Polar Big Machiavel et la fin des politiques

Polar Big Machiavel et la fin des politiques. Le journaliste Henri Vernet croise l’actualité récente, nationale et internationale, les témoignages de contacts dans les grands cabinets conseil et les alertes sur l’IA pour livrer un thriller glaçant sur le grand remplacement. Celui des hommes d’État et des corps intermédiaires et peut-être de la démocratie par une secte de super-consultants et son gourou apôtre de la singularité.

Tout commence dans les catacombes parisiennes, au cœur de la terre, de la matière et de la mort. Tout s’achève, ou débute, au sommet d’un immeuble de Shanghaï devant un ordinateur où une IA immatérielle et immortelle mène la danse du monde.

Son concepteur, Fred Parish, est retrouvé mort dans les catacombes. Un jeu de rôle qui a mal tourné ? La police en doute.

De même qu’elle n’adhère pas à la thèse du suicide d’Alessandra Altieri-Lucceli, l’experte du président du conseil italien chargée de l’assainissement des finances publiques. Une jeune femme a qui tout réussit et qui se défenestre est certes troublant.

Fred et Alessandra ont un point commun. Il sont indéniablement la fine fleur du cabinet O’Kelney, la puissante frime qui conseille les grands de ce monde. Chefs d’États, CEO …

C’est d’ailleurs Quentin Marchal, un autre talent émergent O’Kelney, qui, à la tête d’une team de très jeunes consultants va largement contribuer à faire élire la première présidente de France. Une ancienne syndicaliste, Amélie Pasteur. En contrepartie il est nommé conseiller. Mais Quentin est de plus en perplexe. D’abord face aux morts suspectes de ses collègues. Ensuite face aux dérives mégalomaniaques de Manfred van Richter, Big M, Big Machiavel, le chef du cabinet en Europe.

Un thriller miroir de l’actualité

Big Machiaval a parfois des allures de compilations d’articles. Une proximité des plus inquiétantes.

Elon Musk à la tête du DOGE, le département de l’efficacité gouvernementale, chargé de couper dans les dépenses publiques. La campagne président d’Emmanuel Macron soutenue « pro bono » par le cabinet McKinsey. La gestion de la crise du Covid19 par des cabinets de conseil. Autant d’actualités récentes qui ont suscité polémiques et indignation. Autant de sujets que reprend Henri Vernet en les modifiant à peine. Big M, Big Machiavel, les super cerveaux des consultants des grandes agences dicteraient les politiques publiques.

« La modernisation de la sécurité sociale en Grande-Bretagne? C’est O’Kelney qui l’a menée. La mise en place de l’assurance-maladie Obama Care aux États-Unis ? O’Kelney. Le passage d’un système collectiviste sclérosé a une économie libérale efficace dans les ex-pays du bloc soviétique? O’Kelney encore (…) Je pourrais citer encore des dizaines, que dire, des centaines d’exemples où, sans notre expertise, les citoyens attendraient encore des réformes vitales. Coincés entre l’inertie de l’administration et l’impéritie des politiques. Heureusement pour aux, nous étions là, nous avons rempli notre mission ». Big Machiavel p 135.

La firme demande des appointements conséquents quand le travail est officiel (de 1 000 $ à plus de 100 000 pour un « partner »). Un « coup de pouce », un renvoi d’ascenseur, en récompense de bons et loyaux services lors d’un appui gratuit. Et bien plus dans la dystopie du journaliste qui fait intervenir une IA, Marylin, puis une autre encore plus performante et cauchemardesque.

Big Machiavel effraie par la somme d’actualités qu’il cite. Résultat : le sentiment que la fiction se dilue dans la réalité, ou l’inverse, dans une prophétie apocalyptique. Henri Vernet distille aussi la peur à travers un super méchant à la distinction glacée, Big M. On reconnait les transhumanistes adeptes de l’humain augmenté, de la fusion homme-machine. L’enthousiasme et la puissance de sa team secrète de super-consultants interrogent également le sentiment d’appartenance, la figure du chef, le pouvoir des utopies, le pouvoir tout court.

Un polar à l’heure de l’IA

Big Machiavel emprunte aussi bien aux codes du polar traditionnel qu’à ceux de la dystopie. Les flics enquêtent, les mafias exécutent les basses œuvres. Notamment les contrats sur la tête de conseillers rebelles dans les catacombes ou au terme d’une course poursuite dans le somptueux Palazzo Chigi, siège de la présidence du Conseil des ministres d’Italie. De son côte l’élite de O’Kelney fourbit pacte et complot entre un palace de Courchevel et le siège high tech de la firme.

« Codécideurs? Le mot est faible. Ne sois pas naïf. Il exige bien plus. Enfin, tu as entendu aussi bien que moi. Ce qu’il veut, c’est que nous prenions le contrôle du cerveau des chefs d’État » (Allessandra à Quentin lors du pacte de Courchevel).

Le personnage de Big M gagne au fil de l’intrigue en constance maléfique, en mégalomanie délirante. Il se marie d’ailleurs à Versailles, en souverain. Surtout Big M vante l’épistocratie (ou épistémocratie du grec épistémê, savant) un système dirigé par des experts, des technos et non par des élus du peuple. C’est l’idée platonicienne d’une gouvernance des sages, ici augmentée encore par l’IA, et non des politiques. Un des arguments étant la montée en technicité des décisions et des arbitrages. En face, Quentin Marchal incarne le gentil, le fils de Français moyens, celui qui combat pour le bien, la démocratie, le pouvoir de l’humain. Mais n’est-il pas déjà tard ? La politique et le monde n’échappent-ils pas déjà aux hommes ?

Sur le fond comme d’ailleurs sur la forme Henri Vernet emprunte plus à l’AFP qu’à un Sylvain Tesson. Mais Big Machiavel captive par son rythme, par ses personnages bien campés, son intrigue ultra contemporaine. Un livre haletant qui s’avale comme un page turner à l’effrayante lueur d’une l’IA dont la singularité dépasse le politique comme l’humain.

INFOS

Big Machiavel

Henri Vernet

Buchet Chastel

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