Jakuchu-Le royaume coloré des êtres vivants : voyage parmi des éclats de vie

Dans le cadre de la saison Japonismes 2018, le Petit Palais présente pour la première fois en Europe « Le royaume coloré des êtres vivants » un ensemble de 30 rouleaux réalisé par le peintre Itô Jakuchu entre 1757 et 1766.

La lumière est tamisée et les photos sont interdites afin de préserver les oeuvres à la fragilité extrême. On laisse d’ailleurs « reposer » les rouleaux de soie deux à trois ans entre chaque exposition et on ne les présente que très brièvement. Raison pour laquelle l’exposition du Petit Palais ne dure qu’un mois.

Jakuchu : pieu laïc et « excentrique » de la période Edo

La scénographie fait alterner deux des grands genres de la tradition populaire japonaise : les oiseaux et les paysages. À ceci s’ajoute la triade du temple Shokoku-ji, l’un des plus importants monastères zen « du système des cinq montagnes et dix temples » de Kyoto.
Le premier bonze du monastère était présent pour la présentation presse et a présidé une cérémonie zen éloge de la vie. Selon lui « Jakuchu, suivant l’enseignement du bouddha, montre le côté sacré de chaque créature, glorifie le vivant à travers des peintures qui donnent à voir des éclat de vie« .

La Triade de Sakyamuni, ensemble de trois représentation du Bouddha, ainsi que les rouleaux du « Royaume coloré des êtres vivants » ont été offerts au monastère par Jakuchu qui voulait à la fois assurer le salut de son âme – Ito Jakuchu fut fortement influencé par Daiten, le moine supérieur, qui en fit un fervent bouddhiste – et magnifier le temple Shokoku-ji. L’ensemble a ensuite été acquis par la famille impériale avant d’être légué à la nation et conservé au musée des collections impériales, le Sannomaru Shozokan de Tokyo.
« Itô Jakuchu a grandi à Kyoto dans une famille aisée de marchands de légumes » rappelle Manuela Moscatello, responsable des collections japonaises au musée Cernuschi « Il a commencé très tôt à peintre mais en tant que fils ainé de la fratrie il devait assurer la succession.de son père à la tête du commerce. Ce qu’il fit jusqu’à 40 ans sans renoncer à son art. Puis, ayant confié la charge des affaires à son frère, il se consacra définitivement à la peinture. Le temps passant et la perte d’un frère lui firent ressentir de manière plus aigue la précarité de l’existence et le beauté de la vie. Cela éclate dans « Le Royaume des êtres vivants« .

Jakuchu ne n’est jamais attaché à une école. La période Edo (1603-1867) fut pourtant prolixe en courants majeurs : école réaliste Maruyama-Shijo, courant pictural Nanda et célèbre ubiyo-e, « images du monde flottant ». Il est considéré comme un excentrique à l’imaginaire singulier.

Le Royaume coloré des êtres vivants : maîtrise technique et miracle de couleurs

S’il reste méconnu en Occident, Itô Jakuchu est considéré comme l’un des plus grands artistes japonais. Les critiques et le public voient dans « Le Royaume coloré des êtres vivants » ou Doshoku sai-e son chef-d’œuvre.

Coqs, poissons, paons, phœnix, canards, fleurs … c’est toute la flore et la faune du Japon que l’on découvre dans ses 30 rouleaux. Itô Jakuchu peint « d’après nature » avec un extrême raffinement, un délicat décalage et une maîtrise des couleurs époustouflante.
« C’est un observateur aigu de la réalité mais il va au-delà » estime Manuela Moscatello « Il y a de l’expressionnisme et du primitif dans l’utilisation de la couleur mais aussi du surréalisme, de l’abstraction dans les formes« .

Selon les experts, la principale caractéristique de cet ensemble est la réunion de toutes les techniques appliquées à la peinture sur soie : l’absence de ligne de contour, l’utilisation conjointe de pigments minéraux et de peinture naturelle ou encore la pose de couleur sur l’envers. Grâce à cette technique il a pu donner à voir des couleurs or en n’utilisant aucun pigments doré. « On peut dire que Itô Jakuchu était obsédé par la couleur et ces techniques » poursuit la commissaire. « Il a effectué des recherches approfondies sur les pigments minéraux comme la malachite ou les pigments blancs à base de poudre de coquillages. La techniques de colorations sur l’envers nécessite de maîtriser parfaitement l’ensemble des nuances des couleurs. Sa peintures des érables d’automne avec leur infinité de nuances rouges est, à cet égard, une prouesse technique et esthétique« . On peut aussi citer le blanc de la neige ou du phénix, à la fois poudreux, ombré et tout en iridescence intérieure.

Jakucho a aussi des talents de conteur et de composition. On pense à la scène de la poule et du coq qui rappelle une scène galante de cour aristocratique. Ou encore à ses oiseaux posés sans l’être vraiment sur une branche enneigée.

Regarder la peinture japonaise rend heureux aurait dit Van Gogh. Regarder « Le Royaume coloré des êtres vivants » nous plonge dans un songe raffiné où l’on est à la fois dans le réel et quelques millimètres à côté. On se laisse flotter tandis que l’oeil se fait loupe à la recherche presque sans fin de détails délectables.
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Jakuchu « Royaume coloré des êtres vivants »
Petit Palais
du 15 septembre au 14 octobre 2018