L’art flottant aux Franciscaines de Deauville
L’art flottant aux Franciscaines de Deauville. L’exposition qui rassemble des œuvres venues des plus grands musées orchestre un « choc des regards » entre japonisme, impressionniste et art contemporain japonais. L’accrochage baigne dans la lumière intemporelle de l’abbaye.
Les Mondes flottants c’est « La lumière du soleil levant qui rencontre celle du soleil couchant » poétise l’équipe des Franciscaines de Deauville. À l’occasion des 150 ans de la naissance du mouvement, le centre d’art organise une manifestation qui met en regard japonisme, impressionnisme et art contemporain japonais.
Sous les arches de l’abbaye et dans sa lumière voilée, des pièces prêtées par le musée d’Orsay, la BnF, ainsi que par les musées Rodin, Guimet et Maurice Denis. Mais aussi des œuvres du Mori Art Museum de Tokyo, institution partenaire. « L’impressionnisme n’aurait pas été le même sans le japonisme » commentent Les Franciscaines. Tandis que Martin Germann, curateur associé du Mori Art, estime que « La dynamique de création qui habitait les impressionnistes au 19e siècle se retrouve dans l’art contemporain japonais du 21e siècle ».
À l’entrée, une photographie magistrale et gorgée de couleurs de Morimura Yasumasa (photo principale). L’artiste se glisse habituellement dans la peau d’icônes occidentales comme Frida Kahlo ou encore Vincent van Gogh. Ici, il interprète le chef d’œuvre de Manet en prenant la place d’Olympie. Objectif de cette Nouvelle Olympie : questionner encore et toujours la sexualisation, le genre mais aussi l’exotisation. « Morimura, nous renvoie à la figure de l’homme oriental et de la culture japonaise que le regard occidental a fréquemment féminisé » estime Martin Germann.
En dialogue, « La Parisienne japonaise » d’Alfred Stevens. Kimono et reflet dans le miroir incarnent cette fascination biaisée des impressionnistes pour les maîtres nippons.
La modernité comme une grande vague
Ère Meiji (1868‑1912) : le Japon, fermé depuis deux siècles, s’ouvre. Estampes, paravents, kimonos, éventails arrivent sur le vieux continent et les impressionnistes s’en emparent et les collectionnent. La modernité émerge de l’avant-garde artistique européenne qui rompt avec les canons de la Renaissance. Une révolution arrive comme une grande vague à l’image de celle, célèbre entre toutes, d’Hokusai (1760-1849).
L’accrochage de l’exposition Mondes flottants met en exergue l’influence des maîtres nippons sur la modernité. Notamment à travers le nouveau regard sur la perspective, mais aussi sur le vide et sur l’invisible.
À gauche de la captivante Nouvelle Olympie de Morimura Yasumasa, des formats plus petits. « Le Chemin dans les arbres » de Maurice Denis emprunte directement celui d’Utagawa Hiroshige et de ses « Cinquante trois relais ». Félix Vallotton travaille aussi la décomposition de l’espace et l’usage de l’aplat. Alors qu’Albert Marquet utilise de grandes diagonales ainsi que le monochrome.
Monde flottant et invisible
L’Ukiyo-e, image du monde flottant et invisible, touche Eugène Boudin, Pierre Auguste Renoir, Félix Vallotton, Albert Marquet ou encore Paul Signac. L’Ukiyo-e est une approche du rien, du vide en rupture avec les canons occidentaux qui célèbrent le plein. L’exposition des Franciscaines consacre une section au littoral, ce paysage suspendu. « Boudin et Renoir, comme on peut le voir avec « Coucher de soleil, vue sur Guernesey », sont empreints de ce vide venu des estampes » note Annie Madet-Vache, Directrice des Franciscaines. « Les impressionnistes questionnent et sont questionnés par le vide comme par la lumière du littoral, de la mer et de la nature ».
La nature se retrouve en fin de parcours. Une nature omniprésente chez Hokusai, métaphorique chez Monet, fantasmée et étrange chez les Nabis. « Au Japon, les jardins sont également liés à la spiritualité. Les divinités inquiétantes mais généralement protectrices y séjournent » rappelle Annie Madet-Vache. Maurice Denis joue avec cette ambivalence.
La modernité de la ville et la figure de la muse
Au 19e siècle, les villes se transforment. Le paysage urbain et son architecture où se lit le Progrès intéresse également les impressionnistes. Avec les nouvelles leçons du japonisme, Dufy peint une ville très cadrée floutant les repères (Bassin du Roy au Havre). L’exposition présente des objets de mobilier et de parures qui témoignent par ailleurs du nouveau goût pour le Japon. Un éventail s’ouvre ainsi sur le visage d’un modèle apprécié des impressionnistes.
In fine la femme goûte peu à la modernité émancipatrice de l’impressionnisme et demeure dans son rôle traditionnel de muse. Même « flottante » chez les Nabis.
Le regard de l’art contemporain japonais
L’art contemporain japonais exposé aux Franciscaines questionne le japonisme et offre son regard sur des thèmes qui demeurent plus que jamais d’actualité : genre, nature, urbanité …
Ainsi face à la muse modèle qui pose pour L’Élégante à l’éventail de Jacques-Émile Blanche trois autoportraits de Mari Katayama. L’artiste, qui a pris la décision de se faire amputer à 9 ans suite à une maladie congénitale, revendique une beauté non normée et une maîtrise de l’image. Elle pose donc en lingerie dans la position de l’Olympie de Manet.
Plus loin on prend de plein fouet la réalité du vide avec les photographies de Noaoya Hatakeyma. Un triple vide plus précisément. Celui du tsunami de 2011, celui des tremblements de terre et celui de l’après guerre. « On voit les signes de destruction mais aussi ceux de la vie qui renait » précise Martin Germann, curateur associé du Mori Art.
Plus loin encore, la ville est notamment explorée par le dessinateur de manga Tiger Tateishi et son Mont Fuji futuriste.
Enfin le coucher de soleil au cap de Myrthe d’Auburtin fait face au fantôme de la baie d’Edo de Koichi Enomoto. Tandis que Seto Momoko projette la crise environnementale dans son film Planet ∑ qui a été récemment sélectionné aux 15 ans du prix COAL.
Explorer les liens entre japonisme et impressionnisme n’a rien d’inédit. Mais la mise en regard des œuvres est percutante et la mise en perspective de ces deux courants et de l’art contemporain japonais captive, surtout dans l’atmosphère éthérée de l’ancienne abbaye franciscaine de Deauville.
Photo principale Morimura Yasumasa, Une Moderne Olympia 2018, 2017-2018, Tokyo, Mori Art Museum Collection
INFOS
Mondes flottants, du Japonisme à l’art contemporain
Du 22 juin au 22 septembre
du mardi au dimanche | De 10h30 à 18h30
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