Expo Chantal Akerman et les images
Expo Chantal Akerman et les images. La queen du film expérimental qui touchait à tout avec un beau succès critique s’expose au Jeu de Paume. Ses œuvres sont à l’affiche des 20 ans du centre d’art et de sa nouvelle salle de cinéma.
Chantal Akerman (Bruxelles 1950- Paris 2015) ne se posait pas de limites. « Elle explorait des territoires variés, du documentaire à la comédie musicale en passant par le théâtre » rappelle la commissaire Laurence Rassel. Elle prolongeait aussi ses films par des installations d’art contemporain (vidéos), écrivait des essais … L’exposition « Travelling », réalisée en partenariat avec Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, la Fondation Chantal Akerman et la cinémathèque royale de Belgique, propose une rétrospective de l’œuvre avant-gardiste de la cinéaste qui a inspiré Gus Van Sant, Todd Haynes ou encore Michael Haneke.
Chantal Akerman de Godard à Tik Tok
Pierrot le fou de Jean-Luc Bogard est sans doute à l’origine de la vocation de Chantal Akerman pour le cinéma. Mais c’est plutôt à une interprétation du Mépris que l’on pense face à la première installation vidéo « In the mirror – Je joue à être une femme mariée ». Une jeune femme regarde dans la glace et fait une sorte de bilan de son corps. Est-il bien conforme aux canons esthétiques imposés par la publicité ? Pas vraiment mais un peu quand même car les courbures sont là, même si le ventre est un peu mou. Face à l’œil du miroir, on pense à l’œil de Michel Piccoli, qui doit répondre dans une longue séquence aux questions de Brigitte Bardot dans le Mépris « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? ». Instrumentalisation là aussi de corps de la femme ?
Violences filmiques figées et burlesques
En regard une autre installation. Woman Sitting after Killing. L’œuvre est tirée de la scène finale de Jeanne Dielman 23, Quai Du Commerce, 1080 Bruxelles. Le film le plus connu -et reconnu- de la réalisatrice. Le British Film Institute l’a récemment classé en tête des meilleurs films de tous les temps. Jeanne Dielman parle de la vie d’une mère veuve qui se prostitue à domicile pour survivre. Les passes, une tâche quotidienne comme l’épluchage de légumes. Des écrans alignés en récit diffusent une même image avec quelques variations. La lumière, le degré d’obscurité, changent lentement, les mouvements aussi, de manière presque imperceptible. Cette femme sur 7 écrans qui pèle sans fin une pomme de terre est une meurtrière. Le titre le dit. Mais le mystère est entier. Qui, pourquoi, dans quelles circonstances ? La vidéo est aussi inquiétante qu’hypnotique.
Un changement radical avec la narration filmique du premier court métrage de la réalisatrice. « Saute ma ville » (1968) a un goût de Buster Keaton. Ces 13 minutes pendant lesquels elle nettoie sa cuisine frénétiquement et dans un bordel burlesque pourraient être une réponse extrême aux vidéos TikTok de mises en scènes de nettoyage. Aujourd’hui jamais ranger, astiquer n’a été aussi hype. Et jugé aussi bon pour la santé mentale. La libération passe par un grand ménage ? Les images de rébellion de Chantal Akerman permettent d’en douter puisqu’elle finit par faire sauter la maison. Un suicide.
Des images qui placent l’humain au cœur de la géopolitique
Chantal Akerman questionne l’intime : le corps, la sexualité. Elle s’attache aussi aux questions du monde. Les migrations, les empires qui s’effondrent. Au centre toujours, l’humain.
L’exposition présente ainsi D’est. Une installation qui reprend son film sur L’Europe de l’Est peu avant l’effondrement de l’URSS. Chantal Akerman voyage en Russie, Pologne, Hongrie, Tchécoslovaquie,
ex-Allemagne de l’Est, jusqu’en Belgique. Elle saisit les ambiances, les émotions, les paysages, les infrastructures, le magmas de la vie après la chute du mur de Berlin. Les installations faites d’écrans jouent sur le grain comme sur les travellings, les plans fixes et évidemment le montage pour imprimer un rythme. « C’est un travail sur la fragmentation. Cette rupture de linéarité de l’espace invite à réinterpréter l’autre » estime la commissaire Laurence Rassel.
Plus tard, Chantal Akerman s’attache aux migrations. Elle tourne From the other side dans le désert d’Arizona, entre deux montagnes situées de part et d’autre de la frontière avec le Mexique. Les migrants empruntent ce couloir pour entrer aux États- Unis. C’est donc ici que la réalisatrice pose un un écran sur lequel est projeté la dernière séquence du film qui raconte leur errance, notamment celle d’une migrante mexicaine. L’installation A Voice in the Desert (2002) est tirée du film.
Archives, mémoire, identité
Le parcours consacre également une section aux archives qui émanent essentiellement de le Fondation Chantal Akerman – Cinémathèque royale de Belgique. On y voit notamment des scenarii, des photos de tournages, des extraits de reportages et des interviews. Un travelling sur l’itinéraire d’une artiste qui inventait sans cesse. Et aussi sur une femme en souffrance. « Chantal faisait des cauchemars, témoigne sa sœur Sylviane Franco. En voyant les images de la Shoah et des guerres elle a vu une histoire personnelle. Chantal Akerman a fait un film sur la déportation de sa mère, la mémoire et l’identité . No Home movie. Par ailleurs rappelle Sylviane Franco, « Chantal n’a cessé de se questionner sur la transgression du deuxième commandement de la Bible (Exode 20:4-6 ) ». Un enseignement transmis par leur père rabbin : ne pas faire d’images car l’image c’est l’idole.
INFOS
Exposition Chantal Akerman
Travelling
Jusqu’au 19 janvier 2025
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