de planter en terre sa fascination pour le jardin de la maison de Monet. Dans ses œuvres l’artiste « évoque ses reflets dans des gammes colorées, au fil des saisons. Mais il s’intéresse également aux éclats de couleurs chatoyantes sur les peupliers, les saules pleureurs et les nénuphars » note Cyrille Sciama.

Au Japon, la nature a une dimension spirituelle. C’est l’esprit du shinto qui mêle polythéisme et animisme. « On ne peut gagner face à la nature, on ne peut qu’aspirer à elle » écrit l’artiste.

Star du nihonga au Japon, Hiramatsu a été révélé en France par l’exposition de 2013 à Giverny. Depuis le public est très demandeur. « On le remarque au nombre de reproductions de ses œuvres » explique Cyrille Sciama.

Fantaisie du blanc et du noir I

L’exposition s’achève sur les bassins en hiver. « Peut-être le crépuscule d’un artiste » avance Cyrille Sciama. Monet dans sa dernière période ? Hiramatsu ? Certes le peintre japonais a 83 ans. Mais il livre ici 100 mètres de beauté, de zénitude et de plénitude onirique. Espérons donc que l’histoire particulière entre Giverny et l’artiste se poursuivra encore quelques années.

https://www.instagram.com/reel/C9UQzwTIPmr/?igsh=MzRlODBiNWFlZA==

INFOS

Exposition Symphonie des Nymphéas Hiramatsu Reiji

12 juillet – 23 novembre 2024

Musée des impressionnismes de Giverny

99 rue Claude Monet
27620 Giverny
+33 (0)2 32 51 94 65

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