Art Boris Zaborov et Evi Keller à la Maison Caillebotte

Art Boris Zaborov et Evi Keller à la Maison Caillebotte. Deux expositions très différentes sur la mémoire à travers la lumière et la matière. Ambiance spirite chez l’un, cosmique chez l’autre.
Dans le cadre verdoyant et patrimonial de la Maison Caillebotte, la directrice Valérie Dupont-Aignan, a fait le pari d’un duo improbable. Deux propositions aux univers a priori lointains. Car si la lumière domine à travers un « bleu originel » chez Evi Keller, elle est sourde, enfouie dans la matière chez Boris Zaborov. Reste le lien : la mémoire.
Boris Zaborov la mémoire à travers un art spirite

L’exposition « Boris Zaborov Peindre la mémoire » a des allures de crypte où se déroulerait une réunion spirite. Car, hormis quelques exceptions, les tableaux du peintre dégagent un parfum spectral. Des fonds gris rosé, ou bien des tableaux évoquant des négatifs repeints, font apparaître des personnages aux contours diffus, presque des esprits. Femmes à la peau d’albâtre, enfants d’un autre temps, d’un autre monde, se dessinent comme des Ophélie noyées. Les corps égarent aussi la perception. Surtout ceux d’enfants vieux, froissés, aux corps d’un autre âge. Tout est diffus, « passé « comme des photos aux couleurs délavées, jaunies par le temps. On pense à la Shoah, la famille de Boris Zaborov ayant été déportée, et peut-être aux camps staliniens.

Le thème de l’enfance se retrouve à travers des poupées cassées. Le rappel peut-être de la perte brutale du petit frère du peintre, Vytia, à l’âge de 6 ans.
Boris Zaborov en bref

La rétrospective présentée à Ferme Ornée de la Maison Caillebotte concentre 40 ans d’une œuvre exposée de New-York à Tokyo en passant par Tel-Aviv, Vérone ou encore Paris.
Boris Zaborov nait à Minsk (Bielorussie) en 1935 dans une famille d’artistes. Il meurt à Paris en 2020. Entre temps il étudie à l’académie des Beaux-Arts de Leningrad avant de rejoindre l’Institut Suriakov de Moscou dont il sort diplômé en scénographie. Il travaille pour le théâtre avec Piotr Fomenko, futur metteur en scène de renom, mais face à la censure soviétique, il se concentre sur l’illustration. Le retour à la création de décors se fera à Paris à partir de 1992. L’exposition montre dessins, décors et costumes de « Bal masqué » ainsi que d’autre pièces de la Comédie-Française.
C’est aussi à Paris qu’il « renaît » en 1981 quand il arrive en France avec femme et enfant. Et c’est à Paris qu’il devient un artiste incontournable. En 2008 la Galerie des Offices de Florence accueille dans sa collection d’autoportraits celui de Boris Zaborov. Son autoportrait « L‘Artiste et son modèle ». Une distinction prestigieuse. Aucun artiste vivant hormis Chagall n’y est présent.
La mémoire en 10 actes

À Paris il explore alors à la fois la mémoire de sa famille et celle d’un peuple qu’il transcrit sur des photos anciennes, des clichés de famille et d’inconnus emportés en exil.
La mort est toujours plus ou moins présente dans cet accrochage en 10 temps, 10 actes. Le début du parcours raconte dans « Veillées » comment, lors d’une promenade, le peintre est entré dans une isba où reposait un défunt. Un cartel précise que le thème de la mort est courant dans la culture slave. Le livre tient aussi une place centrale. Boris Zaborov redoutait sa disparition. Il l’a donc fondu dans le bronze. La mémoire des textes sauvée de la mort par la sculpture.

Les animaux semblent parfois aussi un peu fantomatiques. Notamment ce cheval blanc de dos tourné vers le passé. Zaborov, accorde une attention particulière aux chiens qu’il adorait. « Au cours de l’évolution, le chien est parvenu à un stade que l’homme n’a pas atteint. Surtout, une connaissance surnaturelle des évènements à venir« . Une petite touche antispeciste très actuelle doublée d’un goût récurrent pour le non rationnel. Zaborov a emporté la nature en exil. Il peint des paysages à la Millet dans des flous nostalgiques.

La mémoire c’est aussi celle des grands maîtres. La palette pleine de terres emprunte à Masacio, Brueghel, Rembrandt. Florence est également célébrée avec « Hommage à Florence » où le peintre représente quelques œuvres majeures de la Renaissance.

Evi Keller art cosmique

C’est une aspiration bleutée qui happe le visiteur à l’entrée de l’exposition d’Evi Keller à l’Orangerie de la Maison Caillebotte. Une sorte de bleu primordial sorti du noir cosmique. Evi Keller (1968-) travaille sur la mémoire originelle, celle du cosmos. La photographe-plasticienne allemande a une technique singulière. Elle utilise des films d’emballage qu’elle brûle et qu’elle superpose en couches. Toute une symbolique car le carbone du plastique et le feu évoquent l’ « embrasement » du Big Bang. « Dans les fibres du film on peut voir les constellations stellaires » estime l’artiste. Elle y ajoute des pigments, des minéraux, des végétaux, de la cendre, de l’encre, du vernis. Ensuite elle gratte cette matière, cette « seconde peau », et l’expose aux éléments. Résultat : une union du macrocosme et du microcosme. Du fossile, des atomes des étoiles, surgit la nature, les arbres, l’eau.

Evi Keller parle d’un au-delà de la peinture, d’une entrée dans le mystique, d’un voyage au plus profond de notre être, d’ « une écriture accessible par nos âmes« . Elle évoque un « travail très personnel, fruit d’une contemplation en pleine nature porteuse de signes« .
INFOS
Expositions Boris Zaborov Peindre la mémoire Evi Keller Matière et Lumière
8 rue de Concy 91330 Yerres
du 17 mai au 21 septembre 2025
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