Le Tout Dave Eggers installe Orwell chez Apple
Le Tout Dave Eggers installe Orwell chez Apple. Réflexion sur le consentement des masses en échange de services, le roman de l’écrivain américain est aussi une virée au cœur de l’absurde. Ubu dans le Meilleur des mondes. Une dystopie terrible et cocasse.
La Chine du « crédit social » est un éden de libertés en regard du Tout. Le Tout, mélange d’Internet pour les communications et d’Amazon pour le commerce en ligne, a rang de monopole absolu. Le géant de la tech n’a pas de concurrent car il absorbe justement tous ses concurrents.
Delaney Wells tente d’infiltrer le siège de la firme sur l’île de Treasure Island, en Californie bien entendu. Objectif : la détruire de l’intérieur. Pendant des années elle peaufine son profil, sa « légende ». Désormais Del est une Trog (anti-techno) repentie, qui après un mémoire pro Tout et une série d’entretiens, multiplie les rotations. Le passage de département en département lui permet de suggérer des idées d’appli aussi absurdes que liberticides sensées réveiller les masses. Une sorte de grand soir numérique.
Ubu dans le meilleur des mondes
Dave Eggers orchestre un crescendo de l’absurde. Il y a d’abord AuthenticAmi qui détermine à l’aide d’une IA qui est vraiment un VeryPote. Plus tard OuiTout qui, au nom de la protection des enfants, espionne les foyers à travers une enceinte connectée puis une vidéo connectée. Mais aussi Arrêt/Imåge et TousIMøbil afin de préserver la planète des déplacements générateurs de CO2. Les humains sont incités à ne plus voyager et les employés à vivre dans l’enceinte de la firme. En bref c’est la fin de la mobilité, le repli sur le foyer sous haute surveillance. Un Indice Carbone mesure les nuisances de chacun et déclenche l’opprobre à travers des appli délatrices basées sur des coefficients de honte. Résultat … rien, acceptation totale … de Tout. Malgré des millions de faillites, de chômeurs aucune révolte non plus.
En bref, le Tout créé un monde où l’ordre et la sécurité priment sur les liberté et la création. Une sécurité qui inclue, avec un perfide opportunisme, la préservation de l’environnement. Car nous n’avons qu’un monde. Alors il faut acheter seulement des produits respectueux. Ceux bien sûr qui ont l’aval du Tout. Ceux que le Tout commercialise.
La transformation de l’espèce
Le prix de cette tranquillité est la transparence absolue, le renoncement à toute vie privée, la dévotion aux algorithmes. Un oculomètre suit le regard partout. Tout regard déplacé est signalé tandis qu’un dirigeable surveille le campus.
Par souci d’objectivité ne sont des chiffres (IA) qui détermine le beau ou encore les nominations aux postes universitaires. Par souci d’efficacité les IA soignent et réécrivent les livres.
Sur le campus les employés suivent MoiMeme, une appli qui dit quand boire, quand faire de l’exercice et quels exercices, qui fixe aussi le temps de socialisation. À travers le nombre envoyé de likes, d’emojis, de stagmatisations (dénonciation de comportements « déviants »). La population volontairement soumise doit rester en bonne santé. Les IA mesure donc également la durée quotidienne de sommeil et de rire. Ce qui ne limite pas le nombre de suicides. Big Brother version IA ne s’accorde pas avec la santé mentale.
On se sait pas ce qui est le plus terrifiant chez Dave Eggers. Décrire un monde du renoncement déjà étrangement familier. Ou bien insister sur le degré zéro de la résistance. Tout le monde accepte une appli qui lui évite de traverser le pièce résume Agarwal l’ancienne prof de Delaney Wells. Une résistante qui alerte sur un point de bascule, une transformation de l’espèce. L’humanité sera (encore plus) malléable, obéissante, délatrice, consommatrice, sans curiosité. Une humanité « délivrée » de l’angoisse du choix. Mais, pour Dave Eggers, quand les IA choisissent à la place de l’humain, celui-ci n’en a plus qu’un : vivre ou mourir. Et sur le campus du Tout, les suicides se multiplient.
Le Tout est sorti en 2021. On attend avec une curiosité inquiète un nouvel opus intégrant les nouvelles IA.
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