Expo Saint Phalle X Tinguely des expérimentations folles

Expo Saint Phalle x Tinguely des expérimentations folles. Le couple mythique est à l’honneur au Grand Palais avec son complice, Pontus Hultén. Une immersion dans la matière, la couleur et le son.

Au cœur du Grand Palais, l’exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hultén nous plonge dans un univers où l’art mécanique rencontre la fureur joyeuse. Dès l’entrée, on est aux aguets : un silence relatif règne, ponctué d’éclats de vidéos et de cliquetis lointains. Soudain des tirs, puis la surprise très sonore d’une machine qui s’ébranle – un grondement sourd, un sifflement strident, un claquement métallique –. Au début de cette minute de chaos vibrant, on sursaute, pris au dépourvu. Une inversion totale : la performance n’est plus sur scène, elle est dans notre corps. C’est là toute la malice d’un couple. Plus précisément d’un un trio car l’œuvre de Saint Phalle X TInguely a été largement promue par Pontus Hultén, l’historien d’art suédois, complice du duo.

Niki de Saint Phalle : du trauma à la catharsis

Séance de tir de Niki de Saint Phalle, impasse Ronsin, Paris, 26 juin 1961. A gauche : Jean Tinguely © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris. Photo ® Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliotheque Kandinsky/Fonds Shunk et Kender/Dist. GrandPalaisRmn. Photo Shunkkender © J. Paul Getty Trust, tous droits réserves. Don de la Roy Lichtenstein Foundation en memoire de Harn
Shunk et Janos Kender

Niki de Saint Phalle (1930-2002) n’a pas choisi l’art par hasard. Née Catherine Marie-Agnès de Saint Phalle dans une famille aristocratique franco-américaine, elle subit à 11 ans une agression sexuelle de son père. Ce trauma, révélé tardivement dans son autobiographie Mon secret (1994), marque l’œuvre. Hospitalisée à plusieurs reprises pour dépression, elle transforme la douleur en matière explosive. Ses premières Tirs (1961) sont des actes de guérilla artistique : elle fixe des sacs de peinture sur des plâtres, tire dessus à la carabine, et laisse les couleurs éclater comme des blessures libérées. C’est la peinture qui saigne. « Je tirais sur mon propre père, sur tous les hommes, sur la société », confiera-t-elle. Cette violence rencontre celle d’une époque. Les révoltes de la jeunesse notamment en France et aux États-Unis.

Les performances cathartiques, souvent réalisées devant un public médusé, posent les bases de son langage : l’art comme exorcisme. Partiel, car les créations de l’artiste gardent toujours une part de noirceur. Si les Nanas regorgent de couleurs, les « Mariées » blanches respirent la torture.

Mariée et Crucifixion (vers 1965) vue de l’exposition

Un couple mythique : amour, rivalité, fusion… et un troisième larron complice


En 1955, Niki de Saint Saint Phalle encontre Jean Tinguely (1925-1991), sculpteur suisse déjà célèbre pour ses machines absurdes. Ils se marient en 1971. Tinguely, bricoleur génial, est fasciné par le mouvement. Son art est essentiellement cinétique. Il construit des engins qui bougent, grincent, s’autodétruisent – des métaphores de l’absurde moderne. Niki, elle, apporte la couleur, la rondeur. Ensemble, ils forment un duo complémentaire : lui le ferrailleur, elle la peintre-sculptrice.

Pontus Hultén moteur et mentor

Mais, dans l’ombre de ce couple mythique, se tient un troisième personnage.

Les commissaires, Sophie Duplaix (conservatrice en chef au Centre Pompidou) et Rita Cusimano (commissaire associée), ont consacré une partie substantielle de l’exposition à Pontus Hultén (1924-2006), l’ancien directeur du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou.

Niki de Saint Phalle, photo de la Hon repeinte , 1979. Niki Charitable Art Foundation, Santee, Californie© 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris.
Photo © Niki Charitable Art Foundation. Tous droits réservés/Katrin Baumann
© Hans Hammarskiöld/ Hans Hammarskiöld Heritage

Suédois visionnaire, Pontus Hultén rencontre Jean Tinguely en 1955, puis Niki de Saint Phalle fin 1960, forgeant une amitié indéfectible. Premier directeur de Beaubourg de 1977 à 1981, il offre en effet au couple un soutien inconditionnel : acquisitions d’œuvres majeures, rétrospectives dédiées (Niki en 1980, Tinguely en 1988), et appui à des projets fous comme la Nana géante Hon – en Katedral (1966) au Moderna Museet de Stockholm, ou le Crocrodrome de Zig & Puce (1977) dans le Forum de Beaubourg. Sans lui, la Fontaine Stravinsky (1983) n’aurait peut-être pas vu le jour près du Centre Pompidou, et Le Cyclop n’aurait pas émergé de la forêt. Hultén transforme les expériences folles en événements publics, en actes disruptifs qui bousculent les normes muséales. Au Grand Palais, une salle lui est dédiée, avec archives, photos et dédicaces manuscrites.

Les pièces phares : entre joie et provocation

Jean Tinguely, Ballet des pauvres, 1961
Museum Tinguely, Bâle/un engagement culturel de Roche.
Ancienne collection Pontus Hulten
© Adagp, Paris, 2025. Photo © Museum Tinguely, Basel
Photo © Christian Baur

Dans l’exposition, les œuvres dialoguent dans un chaos organisé. Les Nanas géantes de Niki – ces femmes sculpturales, rondes, colorées, dansant sur des socles – célèbrent la féminité triomphante. Le militantisme aussi avec la Black Rosy. À leurs côtés, les Méta-Harmonies de Tinguely : des assemblages de ferraille, roues, moteurs, qui produisent des sons cacophoniques. En premier lieu, le très surprenant Ballet des pauvres une brocante suspendue (bas rouge sur prothèse, morceau de chemise de nuit, marmite …) aux entrechoquements de ferrailles. Une affiche géante montre aussi La Hon (1966), cette Nana monumentale de 28 mètres allongée, son vagin ouvert comme unique entrée du public. Résultat : un scandale évidemment, exploité par Hultén. On découvre également une évocation de Le Cyclop, dont les mécanismes internes (escaliers en colimaçon, miroirs déformants, langue mécanique) transforment la visite en aventure corporelle.

L’odyssée du Cyclop

Maquette du Cyclop présentée dans l’exposition Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hulten au Grand Palais, Paris, juillet 2025
Photo © Pierre Malherbet


Créé entre 1969 et 1994 dans la forêt de Milly-la-Forêt, Le Cyclop, sculpture de 22,5 mètres de haut, pesant 350 tonnes d’acier, en béton et métal, est recouverte de 62 000 éclats de miroirs étincelants. L’œuvre est le fruit d’un imaginaire collectif. Celui de Niki et Jean évidemment mais aussi d’une dizaine d’artistes complices (Bernhard Luginbühl, Daniel Spoerri, César, Arman, Eva Aeppli…). Niki y pose ses mosaïques-miroirs qui captent et déforment la lumière comme un kaléidoscope géant, transformant le visage en un éclat poétique. Tinguely y greffe des engrenages infernaux, des rouages grinçants, une langue toboggan qui s’anime par jets d’eau, et des mécanismes qui s’ébranlent dans un chaos mécanique. Indéniablement un hommage aux mouvements Dada, Nouveau Réalisme et Art cinétique.

Mais Le Cyclop dépasse la somme de ses créateurs. Quand une machine se déclenche au Grand Palais, c’est Le Cyclop qui semble nous observer depuis la forêt, nous rappelant que cette odyssée titanesque, commencée sans autorisation et financée de leurs poches, est un condensé d’utopie festive et provocatrice.

La scénographie : un labyrinthe vivant

La commissaire Sophie Duplaix a conçu un parcours immersif où Le Cyclop et l’ombre de Hultén hantent chaque salle. Les machines de Tinguely sont activées par intermittence, créant des moments de tension. Les Nanas semblent nous observer depuis leurs podiums. Des projections montrent Niki tirant à la carabine, Tinguely soudant, Hultén orchestrant des happenings, et des images rares de Le Cyclop en construction – on y voit les artistes grimper dans la tête, comme dans un corps vivant.

Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, aidé par Pontus Hultén, n’ont pas seulement créé des œuvres ; ils ont inventé un art qui vit, qui bouge, qui nous investit. L’époque était alors à l’art pour tous, à l’art dans la rue. Ce que transmet l’exposition. Mais ce qui reste surtout est un ballet de sons, un voyage dans la couleur et un air de fête foraine.

vue de l’exposition

INFOS

Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely, Pontus Hultén

Du 26 juin 2025 jusqu’au 4 janvier 2026

Grand Palais

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