Expo l’art le monde et l’IA au jeu de Paume

Expo l’art le monde et l’IA au jeu de Paume. Un diagnostic de l’époque et de ses défis à travers une quarantaine d’artistes. Une exposition dense avec des œuvres réflexives dont certaines posent parfois la question d’une autoproduction artistique de l’IA.
En 2020 le Jeu de Paume accueillait une exposition marquante sur l’économie des images. Elle donnait notamment à voir la matérialité (hommes, ressources) de ce qui semble totalement abstrait et questionnait les quantités astronomique d’images qui, passant directement par les machines, échappent ainsi à l’humain. Le monde selon l’IA « actualise » ces questions et explore la scène artistique à travers les enjeux qu’impliquent la généralisation de l’IA.
Ma chère IA : exploitation des hommes et de l’environnement
« Le monde selon l’IA est est la première grande exposition collaborative depuis 2022, le tournant de Midjourney et l’avènement de l’IA générative » précise le commissaire Antonio Somaini. Petit rappel. L’expression intelligence artificielle introduite au milieu des années 50 désigne « des algorithmes et des modèles capables d’effectuer automatiquement des opérations — détection, reconnaissance, classification, prédiction, analyse et génération de données ». On la nomme Artificielle car elle est le fruit du travail des ordinateurs et des process informatiques. Et Intelligence puisqu’elle résulte de l’imitation de la capacité d’apprentissage et de raisonnement humains.

« L’exposition présente les œuvres d’une quarantaine d’artistes qui, depuis 2016, ont réagit à la présence croissante de l’intelligence artificielle dans toutes les strates de la société » poursuit le commissaire. Au total 115 œuvres, dont 10 sont présentées pour la première fois, sur un parcours ponctué de capsules temporelles (cabinets de curiosités). La proposition s’étend sur les deux étages du musée. Le premier explore l’IA analytique. Celle qui collecte, trie, classe les (nos) données, en grande partie pour nous surveiller (reconnaissance faciale) ou nous imbiber de pub. Le second étage s’attache à l’IA générative, celle qui crée textes, images, vidéos, dont les fake news, à partir de prompts (consignes).
le boite boire de l’IA

Comme avec Le supermarché des images, le Monde selon l’IA joue les révélateurs. L’intelligence artificielle a un coût. Humain (microtravail) et environnemental. D’énormes ressources sont aussi nécessaires au fonctionnement de cette intelligence artificielle que nous utilisions désormais quotidiennement. L’exposition le montre à travers des sculptures, des tableaux, des cartes, des cartographie, tout ce qui fait fonctionner l’IA.
Côté humain, il y a les ghost workers, les travailleurs du clic, qui entrainent l’IA. On retient « Aggregated Ghost » d’Agnieszka Kurant. L’artiste a demandé à dix mille travailleurs en ligne de la plateforme Amazon Mechanical Turk de lui envoyer chacun un autoportrait.
Côté environnement, l’IA est une très grosse consommatrice de ressources naturelles : eau, terres rares, lithium, pétrole. Julian Charrière le montre avec Metamorphism où il mélange de la terre à des rebuts informatiques (cartes mères, processeurs… ) puis fond l’ensemble dans un four. Agnieszka Kurant, de nouveau, imagine Nonorganic Life une série de tableaux « consacrés aux matériaux biologiques, minéraux et synthétiques qui entrent dans la fabrication des systèmes informatiques ».

des clics et des histoires
Loin des clichés l’IA est bien ancrée dans l’histoire. Dans ce registre l’une des pièces maîtresses est dans doute « Calculating Empires » de Kate Crawford and Vladan Joler. Un immense diagramme que l’on peut parcourir dans tous les sens et qui court de l’imprimerie à ChatGPT. L’arborescence couvre donc cinq siècles. Elle débute, au bas du tableau, en l’an 1500 et étend ses ramifications jusqu’en l’année 2025. La cartographie met en en vis-à-vis : « Communication et calcul » et « Contrôle et classification » L’installation, criblant les murs de mots, montre l’emprise des grands groupes sur nos vies.

Histoire encore avec les automates, les ancêtres des doubles numériques auxquels nous déléguons les taches. L’installation « The Mechanical Kurds» d’Hito Steyerl renvoie ainsi au XVIIIe siècle et au célèbre Turc mécanique de Wolfgang von Kempelen. Un automate qui jouait aux échecs. Un canular car une homme se dissimulait dans le système. Le titre de l’installation est également un jeu de mot avec le nom de la plateforme en ligne de micro travail externalisé, Amazon Mechanical Turk. « Le Turc devient ici un Kurde, car la vidéo se présente comme une enquête documentaire sur les « travailleurs du clic ». Plus précisément sur les Kurdes entrainant des drones depuis des camps de réfugiés au Kurdistan.
Histoire toujours encore avec celle de la connaissance faciale. L’exposition remonte à ses racines. Les œuvres de Trevor Paglen, elles, montrent comment les systèmes informatiques apprennent à reconnaitre les visages.

Trevor Paglen The-Treachery-of-Object-Recognition
Art et IA : des prompts aux hallucinations
À l’étage, la seconde partie de l’exposition explore la création artistique à travers l’IA générative. Que font les créateurs avec l’IA ?
Un constat, l’IA est partout et s’approprie tout.
Elle écrit des poèmes. ReRites de David Jhave Johnston montre ainsi une douzaines de livres de poésie générés par intelligence artificielle et publiés par l’artiste.

L’IA compose. Avec The Organ Christian Marclay imagine un clavier et un écran. Chaque touche déclenche la projection d’une bande verticale composée de plusieurs vidéos postées sur l’application Snapchat (photo principale). Le public fait défiler des images en jouant.
Elle actualise aussi des contenus restés à l’état de virtualité ou de potentialité. Les Content Aware Studies d’Egor Kraft utilisent des modèles d’IA générative pour, ou bien compléter des objets historiques fragmentaires (statues grecques tronquées), ou bien imaginer des objets historiques fictifs.

Toutefois la vision du monde selon l’IA est biaisée par l’entrainement sur des modèles essentiellement occidentaux. Résultat une certaine invisibilisation que met notamment en évidence Nouf Aljowaysir avec Salaf et ses silhouettes fantômes.

L’exposition touche par ailleurs l’IA dans ses retranchements. La langue, la communication en général, la mort …. la création.
En lui faisant répéter des mots qu’elle ne connait pas, des mots sans sens, inventerait-elle une lange des langues, celle de Babel, ou celle que seule les IA comprendraient ?

Que ferait l’IA si toute l’humanité s’éteignait ? Créerait-elle des vies multiples à son artiste démiurge ? Que ressentirait une Super IA douée de sensibilité si on voulait l’éteindre ?

Le monde selon l’IA est une exposition dense. La première partie génère parfois une sensation d’encerclement presque d’enfouissement dans les datas. La seconde, en revanche ouvre des horizons, efface les frontières jusqu’à se demander en définitive qui crée, l’artiste ou l’IA. Quelle est ou sera la maîtrise ultime du créateur sur ce qui est donné à voir ?
INFOS
Exposition Le monde selon l’IA
Jusqu’au 21 septembre
Relate article Expo l’art le monde et l’IA au jeu de Paume