Livre Un ballet de lépreux Léonard Cohen et la valse des pulsions
Livre Un ballet de lépreux Léonard Cohen et la valse des pulsions. Le premier roman de l’artiste canadien disparu en 2016 déborde de fluides, de libido, de violences tout en dégageant un parfum de quête spirituelle. Déroutant, dérangeant aux antipodes du « sensitive spirit ».
Léonard Cohen a laissé une trace singulière dans l’histoire de la musique. Des sons, des mots, de la poésie. S’il n’a pas été sacré prix Nobel de littérature comme Bob Dylan en 2016, il lègue des titres iconiques comme Hallelujah (1984) magnifié par un autre chanteur culte, Jeff Buckley. Mais Léonard Cohen a aussi été écrivain. Les éditions du Seuil viennent de sortir son premier roman, sombre et violent. Parfois cocasse, toujours glauque. Un concentré de pulsions en 17 chapitres et un dénouement qui joue la carte du basculement et de l’absurde. Comme d’ailleurs l’existence miteuse du narrateur. Le livre écrit dans les années 60 est resté inconnu jusqu’à sa découverte inopinée.
À Montréal, un employé de bureau mène une vie au rabais dans une pension calamiteuse. Chaque soir il culbute Marylin, sa petite amie, qui aime mettre des mots sur leurs ébats. Mais tout change quand il apprend l’existence d’un grand-père qu’il doit prendre en charge. Papy va bouleverser sa vie. Un verrou saute, un torrent s’en échappe. Papy c’est un révélateur, une maïeutique expresse.
Violences et humiliations
Papy ne parle presque pas. Mais il crache et cogne. À la gare il attaque un policier comme pour prendre une revanche. À la pension il casse une fenêtre qui lui résiste. Il humilie Marylin et malmène la logeuse. La violence envahit alors le petit-fils qui commence par agresser un collègue qui lui fait une remarque sur ses vêtements râpés et sans style.
« Regarde-moi, regarde-moi bien. Tu vois, mes ongles sont sales, mes dents sont jaunes, regarde mon costume, il est vieux et sale. Tu sais ce que ça signifie, tout ça ? Ça signifie que je n’ai rien à perdre. Ça signifie que je pourrais te briser la nuque contre ce mur, être jugé en public à la télévision et pendu à la salle du forum avant un match de hockey, et personne ne s’en soucierait à part toi. Ça signifie que je suis dégoûtant, que je suis un paumé, que je n’ai nulle part où aller et que, de tous les gens qui se cognent à moi dans la rue, j’ai choisi de m’en prendre à toi. Ça signifie que je ne suis rien et que tu as la la malchance d’avoir ton bureau à côté du mien (…) Une vague de dégoût me submergeait, vis-à-vis de lui, de moi, de la rue et de ses passants ».
Un ballet des lépreux Léonard Cohen p 40-41
Ensuite il harcèle un employé de la consigne. Un jeu pervers et violent d’humiliations et de coups qui relève presque d’une tentative de déshumanisation. Au moment où Léonard Cohen écrit, les camps de la morts sont encore très présents dans la mémoire commune. Fils de rabbin, il a sans doute été viscéralement touché par cette révélation du Mal.
Mais, comme Papy, le petit-fils semble d’abord libérer des pulsions enfouies dans une danse de violence et de revanche.
Abjections et quête de pureté
Léonard Cohen peint des êtres à la libido débridée. Y compris Papy, le grand-père en rut qui assaille Marylin avant de se rabattre sur la logeuse. Le petit-fils séduit et manipule la femme d’une de ses victimes : le bagagiste au bec de lièvre amateur de magazines porno. Il se repaie du corps de Marylin avant de lui mentir puis de l’humilier.
Les fluides débordent : sperme et urine, larmes et sang.
Parallèlement le petit-fils parle de pureté, de beauté. Cite la Torah et les textes hébraïques. Il conjugue, explore mots et spiritualité.
« J’ai essayé de me rappeler ces sensations de dignité et de mission que j’avais éprouvées l’après-midi de la veille quand il (le bagagiste) m’avait fui en se repliant dans son couloir sombre (…) La pureté, une vie devrait être pure, quête de pureté. La contamination était si facile et si dangereuse. Et avec l’horrible pouvoir des mots eux-mêmes, en se concentrant sur la pureté, la dignité, et le dévouement, en les prononçant lentement, en embrassant la première syllabe de pureté à pleines lèvres, en baignant ma gorge avec le g profond de dignité, l’avalant tout rond, réprimandé par le son mat de ma langue contre le fond de mon palais, tandis que j’explorais le dévouement, j’ai senti que je me purifiais ».
Un ballet de lépreux Léonard Cohen p85-86
Léonard Cohen plonge dans l’abjection en quête d’une lumière qui peut s’éteindre dans l’absurde.
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Un ballet de lépreux
Léonard Cohen
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