Les preuves de mon innocence Jonathan Coe

Les preuves de mon innocence Jonathan Coe. Avec le meurtre d’un blogueur, l’écrivain plonge dans l’histoire de la droite anglaise et questionne les fake news en jouant sur les genres littéraires. Une satyre politique cocasse mais parfois indigeste.
Jonathan Coe souffle de nouveau son ironie sur la société anglaise. Mais cette fois-ci, il a y matière à investigation littéraire et policière. Christopher Swann, blogueur politique spécialiste de la droite dure, est retrouvé mort, poignardé, dans un manoir gothique : Wetherby Hall, tout en labyrinthes de couloirs, passages secrets, cheminées sans fin, tableaux, armures d’époque et perroquet. La chambre de la victime est fermée. Le mystère est donc ouvert à tous les vents. Et les suspects se bousculent puisque la victime couvrait un congrès organisé par le gratin de l’ultra-conservatisme britannique. Il flotte un doux parfum d’Angleterre entre Agatha Christie et Brexit.
L’enquête se fait à plusieurs mains. Comme le récit. Rashida, la fille adoptive de Christopher Swann, et sa comparse Phyl, jeune diplômée qui, pour l’instant, coupe des sushis dans un restaurant de l’aéroport d’Heathrow. Avec des couteaux très fins et très acérés. Prudence, l’enquêtrice officielle, elle, est à la veille de la retraite et mange bien autre autre que des mini-carrés de poisson. Mais elle ne cracherait pas sur quelques sakés.
Crime et jeu de genres
Jonathan Coe orchestre alors un jeu de genres, une partition à trois « styles ». Le cosy crime, la dark academia, l’autofiction. Trois approches qui structurent le roman … en perdant parfois un peu le lecteur.
L’enquête s’aventure dans le Cambridge des années 80 et l’avènement du thatchérisme. Un club secret d’étudiants conspirent en écho aux Young Americans for Freedom. Programme : arrêter la marche de ce qui deviendra la wokisme et sauver la liberté. D’entreprendre bien sûr. Le marché est roi, les libertariens ses apôtres armés. À la tête de cette fraternité, un auguste professeur et sa fille à la beauté gothique.
Un demi-siècle plus tard les anciens étudiants dirigent le pays. Au menu : Brexit et populisme trumpien. Avec, en ligne de mire, la suppression du système de santé anglais. On reconnait notamment Boris Johnson, ancien Premier ministre et chevalier du Brexit.
Le druide des ultras est un certain Peter Cockerill, écrivain maudit qui se serait suicidé après, selon lui, avoir tout écrit. Ce qui n’est pas la cas de Jonathan Coe, jamais à court d’inspiration, avec sa quinzaine de romans. Une inspiration qui reste toutefois généralement centrée sur la critique de la société anglaise et la satire politique. En tête du classement Testament à l’anglaise en tête (1995) ou encore Le Cœur de l’Angleterre (2019). Mais il y a aussi de l’autofiction dans Les preuves de mon innocence. Jusqu’où un auteur, Peter Cockerill en l’occurrence, serait-il prêt à aller pour s’assurer succès et éternité ? Le plot twist final est assez savoureux.
Innocence et fake news
Que deviennent les preuves, ou l’innocence dans un monde de fake news? Malicieusement, Jonathan Coe rappelle la proximité de deux événements. L’élection de Liz Truss, au poste de Premier ministre le 6 octobre 2022 et la mort de la reine Elizabeth II le 8 octobre. L’avènement de la conservatrice aurait-t-il achevé la Queen? Le nouveau monde, populiste et adepte des vérités alternatives, détrônant l’ancien ?
Jonathan Coe s’attache par ailleurs à la génération Z, souvent critiquée pour son rapport aux réseaux et aux fake news. Mais dans Les preuves de mon innocence, l’écrivain montre la pluralité des point de vue à travers le rapport à l’autofiction.
« Phyl n’aime pas les livres plein de trucs inventés. Elle trouve ça « fou » est un » peu gênant » d’écrire du personnages fictifs, de placer des mots et des idées imaginaires dans leur bouches et leur cerveaux. Elle pense qu’on ne devrait écrire que sur sa propre intériorité, honnêtement, sans filtre, avec l’immédiat du temps présent, parce que c’est la seule réalité qu’on peut connaître (…) Je ne partage pas vraiment la pureté de (ses) convictions. Je repense, souvent, à cette conversation que j’ai surprise à l’aéroport. Faut-il demander l’autorisation pour inviter une personne dans sa tête et lui faire faire tout ce qu’on veut? Faut-il obtenir son consentement ?
Non je ne crois pas.
L’intérieur de ta tête, c’est ton espace. Tu es la reine de ce palais.
Parfois on a quelque chose à dire, on ne peut pas le faire avec sa propre voix, ou de son point de vue. Faut-il se taire dans ce cas? Non je ne crois pas » (p 447). Rashida défend alors l’imagination « Cette faculté humaine si souvent décriée contestée ».
La méthode Coe
Dans son précédant roman, Le Royaume désuni (2022), Jonathan Coe entrelace 75 ans d’histoire et la vie d’une famille. Il poursuit dans cette veine vie publique x vie intime avec l’histoire de la droite britannique depuis les années 80, voire les années 60 qu’il croise avec le destin de trois personnages. Tous les personnages sont truculents mais leur profusion déroute. On se perd notamment dans les noms des étudiants et de leurs professeurs. Les lecteurs non passionnées de politique britannique seront peut-être aussi désorientés. Reste le style, la construction toute en ironie, et surtout l’actualité du livre. La montée des ultras, des fake news, bien sur. Mais aussi l’assassinat le 10 octobre 2025, de Charles Kirk, un blogueur d’extrême droite, cette fois-ci complotiste et discipline inconditionnel de Donald Trump lors d’un meeting dans une université de l’Utah. Mais là pas de conspiration progressiste ni d’œuvre à préserver.
Les preuves de mon innocence : à lire avant que les ultras ne censurent l’imagination.
INFOS
Les preuves de mon innocence
Jonathan Coe
Article connexe Les preuves de mon innocence Jonathan Coe
