Roman Zadie Smith Impostures victoriennes
Roman Zadie Smith Impostures victoriennes. Luttes des femmes, des ouvriers et des abolitionnistes dans une Angleterre qui se déchaine sur fond de procès Tichborne. Un regard implacable sur les postures, une écriture et des personnages savoureusement complexes et piquants.
Sir Roger est-il un imposteur ou bien l’héritier disparu de la branche hautement aristocratique des Tichborne ? Quel est le rôle de l’ambigu Andrew Bogle, ancien esclave d’une plantation jamaïcaine, qui le soutient ? L’affaire enflamme l’Angleterre de cette fin de 19e siècle. Ms Touchet, érudite militante des droits des femmes et abolitionniste, s’enthousiasme pour le feuilleton puis pour l’homme.
Eliza Touchet est le personnage central de L’imposture, sixième roman de Zadie Smith, romancière et essayiste britannico-jamaïcaine très cotée Outre-manche. Un opus de plus de 500 pages qui dissèque la scène littéraire anglaise victorienne comme les combats de l’époque.
Précis de la scène littéraire anglaise
Eliza goute les joies de la chair (et dans une moindre mesure de l’esprit) avec son cousin William Ainsworth puis avec son épouse Frances. En toute discrétion et entre deux thés abolitionnistes chez de vieilles dames Quaker. Eliza observe aussi son époque, toute son époque en tordant sa langue mordante.
Elle croque la scène littéraire victorienne : Thackeray, Orsay, Carlyle, William Ainsworth…. et évidement Charles Dickens. Elle suit les écrivains de réunion en diner, de rédaction en promotion, de toast en coup tordu. De leur jeunesse à la consécration, de la gloire à la mort.
Dickens est la cible favorite des flèches d’Eliza Touchet. Un moraliste qu’elle juge traitre à tous ses combats. L’héroïne pointe ainsi son hostilité à la prise de parole des femmes en publique et suggère de mauvais traitements sur enfants. Bref une magnifique imposture.
Kaléidoscope d’impostures
L’imposture qui révèle toutes les autres est celle dont on accuse un homme. Usurpateur pour les uns, héritier rescapé d’un naufrage pour les autres. Le procès de Sir Roger Tichborne déchaine les passions. Le « combat » du requérant, héritier à l’allure très peu gentry, est celui du peuple contre les élites. Eliza Touchet, d’abord moqueuse devant ce fait divers, va se faire happer. Elle suit les débats et remplit des pages. Certes il y a matière. Le déchainement de haine et le flux de pseudo faits est digne des réseaux sociaux. L’observatrice note à cet égard le penchant à croire une vérité conforme nos convictions et à notre vision du monde.
L’affaire Tichborne est l’occasion de montrer une Angleterre à la Dickens qui célèbre le progrès et le libre échange des marchandises. Surtout quand elles ne coûtent rien et rapportent beaucoup. Autrement dit, les esclaves, ces marchandises humaines venues d’Afrique qui font tourner les plantations. En Jamaïque notamment. Là où Andrew Bogle travaillait avant de reconnaitre Sir Roger.
L’imposture c’est aussi l’engagement et ses limites. Zadie Smith l’incarne dans un magistral dialogue de sourds entre Henry, le fils de Andrew Bogle et Eliza Touchet. L’une défend une liberté acquise par la loi et par la patience. L’autre rappelle un droit inné, une vision naturelle de la liberté aliénée par l’esclavage. Un droit fondamental bafoué à rétablir d’urgence avec réparation. Confit générationnel, frontière de classes. Eliza, elle-même discriminée, éprouve un mépris coupable pour Sarah, la nouvelle épouse de son cousin issue des bouges londoniens. Des quartiers qu’elle explore pour la première fois avec celle-ci. De même le récit de la vie d’Andrew Bogle la trouble, lui fait entrevoir un monde qui lui restera toutefois viscéralement étranger.
Les progressismes ont leurs limites qui varient selon les époques.
Impostures victoriennes
Zadie Smith portraitise les impostures victoriennes à la manière d’une chronique. Un récit porté par une anglaise de la haute société telle qu’on l’a inscrite dans l’imaginaire collectif. Humour incisif, dentelles et crinolines. Rapiécées les crinolines car Ms Touchet, après la fuite de son mari, vit des bienveillances de son cousin. Une position de plus en délicate avec la gloire déclinante de dernier. L’autrice décrit une femme complexe qui manie l’autodérision face à sa situation de « pièce éternellement rapportée » mais perd son flegme anglais devant les critiques du catholicisme. Eliza Touchet n’en reste pas moins irrésistible dans sa critique d’une époque qui résonne avec la notre. Avec nos impostures.
INFOS
L’imposture Zadie Smith
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