Art Christian Krohg et le peuple du Nord

Art Christian Krohg et le peuple du Nord au musée d’Orsay. Une exposition forte qui traverse les tempêtes avec les pêcheurs de morues, diffuse le parfum de la Bohème scandinave comme celui de l’opprobre qui marque les femmes. Une peinture qui balance entre l’intime et le social avec des constantes : le cadrage (leçon de Caillebotte), l’atmosphère de la peinture hollandaise et la force délicate du Nord.

La Scandinavie inspire. Depuis une dizaine d’années. En 2014 le Petit Palais lance la « tendance » avec Carl Larsson et son art de vivre à la suédoise. Récemment c’est la nature sauvage de Bruno Liljefors qui y était exposée.

Le musée d’Orsay s’attache lui aussi aux lumières du Nord.

Après Edward Munch en 2022 et, cet automne, « Harriet Backer, la musique des couleurs » qui explorait la très riche palette de l’artiste notamment dans des intérieurs apprivoisés, son « plein air à l’intérieur ». Après, aussi, les sculptures de Michael Elmgreen, le Danois et Ingar Dragset, le Norvégien dans le nef, voici Christian Krohg et le peuple du Nord. La première rétrospective de l’artiste en dehors de la Scandinavie. Il était temps car l’aura muséale cet artiste majeur du XIXe et XXe siècle n’irradiait pas au delà des frontières au Danemark. Un comble pour un peintre voyageur.

Christian Krogh un artiste « social »

vue de l’exposition


Christian Krohg nait le 13 août 1852 à Oslo (Norvège) d’un père avocat et d’une mère qui décède prématurément. Après des études de droit, il étudie l’art en Allemagne, à Karlsruhe puis à Berlin. Le jeune Krohg voyage, regarde, apprend et transcrit ses expériences dans ses toiles, ses romans et ses articles.

En 1879 il découvre ainsi Skagen au Danemark où il rencontre une colonie d’artistes. La série des marins trouve sa source dans ce village de pêcheurs du Jutland.

Puis direction Paris et Grez-sur-Loing (Seine-et-Marne) où il est frappé par Courbet, Manet et les impressionnistes. « À Gustave Courbet, il emprunte l’inspiration sociale ; à Édouard Manet, des procédés picturaux pour impliquer physiquement l’observateur dans le tableau : personnages de dos au premier plan, figures pleinement absorbées dans leur tâche, regards directs vers le spectateur » expliquent les commissaires.

De retour en Norvège, il saisit autant la bohème de la capitale que la misère du peuple et le quotidien de la vie de famille. Il meurt en 1925 à Oslo.

Edvard Munch disait de son maitre, il est « Le seul peintre capable de descendre de son trône et d’éprouver de la compassion sincère pour ses modèles ». L’art et les engagements de Christian Krohg reflètent en effet autant les grands débats de l’époque qu’une empathie respectueuse pour les plus vulnérables.

Peintre du peuple et écrivain de la misère

Si Christian Krohg est influencé par les impressionnistes c’est l’empreinte de Gustave Caillebotte qui semble la plus vive. Attention devant, le port de Bergen (1884) est presque une adaptation en forme de clin d’œil ou d’hommage à la Partie de bateau de Caillebotte. Tout est question de cadrage » scande Christian Krohg. Ce « cadrage » il le met au service de l’émotion.

Attention devant ! Le port de Bergen 1884

Les marins de Skagen

Le Haut fond vers 1897

Dans la série des pêcheurs de morue on sent la houle, on a froid, le corps se crispe dans l’effort. La bouée rappelle le danger, les muscles tendus se devinent sous les cirés. Christian Krohg « cadre » les mains qui agrippent les cordes, les regards qui se font inquiets ou simplement concentrés vers un danger hors cadre (La barre sous le vent 1882). Ailleurs, un bras qui attrape une bouée dans un geste d’urgence vitale (Un homme à la mer 1906). Encore ailleurs, voici l’équilibre presque miraculeux d’un marin suspendu à une voile (Vers le ciel). La mer est souvent grise et houleuse en contraste avec la barbes rousses et les ciré jaunes. Les bateaux se penchent, se couchent sur les vagues, fracas blancs près d’une bouée claire au milieu d’un océan de bleus pointus (Le haut fond vers 1897). Christian Krohg maitrise le réalisme avec les techniques des impressionnistes.

Un homme à la mer 1906

Krogh recadre la société norvégienne

C’est aussi avec des cadrages à l’efficacité redoutable que Christian Krohg peint le misère du peuple et les violences faites aux femmes.

La lutte pour l’existence 1889
Lutte pour l’existence – Détail

La lutte pour l’existence (1889) montre la faim avec une force inouïe. Dans ce tableau une foule de mains, de regards, notamment de femmes, se tendent vers un objectif unique. Une autre main qui tient une miche de pain. Les inclinaisons contraires, l’une vers la gauche, l’autre vers la droite se joignent dans un point de bascule. Attraper le pain et survivre ou bien ne pas l’avoir et périr. Les plus malins, les plus organisés ou les plus chanceux auront la miche. Krogh incarne le darwinisme avec une perspective et des couleurs aux effets poignants.

Albertine dans la salle d’attente du médecin de police 1885-1887
Albertine dans la salle d’attente du médecin de police – détail

Christian Krogh est peintre certes mais aussi écrivain et journaliste. Son roman, Albertine, lui vaut le surnom de Zola norvégien. Le livre, comme le tableau du même nom, montre l’opprobre qui tombe sur Albertine, une ouvrière violée devenue prostituée. Le roman est saisi par la police pour atteinte aux bonnes mœurs. La réplique de l’artiste : un tableau de 2 mètres sur 3 montrant Albertine, tête baissée devant une porte, attendant un examen gynécologique. Objectif : éviter la propagation des MST. Le peintre pousse la provocation jusqu’à engager des prostituées comme modèles. La dureté de la condition féminine est aussi suggérée par de magnifiques toiles de femmes têtes baissées (Madeleine 1883), abattues par la vie, leur condition ou peut-être un événement tragique.

Madeleine 1883

Bohème et vie de famille

Si Christian Krogh est un artiste social, engagé et humaniste il peint aussi le bonheur et la légèreté. L’exposition montre les scènes de la bohème de Kristina, l’ancien nom d’Oslo. Au programme, fêtes, débats et amour libre. C’est le portrait en rouge d’Oda Krogh (1888) ou encore celui d’August Strindberg.

Les bohémiens (dans mon atelier) 1885

L’exposition s’achève sur une série de portraits de famille. La sienne mais aussi celle des Gaihede, une famille de pêcheurs de Skagen dont les trois générations vivent sous le même toit. Oda Lasson-Krogh peint également son mari en père aimant au delà de l’image du père tout puissant que véhicule le patriarcat.

Notamment le très belle toile « La mère endormie » (1883).

L’exposition Christian Krohg est une petite merveille, un concentré d’émotions autant qu’un témoignage sur l’époque. Il est heureux que le musée d’Orsay fasse partager au grand public les merveilles de la culture du Nord.

Infos

Christian Krohg – le peuple du nord

Musée d’Orsay

du 25 mars au 27 juillet 2025

Ouvert tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h (21h45 le jeudi)

Entrée : 16€ / 13€

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