Luxes au MAD : une expo de ruptures

Luxes au MAD : une expo de ruptures .Le musée des Arts décoratifs montre 100 pièces illustrant le luxe à travers les époques et les civilisations. Entretien avec la co-commissaire Cloé Pitiot au fil de pièces rares et précieuses pour des raisons mouvantes.



Luxe : un mot qui fait rêver ou tressaillir. Un terme clivant. Synonyme de superficialiaté et d’exclusion pour les un(e)s, il préserve pour les autres des domaines de savoirs et ouvre de nouvelles voies de connaissances,
Le MAD se range dans le seconde catégorie.
Rien d’étonnant. Fondé en 1864 par les principaux repérsentants des industries du luxe, il a tout intérêt a en exposer la face solaire. D’ailleurs les grandes maisons frissonnent à l’idée d’un bad buzz et bétonnent leur marketing genres, diversité, environnement … Aujourd’hui, le luxe doit être lisse du moins en surface. Élitiste toujours mais lisse.

En 2019, le musée de la rue de Rivoli organise « 10 000 ans de luxe  » en cooperation avec le Louvre Abu Dhabi. Aujourd’hui il poursuit son exploration à travers 100 oeuvres et une scénonagraphie chronologique et thématique du « Luxes des origines » au « Luxes et art contemporain : les liaisons dangereuses ». L’exposition donne également à voir deux lieux fermés à la visite : le salon 1900 qui célèbre l’Art nouveau et les arts décoratifs, et le vaste salon des boiseries qui invite à chiller en regardant des pièces magistrales comme un superbe lustre de Venini.

« Luxes » semble jouer sur les ruptures. Une très belle pièce de lin gage de durabilité, deux bracelets Mellerio et une Hispano Suiza témoin de l’ère de la vitesse. L’extravagance luxueuse du salon arts déco et « l’étrange luxe du rien » (Mauriac), cette retenue classieuse du décorateur Jean-Michel Franck (1920-1930). Des pièces Hermès, marque surveillée de près par Péta et d’autres associations de défense du bien-être animal, et des robes Jacquemus, référence en matière de mode vertueuse.
En ouverture un sablier, en final, dans la grande nef à côté des créations haute couture, Diamant une oeuvre de Mathieu Mercier qui montre les liens entre art et spéculation. Un peu comme le font les tulipes d’Anna Ridler dont les couleurs varient selon les fluctuations des Bitcoins.

On décrypte avec Cloé Pitiot, co-commissaire de l’exposition.


Léonore Cottrant : Une définition du luxe ?

Cloé Pitiot : Je viens du slow desogn. Quand on m’a demandé d »intervenir sur Luxes je me suis interrogée car ce n’était pas vraiment mon domaine d’expertise. Puis je me suis penchée sur la définition. Le luxe ce n’est pas ce qui brille. Étymologiquement le mot ne vient pas de lumière mais de ce qui est à part, à côte, le désemboîtement, la luxation. C’est ce qui permet de créer, de faire un pas de côté.

LC : Pourquoi Luxes au pluriel. La notion est-elle universelle ou relative ?

CP : Je pense qu’il n’y a pas de luxe universel mais une intuition de luxe universel. Ce « pas de côté » existe partout. En revanche le luxe s’exprime par des mots différents (il n’existe pas en arabe) et les ressources qu’il touche varient selon les pays.
Le rare, le loin, engendrent un désir. Le désir de ce dont on ne dispose pas et du savoir-faire qui l’accompagne. Ainsi, c’est partiellement le goût pour les épices qui explique l’ouverture des routes maritimes.
Mais si le luxe est initialement lié à la matérialité, aux ressources rares, il évolue.
Aujourd’hui il s’incarne dans le temps. D’où le sablier de Marc Newson à
l’entrée de l’exposition.

Le luxe chemine avec le temps car les techniques de production requièrent de la lenteur. À ce titre il est aussi lié à la répararabilité.
Dans les années 20, les arts deco rivalisaient de matières précieuses et d’extravagance. On le voit dans la salle dédiée.Mais juste à côté il y a le « salon » de Jean-Marc Franck. Un luxe qui est avant-gardiste, épuré.

LC : Quel lien tisser entre entre luxe, histoire et culture(s) ?
CP : Même si il y a une intuition le luxe, li ne s’entant ni ne s’écrit de la même façon selon les lieu et les époques.
Dans l’exposition vous pouvez voir un manteau d’armure japonais composé de plumes de paon à côté de souliers Louboutin en peau de maquereau et de plumes de paons rouges et bleues. Le constat : deux esprits à deux époques distinctes (deux siècles) ont créé un objet à part à partir de plumes de paon. Ça c’est pour le côté intuition universelle.

Pour pointer les variations de perceptions historiques et culturelles on peut citer
: la coquille d’œuf. Ce matériau très banal devient infiniment précieux quand dans les années 20, Jean Dunand le laque pour en faire un vase. De même Jean-Marc Franck sublime la paille pour en faire un summum de marqueterie. L’objet ou la notion de luxe surgit de la puissance créatrice des artisans et des artistes à partir de nouveau basiques comme la plume, le bois, la coquille.

LC : Pouvez-vous développer votre vision des changements historiques ?
CP Au début du XVIIIe siècle, la mode masculine est faite de costumes ou l’étoffe regorge de détails, est extrêmement travaillée (fils, broderies …) et est composée de matières rares. Puis, à la fin du XVIIIe siècle la coupe supplante l’étoffe. On passe de l’ultime raffinement à l’ultra simplicité. C’est un exemple précis.

D’une manière plus globale, on peut dire qu’auparavant les civilisations n’avançaient pas dans la même direction. Chacune avait une vision et des envies de luxe différentes. Puis, des récurrences sont apparues. Le luxe passait d’un endroit à un autre.

Dans l’exposition nous parlons de ces expressions du luxe au fil du temps et dans différents lieux de la planète.

LC : Le terme luxe se retrouve un peu partout aujourd’hui. Votre réaction ?
CP : L’utilisation grandissante du terme luxe doit faire réfléchir les Maisons..Elles doivent intégrer l’émotion l’expérience …
Le luxe c’est la liberté, l’espace, le temps, le respect


L’arbre de Benjamin Graindorge montre que pour faire un objet il faut sacrifier. L’artiste montre que ce qui a été utilisé est précieux et quel est le process d’utilisation.

LC : Quelles sont vos pièces remarquables ?
CP : Je vais me répéter. A l’entrée, on voit un petit vase d’albâtre. Il vient d’Iran et date de 3300-3400 avant avant JC. Son raffinement extrême prouve que les humains savaient façonner des objets sophistiqués il y a des millénaires.
La cuillère renvoie à lidée de luxe du gout. Ce type de luxe commence quand l’homme ne cuisine plus simplement pour se nourrir. Quand il introduit le sel, puis les épices, le cacao.
La cuillère illustre le volet « rareté ». Initialement c’était un objet réservé à une élite, elle signanit la distinction.
La voiture incarne une autre conception du luxe. Aller voir plus vite, plus loin, pouvoir s’ouvrir sur le monde.
Il y a aussi bien sûr Jean-Michel Franck et sa marqueterie. Comme d’autres objets elle préfigure le luxe dans ses valeurs actuelles. Le bol japonais réparable, la mode qui passe du motif, au monochrome. Et bien entendu le sablier en prélude de l’exposition. Il montre qu’aujourd’hui le luxe c’est le temps’


Luxes
MAD- musée des Arts décoratifs
Jusqu’au 18 juillet 2021
https://madparis.fr/

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