Polar Les âmes féroces de l’Amérique profonde

Polar Les âmes féroces de l’Amérique profonde . Marie Vingtras s’attache à la mort d’une adolescente de Mercy, une petite ville sans histoire. En quatre temps, le roman choral, conduit avec maestria, sonde les violences et les passions qui couvent sous la banalité.

Leo Jenkins, une adolescente lunaire aux cheveux noirs bleutés, disparait. La shérif Lauren Hobler découvre son corps pale parmi les iris sauvages sur les berges d’un fleuve. Une Ophélie échouée au début de la douceur du printemps. Mais ici pas de suicide. Car la mort a été causée par un coup violent. Un meurtre ?

Quatre voix quatre saisons et une ville

Printemps, été, automne, hiver, le livre s’étend sur une année. Non pas comme les futurs saisons d’une série netflix mais plutôt comme un mouvement à quatre temps et quatre voix. Celles des quatre personnages principaux. La shérif lesbienne, le prof de littérature new-yorkais, la meilleure amie de la victime, la solaire Emmy, et Seth, le père de Leo. Chacun livre un regard sur la ville et sur le drame. Un morceau de réalité américaine.

Mercy une petite bourgade de « 3974 âmes hier, 3973 aujourd’hui (…) endormie presque, avec ses deux clubs de bingo, son association de vétérans et sa shérif qui préfère les femmes ». Benjamin, le principal suspect s’étonne, lui, de cette ville qui aime aussi peu la littérature. Emmy parle d’une ville qui dort tranquillement quand le pire se prépare. Enfin Seth, relégué dans une cabane, montre une facette des « faubourgs » de Mercy la coquette. Un lieu certes plus forestier que les terrains à l’extérieur de la ville où des travailleurs précaires vivent dans « des mobile homes miteux montés sur des parpaings ».

Les quatre voix dessinent la ville et tissent le récit des violences faites aux femmes, des violences du libéralisme débridé, des violences des préjugés et de celles des secrets.

Un polar en écho aux violences contre les femmes

Lauren Hobler est une shérif lesbienne. Elle essuie parfois les remarques des hommes des mobile homes. « Après avoir trop bu ils me manquent (…) de respect pour voir comment je réagis mais (…) avoir été élevé avec quatre frères ça forge le caractère (…) Je les remets gentiment en place les forts en gueule et ceux qui boivent trop, sans avoir besoin d’élever la voix, les pouces glissés dans les passants de mon pantalon, mon arme bien visible, juste ce qu’il faut de persuasion pour signifier qu’il vaut mieux passer son chemin. Le shérif est peut-être une femme, mais elle vous en collera une belle s’il le faut ». Toutefois l’enquête qui n’avance pas fissure l’autorité de la shérif. C’est une sorte de retour du refoulé. Le western des hommes avec notamment la colère d’un adjoint écarté et le poids d’un maire plutôt conservateur.

La compagne de Lauren n’a pas sa carrure imposante. C’est une beauté de la haute société américaine presque brulée vive par un conjoint violent. Les descriptions des agressions sont terribles en particulier la scène du tissu en feu qui se fond à la chair. Celles des trauma ne le sont pas moins. Au milieu, la douceur et la patience des deux femmes qui s’apprivoisent et se protègent.

Amérique féroce

Les Âmes féroces explore aussi la brutalité économique. L’Amérique du libéralisme débridé succède à celle des westerns. Mercy est touché par la crise des subprimes. L’entreprise du père de Leo s’effondre. Alors que la banque du père d’Emmy en sort indemne. La vie continue mais s’effiloche. Derrière ce naufrage se profile celui des couples. La réalité sociale reflète la force des secrets de famille. Celui qu’Emmy découvre et qui va tuer Leo.

Narration impeccable, construction sophistiquée, dénouement renversant, les Âmes féroces confirment la maitrise et le talent de l’autrice de Blizzard. Le livre a été récompensé par le prix du roman FNAC 2024.

Infos

Les âmes féroces Marie Vingtras Éditions de l’Olivier

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