Polar Les princes de la nuit

Polar Les princes de la nuit. Avec des sabbats d’or et une église noire, Jacques Forgeas plonge dans l’histoire et la politique du Grand Siècle. Une suite très sombre des Fantômes de Versailles.
Par Léonore Cottrant
1677 : Colbert surveille le royaume et ses finances tandis que Louis XIV guerroie contre la Hollande et veille à la construction de Versailles. Au Châtelet, les inspecteurs Laruche et Torsac affrontent la misère et la puanteur de Paris. Sa violence et ses perversions. Dans ce nouvel opus des Fantômes de Versailles, Jacques Forgeas fait cohabiter haute noblesse et pire roture, parfums et excréments, sorcières noires et devineresses blanches, l’église de Satan et celle des animaux. En filigrane, la naissance de la police moderne et l’affaire des poisons qui jeta un voile sombre sur le règne du Roi-Soleil.
Vendredi 10 septembre 1677 : Athéna, sorcière blanche, savante herboriste et protectrice des enfants des rues qui disparaissent mystérieusement, est violée et assassinée. Un massacre rituel. La jeune femme est crucifiée le tête en bas sur une porte de grange et exposée à la populace, rue de Vanves.
« C’était épouvantable. Les chairs des poignets et des mains s’étaient déchirées sous le poids du corps. Elle avait dû subir une effroyable torture. (…) Quelle sorte de monstres étaient ces assassins capables de telles atrocités ? Étaient-ils seulement des humains ? » (p18)
D’autres sorcières sont exécutées selon le même mode opératoire. Mais ce ne sont que des sorcières. Le commissaire Delamare, bras droit de La Reynie, le lieutenant-général de police du Roi-Soleil, commence à s’inquiéter quand des médecins subissent le même sort. Quel rapport entre les devineresses et les scientifiques ? Les inspecteurs Laruche et Torsac perquisitionnent et font suivre les médecins qui semblent liés par des recherches communes.
Sabbats d’or et église de Satan
Des investigations qui dérangent certains religieux radicalisés qui prennent les textes à la lettre. Interdiction de toucher à l’homme, créé à l’image de Dieu. Vade retro les réparateurs des corps. C’est Dieu seul qui décide. Des injonctions qui ne vont pas dans le sens de l’histoire. Alors un complot se tisse pour provoquer l’apocalypse et donc l’avènement d’un monde plus « sain ».
C’est une alliance contre-nature qui se noue au rythme des sabbats d’or d’une église de Satan.
« Une vingtaine d’invités richement habillés et masqués était assis dans des fauteuils en satin noir et aux pieds dorés. Les femmes étaient toutes habillées de robes couleur or et leurs perruques était également poudrées d’or. Les habits comme les perruques des hommes étaient bleu argent. Les valets, eux aussi masqués et vêtus de livrées rouge, se déplaçaient en offrant des coupes en cristal et des biscuits sur de petits plateaux ronds. De chaque côté, des tables rondes étaient tendues de nappe de soie noir (…) Deux femmes en noir portant des masques blancs et des perruques dorées surgirent et remontèrent vers l’autel » p196-198. Après une orgie ultra select, les sorcières font jouer un orchestre d’où s’élève la voix céleste d’un enfant. Enfin, le Prince de la nuit doit être sacrifié à Satan.
L’affaire est sensible. Versailles et Saint-Germain se pressent aux bals masqués sataniques dans les ruines de châteaux ou de couvents. Les Princes de la nuit s’inspirent des turpides des nobles qui s’ennuient. On pense surtout à l’affaire des poisons ((1679-1682) qui éclaboussa la cour de Louis XIV. Isabelle de Promard, la grande prêtresse, semble directement inspirée de la marquise de Brinvilliers et de La Voisin accusée, en plus de crime d’empoissonnement, de rituels de sorcellerie (divination et messes noires) incluant parfois des sacrifices de nourrissons. On pense également à la marquise de Montespan, favorite du roi, elle aussi impliquée dans l’affaire des poisons.
Aux sources de la police moderne
Les princes de la nuit montre la naissance police moderne. Les inspecteurs dessinent ainsi les lieux des meurtres – un avant goût de la photographie. Ils utilisent un réseau de mouches (indics) et collaborent avec un médecin, le Dr Andrieux, qui retrouve un fin duvet dans les alvéoles pulmonaires d’Athéna, la première sorcière blanche crucifiée.
Car la science avance. Les médecins européens analysent les organes notamment le cœur et son rôle dans la circulation sanguine. Ils utilisent de nouveaux objets comme le microscope, qui fait voir l’invisible. Ce sont les ancêtres de la police scientifique. Jacques Forgeas adopte un vocabulaire de série policière (scène de crime) tout en pointant pesanteurs administratives et rapports délicats avec les hiérarchies. Car entre les sbires masqués de Colbert et l’équipe du Châtelet il s’agit déjà bien de guerre de polices. Les théories « révisionnistes » d’un clergé aux aguets font également penser aux fake news sur les vaccins.
Un polar populaire, sombre et actuel qui plonge dans l’histoire
Jacques Forgeas, écrivain (Le Manteau de plumes, Le Jumeau de l’empereur …) et scénariste (IP5, Roseline et les Lions …) est né en 1947. Avec Les princes de la nuit, il poursuit son exploration du Grand Siècle. Sa touche ici comme ailleurs : mêler sensationnalisme et faits. Un peu racoleur mais toujours précis. Le rythme est là, addictif. Le style, sans être remarquable est efficace, imagé et sert l’intrigue.
On lit avec plaisir Jacques Forgeas. En particulier les pages sur les joutes feutrées entre Colbert et La Reynie, chef de la police « officielle ». Mais aussi celles qui mettent en avant des thèmes très contemporains : le regard sur les femmes à travers les sorcières, les fanatismes religieux, ou encore, sinon l’antispécisme, du moins une réelle empathie pour les animaux. Ce que traduit l’une des plus belles scènes des Princes de la nuit. Celle où une immense vague de chiens, ondule dans Paris pour rendre hommage à une sorcière blanche adapte de l’Église souterraine, protectrice des animaux.
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Les princes de la nuit
Jacques Forgeas
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