Roman Karine Tuil dissèque les pouvoirs

Roman Karine Tuil dissèque les pouvoirs dans « La guerre par d’autres moyens ». Un récit brutal sur le bal des violences contemporaines qui plonge dans les addictions, englobe le combat des femmes et le désarroi des nouvelles générations.
Il y un an Dan Lehman était au sommet du pouvoir. Avec un plus puisqu’avec lui la France avait élu le premier président juif, précise Karine Tuil toujours focus sur la judéité. Blum n’avait qu’à bien se tenir. Aujourd’hui il n’est ou ne se sent plus rien. L’écrivaine suit la dérive de ce président, mélange de Macron pour le physique et la politique économique, de Sarkozy et de Hollande pour les (deuxièmes) épouses mannequin-actrice. De Sarkozy encore pour le bling bling médiatique et de Hollande encore pour le mandat unique. Car Dan Lehman n’a pas été réélu. Trop proche des élites économiques pour la gauche, sa famille politique. Une sanction sans appel pour un président kleenex.
L’essence du pouvoir
Mais alors que faire de tout ce temps, demande Karine Tuil qui questionne l’essence du pouvoir ? Car le pouvoir est aussi celui des agendas, des sollicitations, des agitations de cour. Que faire de cette sanction qui l’immobilise lui qui s’épanouissait dans l’action ? De la militance originelle jusqu’à l’ivresse du décider et du faire en passant par la frénésie des campagnes. Écrire, comme tous les anciens présidents et beaucoup de politiques. Un livre dont les médias ne retiennent d’ailleurs qu’un passage érotique que Karine Tuil chipe à Bruno le Maire. Mais comment attendre les critiques, les invitations des journalistes quand on été le maître des horloges ?
« Le premier réflexe de Lehman au réveil, c’était de vérifier le classement de son dernier livre dans la liste des meilleures ventes ; après seulement il avalait un anxiolytique, généralement un Xanax mais il tolérait bien aussi le Lexomil ».
Pouvoir et addictions
Dan Lehman boit pour supporter ce nouveau néant et l’emprise de la dépression. Seul l’alcool a le pouvoir de calmer la carence de pouvoir. Et de continuer à donner le change. L’autrice suit cette plongée aux enfers avec une étonnante acuité. Notamment quand, déguisée en clown pour l’anniversaire de sa fille, le père, ancien président, est shooté en pantin ivre et pathétique au balcon de son appartement. Karine Tuil parle aussi des dépendances médicamenteuses d’une première dame qui supporte mal la pression.
L’autrice semble très pointue sur le sujet. Ou bien par intérêt documentaire ou bien peut-être par peur des dépendances. Ou encore car l’addiction c’est le pouvoir, l’emprise d’une substances sur un être qu’elle domine et peut briser. Elle décrit le déni et la spirale qui mène à boire verre sur verre jusqu’à l’inconscience. La mise en scène de l’addiction est mise en perspective avec de grands représentants du genre comme Marguerite Duras. Elle est aussi mise page. Notamment avec un Boire en lettres de plus en plus grandes et de plus en plus proches. Comme une domination qui rode puis s’affirme.
» BOIRE
Escorté de ses deux gardes du corps, il rejoignit son véhicule de fonction (…)
BOIRE
Une fois à bord, avant même de rallumer son téléphone, Lehman sortit une flasque de son sac et en avala le contenu d’un coup.
En quelques secondes l’angoisse se dissipa, l’alcool colmata chaque brèche intérieure ».
Le couple lieu de pouvoir
L’ancien président doit affronter le rejet du pouvoir mais aussi la déliquescence de son couple. Hilda Müller, la femme trophée qui a mis sa carrière entre parenthèse, s’éloigne de cet homme alcoolique et dépressif. Un homme qui va aussi perdre la connivence qui le lie à Marianne, sa première épouse écrivaine. Toutes deux, loin de cet homme de pouvoir, vont reconquérir leurs territoires de création. Le cinéma et l’écriture. Karine Tuil s’attache aux méandres du patriarcat. Les femmes renoncent à leur carrière, passent dans l’ombre pour laisser rayonner l’homme politique. Puis quand celui-ci sombre elles remontent vers leur talents. Un mouvement de balancier, un nouvel équilibre des pouvoirs d’expression et de communication.
Le pouvoir des hommes et la guerre par d’autres moyens
Après La décision (2022) qui sondait la justice antiterroriste jugeant les attentats du 13 novembre, Karine Tuil revient sur #MeToo déjà abordé dans « Les choses humaines » (2019). Toujours avec le même sens de l’actualité. Selon le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, 1,4 million de femmes a déclaré avoir subi des violences sexistes et sexuelles hors cadre familial en 2021. Le 3 avril dernier le Sénat a adopté la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes.
La guerre par d’autres moyens est une citation partielle de la maxime de Clausewitz » La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens ».
C’est une guerre sur tous les fronts que décrit la romancière. En particulier chez les élites parisiennes. Un entre soi qui abrite les maitres du barreau comme la faune littéraire, médiatique et artistique. Mais aucune couche sociale, aucun corps de métier n’est épargné. Karine Tuil, en abime, parle d’un livre sur le combat d’une ouvrière contre la violence domestique. Vu par un réalisateur de renom le combat sera transformé en meurtre en direct. Contre l’avis de l’autrice. Le tournage sera aussi le lieu de violences imposées par la volonté, le pouvoir d’un homme qui se revendique pourtant comme déconstruit.
Les rapports de pouvoir sont par ailleurs questionnés par la fille de Marianne l’ex épouse de président. On retrouve l’engagement comme le désarrois des jeunes générations.
Avec La guerre par d’autres moyens Karine Tuil signe un livre brutal aussi dérangeant que salutaire.

INFOS
La guerre par d’autres moyens
Karine Tuil
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