BnF : Imprimer de Gutenberg à ChatGPT
BnF : Imprimer de Gutenberg à ChatGPT .La bibliothèque expose près de 280 pièces qui retracent et bousculent l’histoire de l’imprimerie dans une scénographie « en papier » et convoque les Humanistes pour mettre en écho la révolution de l’impression à caractères multiples et celle des fakes news et de l’IA.
À l’accueil de grands panneaux tombants aux typographies léchées invitent à découvrir une invention qui a révolutionné l’Europe. Plus loin un atelier appelle une initiation. Toujours en avançant le papier nous enroule, nous entoure. Sur les murs il devient cartels géants et illustrations des thèmes majeurs de l’exposition alors que dans les vitrines il prend la forme de trésors enluminés ou illustrés. La scénographie présente l’imprimerie comme une succession d’expérimentations tout autant qu’une aventure majeure comme avant elle la roue et aujourd’hui le numérique.
Retour sur un mythe : Gutenberg à l’origine de l’imprimerie
Retour sur un mythe : Gutenberg à l’origine de l’imprimerie vers 1455 à Mayence. À travers l’impression d’une bible à 42 lignes sur 1300 pages et 40 cm de haut dont quelques passages sont illustrés de rouge.
La BnF expose pour la première fois une bible papier et une bible parchemin à la fois comme hommage à l’invention et comme preuve de l’efficacité de la reproduction typographique de textes longs. Mais l’exposition avance deux très grosses nuances au tour de force de Johann Gutenberg et de ses associés. À savoir Peter Schöffer, le calligraphe, et Johann Fust, le financier.
D’une part l’imprimerie existe en Asie dès la fin du VIIe siècle sous la forme de xylographie (encrage sur matrice de bois). La Chine et la Corée utilisent aussi très tôt des caractères typographiques en bois, terre cuite ou céramique. La Corée a recours aux caractères métalliques au XIIIe siècle et détient le record du livre le plus ancien imprimé avec cette technique. Nom Jikji. Date 1377. Contenu : enseignements de bouddhas. Soit 80 ans avant la Bible de Gutenberg !
D’autre part Gutenberg n’a pas créé l’imprimerie ex nihilo. En effet, il existait en Europe des techniques comme la taille douce sur cuivre et la gravure sur bois (1400) qui permettent des impressions multiples. L’exposition montre pour la première la plus ancienne matrice de la gravure européenne : le Bois Protat. un bois de noyer gravé en relief représentant une Crucifixion.
L’apport magistral de Gutenberg fut de combiner trois techniques préexistantes (la frappe, la fonte,le transfert par impression) et d’appliquer cette combinaison à un ouvrage de taille : la Bible.
Donc Gutenberg inventeur de l’imprimerie c’est un peu fake !
Successions de techniques et bouleversement des savoirs
La BnF a fait venir de Mayence une reconstitution de la presse de Gutenberg source de foisonnement créatif. « La période 1450 et 1520 est une époque de grande effervescence que certains historiens appellent le temps des start-ups » note Caroline Vrand co-commissaire.
La technique doit répondre à une demande. Tout d’abord celle des ecclésiastiques puis celle des lettrés (10 % à 15 % de la population au XVe siècle)) bluffés par le changement d’échelle. Avoir sa propre bible semble désormais possible. La technique permet en effet un rendement inégalé. Alors qu’un copiste produisait 2 à 3 feuillets par jour, l’imprimeur sort entre 1 300 et 1 500 feuilles recto-verso/ jour. Les imprimeries se développent dans le monde germanique puis en Italie et en France.
Les artistes comme les marchands entrent alors dans le jeu. Une compétition qui mêle innovations techniques et esthétiques. La BnF présente notamment un sublime Dürer. En 1490, le maître de Nuremberg révolutionne le livre imprimé en publiant les illustrations de l’Apocalypse de Saint Jean. Il place en effet l’image au recto au lieu de la situer au verso. Ce format inédit donne vie aux visions de Saint Jean. La deuxième édition en 1511 combine textes courts et et images fortes. Albrecht Dürer st artiste et marchand, il maitrise l’art d’attirer.
Puis la demande se diversifie. De sacrée elle devient profane, parfois licencieuse. L’offre suit. Petits livres pour apprendre à compter, partition musicales, manuels d’astrologie, ouvrages de pharmacopée, textes de théâtre, romans de chevalerie … Les prix chutent et le livre entre dans le domaine commercial.
Oh my fakes : propagande de la Réforme aux guerres de religion en France
Mais si le livre démocratise le savoir, il sert aussi à manipuler les esprits. L’exposition montre ainsi une reconstitution de l’Arc de triomphe de Maximilien Ier. Sur plus de trois mètres de haut et 190 gravures l’empereur met en scène son image et glorifie ses victoires.
Durant les guerres de religion qui ensanglantent la France entre 1559 et 1612, les clans diffusent pamphlets et caricatures. La désinformation se propage. Une guerre médiatique servie par la diffusion de l’imprimé.
Johann Gutenberg en permettant une large diffusion de la Bible permet à Calvin et aux tenants de la Réforme de faire circuler des bibles dans les langues européennes. Plus besoin de médiateur, de prêtre. Pirouette de l’histoire. Initialement au service du clergé catholique la Bible imprimée devient un élément de la lutte et de la propagande calvinistes.
Les humanistes de la Renaissance : la révolution de Gutenberg en regard de la révolution numérique
« En fin de parcours, nous avons choisi de laisser parler les intellectuels du XVIe siècle » précise Caroline Vrand. « Les échos positifs comme négatifs. Ainsi dans Pantagruel Rabelais rappelle que la médecine peut soulager et guérir mais qu’une erreur peut tuer ».
Et oui ChatGPT fait de gros progrès mais se trompe encore et une fois (voire plus en l’occurrence) suffit pour conforter les complotismes ou diffuser des erreurs chez un public plus neutre. Et si une super intelligence décidait que l’erreur c’est l’Homme ?
De son côté Érasme considère que le pullulement de nouveaux imprimés nuit à l’étude des maîtres anciens, seuls auteurs intellectuellement intéressants à étudier. Si l’on transpose voilà les réseaux sociaux et leurs effets amplificateurs servis par des algorithmes qui créent des bulles captives.
« La révolution numérique est un écho de la révolution de Gutenberg poursuit la co-commissaire. « Les bouleversements impliqués par la typographie dans l’Europe de la Renaissance posent des défis similaires à ceux que l’on vit aujourd’hui ». Un documentaire développe judicieusement ces idées.
INFOS
Imprimer ! L’Europe de Gutenberg
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