Les Nabis et le décor : troublantes atmosphères

Le musée du Luxembourg organise la première exposition française dédiée à l’Art décoratif des Nabis.
Les reliefs de couleurs sautent au visage, l’oeil se perd entre réalité et décor, l’esprit suit chemins mystiques et arabesques.

Nabis -prophète en hébreu et en arabe- est le nom d’un groupe de jeunes artistes voulant révéler un Art Nouveau basé sur l’amour du Japon, un mysticisme syncrétique, le rejet du pastiche historique et de l’impressionnisme jugé trop proche de la nature.
Fascinés par la peinture de Gauguin, la bande de Villard, Bonnard, Maurice Denis, Sérusier, Ranson, Vallotton se regroupent à la fin des années 1880 pour créer un art en lien direct avec la vie, un Beau accessible à tous à travers le décor : papier peint, tapisserie, vitrail, céramique.
Ils militent pour un décloisonnement des arts afin d’ouvrir la porte à un art total.

L’exposition se divise en 4 étapes.

Les jardins et la mémoire

« La femme et les jardins » questionne l’espace de la narration et pose la question de la temporalité » explique la commissaire Isabelle Cahn.

Les femmes représentées par les Nabis sont loin des muses fatales. Elles font partie de l’entourage des artistes : femmes, soeurs, amies … Chez Maurice Denis – le théoricien-, on les trouve en arabesque, mouvement sans fin de la vie (« Avril ») ou en apesanteur ou presque sur une échelle entre terre et ciel (« L’Échelle dans le feuillage »).

nabis

Les femmes de Paul Bonnard se fondent dans les verts des jardins et de la nature en un flou qui stimule l’imaginaire et renvoie à l’enfance, à la mémoire.

Les intérieurs et l’intériorité

Le Nabis ont bénéficié dès le début de l’appui de journaliste de la Revue Blanche et de mécènes qui leur commandaient des oeuvres.

Dans les intérieurs d’Édouard Ruillard, les personnages semblent absorbés par le décor, les limites entre l’animé et l’inanimé s’estompent. On se prend à un jeu de trompe l’oeil.
« L’intérieur renvoie plutôt à une intériorité remplie d’un décor floral exubérant et de bibelots » estime Isabelle Cahn. « À l’époque de Vuillard, le théâtre scandinave d’Ibsen rayonnait à Paris. Les Nabis ont intégré les notions de famille, d’hérédité dans leurs oeuvres ».
La commissaire souligne par ailleurs l’ambiguïté de l’époque. D’un côté, un enthousiasme face au progrès scientifique, de l’autre un repli vers une intimité peuplée d’éléments décoratifs.

Comme dans les jardins, les couleurs dominent les intérieurs. « Les couleurs peintes sur les couleurs donnent l’impression d’une grande vibration » selon la commissaire. Dans « Le corsage rayé » de Vuillard, la saturation des pigments, leurs reliefs sautent au visage.

Le Japon

iEn 1890, les Nabis découvrent les estampes japonaises à l’école des Beaux-Arts de Paris. Cette rencontre influence profondément leur vison de l’art en particulier en matière d’aplats de couleurs, de stylisation de l’espace. On découvre les paravents créés par les artistes en regard d’autres objets décoratifs comme une boite à cigares ou un carton de vitrail.

Les symbolismes

L’exposition s’achève par « La légende de Saint-Hubert » un décor monumental réalisé par Maurice Denis qui affiche son talent de « créateur d’atmosphère ».
En face, les tableaux créés autour des rites sacrés.
« Certains Nabis, Paul Sérusier, Paul-Élie Ranson et Maurice Denis voient dans l’art l’expression d’une pensée supérieure en lien avec la spiritualité, la philosophie, la poésie, l’ésotérisme » rappelle Isabelle Cahn. « Femmes à la source » de Paul Sérusier évoque dans une atmosphère irréelle, la quête sans fin des Danaïdes. Inspirés par la forêt et ses mystères, les toiles distillent une impression troublante de brouillage de frontières.

À voir pour se déranger les idées.

Léonore Cottrant

Les Nabis et le décor
Musée du Luxembourg
13 mars-30 juin
https://museeduluxembourg.fr


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