Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique

Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique peint une Renaissance incandescente.

Visages qui semblent sortir du tableau, bras qui se tendent vers le ciel, corps qui s’étirent, drapés qui se cassent ou se froissent, cadrage très serré à la limite de la claustrophobie, couleurs sculpturales et électriques, le Grand Palais organise la première grande rétrospective française consacrée à Doménikos Theotokopoulos dit Greco.
Une expérience plus qu’une exposition qui regroupe environ 75 oeuvres sur les 350 connues. Le parcours, immaculé pour faire ressortir les couleurs, est ponctué de hautes cimaises propres à accrocher les grands formats comme l’Assomption de le Vierge (4,70 m).

Une migration qui façonne les strates de l’œuvre qui électrise, magnétise

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique saint luc peignant la vierge

L’itinéraire artistique du dernier maître de la Renaissance et du premier du Siècle d’or colle à sa trajectoire géographique.

Doménikos Theotokopoulos naît à Candie (Héraklion) en Crète vers 1541.
Il devient un peintre d´icônes -bien- établi.
Saint Luc peignant la vierge est réalisé en Crête vers 1660. Mais l’Ile, sous domination vénitienne, est poreuse et Gréco découvre gravures et images empreintes des inventions de la Renaissance.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique triptyque de modene

À 25 ans, il lâche tout et part pour la Sérénissime attiré par les sirènes de la nouvelle vague artistique et peut-être aussi par celles de la renommée.

Arrivé à Venise en 1567, il s’imprègne de la ville : de sa vie quotidienne – les étals de marchands dont il s’est possiblement inspiré pour Le Christ chassant les marchands du Temple selon le commissaire de l’exposition Guillaume Kientz- et de la couleur. Celle du Titien, celle de Tintoret.
Une rupture avec les dorures et la monochromie de l’art byzantin.

Un art qu’il ne renie pas après sa conversion aux canons de la Renaissance.
S’il réalise le Tryptique de Modene témoin de cette adhésion, Greco peindra longtemps sur bois et cultivera toujours le magnétisme qui se dégage des regards des portraits byzantins. Citons en particulier celui de La Vierge Marie (1590), une Vierge étrange, très jeune qui paraît paradoxalement très mature avec son regard perçant – effet de perspective inversée-où la compassion se semble pas dominer.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique vierge marie

Doménikos Theotokopoulos s’investit dans la vie artistique et prend parti pour le colorito (querelle entre les partisans florentins de la prévalence du dessin et les Vénitiens convaincus que le tableau se construit non par traits mais par succession de touches de couleurs).
Le marché vénitien est tenu par de grandes familles et des légendes vivantes comme Titien. Doménikos Theotokopoulos ne rencontre pas le succès escompté et décide de tenter sa chance dans la cité de Papes.

Rome vers 1570 va être son nouveau terrain d’apprentissage.
Après la peinture à l’huile, la couleur du Titien, les clairs obscurs de Jacopo Bassano, les perpectives architecturées de Pàris Bordone, il se frotte au maître de la Sixtine : Michel-Ange.

Dire qu’il se frotte à l’Ange de la pierre et du pinceau ne se révèle pas une figure de style. Il apprend et défie. C’est sur de petits formats de bois – La Piéta / La Mise au tombeau du Christ- que Greco combat Michel-Ange.

Mais son défi ne se limite pas au « faire ». Il déborde sur le dire. Le Grec critique Michel-Ange et fanfaronne.
L’arrogance a un prix : le bannissement du palais Farnèse.
Doménikos Theotokopoulos entre dans cet éden de l’esprit sur recommandation de son ami Guioli Ciovio vantant ses talents de portraitiste acquis en observant le Tintoret.
En 1572, le peintre arrogant est évincé de cette « Factory » de l’humanisme qui concentre le nec plus ultra de l’érudition.
Ignorant la techniques de la fresque et concurrencé comme à Venise par de grandes familles, Greco est à la peine.

Mais si les années italiennes se révèlent riches en enseignements elles favorisent aussi les contacts. L’un des membres du « réseau » d’érudits romains- Luis de Castalla-ouvre à l’artiste migrant les portes de la gloire. Elle ne sera pas italienne mais espagnole.

Greco migre en Espagne en 1576.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique songe de philippe II

Diego, le père de Luis, est doyen des chanoines de la cathédrale de Tolède autant dite Saint Pièrre pour un artiste puisque la ville est alors la capitale des arts en Espagne. Une Espagne dont le roi Philippe II, grand admirateur du Titien, cherche des peintres pour décorer l’Escorial, son gigantesque monastère castillan.
Le souverain s’enthousiasme par L’Adoration du nom de Jésus (Le Songe de Philippe II). L’oeuvre emprunte à Bosch la bouche de l’enfer qui s’ouvre près de Philippe II agenouillé en prière. À gauche le tableau est saturé de figures. L’imagination foisonne. Le plan supérieur fait jouer dans les cieux la lumière de la Renaissance. En revanche le roi dédaigne Le Martyre de Saint Maurice qui aurait manqué à son goût de piété.

Les commandes de Diego de Castalla – L‘Expolio de la sacristie- pour la cathédrale et le retable monumentale de l’église du couvant de Santo et Domingo lui permettent enfin de
« faire le buzz » et de développer son style.

Un homme et son temps : un nouveau langage visuel pour le sacré

Le XVIe siècle de Greco est celui de la Contre Réforme. En Espagne, le peintre se trouve au bon endroit et au bon moment. Il crée un nouveau type d’images sacrées afin de répondre aux besoin monarchies chrétiennes de donner un nouveau rôle à l’image. Saint Pierre et Saint Paul breas croisés symbolisent par exemple la réconciliation des églises.

Sa palette personnelle croise l’art bizantin et les couleurs de la renaissance, la monumentalité et les limites de la représentation, du cadre, préfigure la photo. Il se dégage de ses oeuvres une sensualité, un magnétisme qui happe et hante.
Le regard, comme les mains est un essentiel de la peinture expressive du Greco. On retrouve cette expressivité chez Marie-Madeleine pénitente les yeux remplis de larmes en encore chez Saint François recevant les stigmate et son regard habité, envahi.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique cardinal guerara

Le portrait – dont Greco s’avère un maître- en est l’illustration.
L’exposition présente notamment celui du cardinal Guevara, maître de l’inquisition, assis une main serrée sur l’accotoir du fauteuil, l’autre relâchée. Tout de rose vêtu et porteur de lunettes (symbole de l’omniscience de l’inquisition ou de la curiosité de l’homme pour l’optique très courue à l’époque selon les interprétations). Le regard de bais de l’ecclésiastique semble nous suivre.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique horensio felix paravicinoo

Le poète Hortensio Félix Paravicino fascine par l’extrême finesse des traits et l’intensité du regard Des caractéristiques que l’on retrouve dans Saint-Martin et le pauvre où Tolède -souvent représentée par le peintre avec des cieux hallucinés -triomphe en arrière plan avec l’alcazar, le pont Alcantava et le verte vallée du Tage.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique saint martin et le pauvre

Tolède est aussi la ville où Gréco à réaliser ses œuvres signature.

L’Asomption la vierge -récemment restaurée par l’Art Institute of Chicago- est le panneau central d’un retable réalisé par Greco pour le monastère de Santo Domingo El Antiguo de Tolède. L’oeuvre qui règne au centre de l’exposition résume ce que le Gréco a retenu de la période italienne : la peinture du Titien (bleu, vert, jaune, rose), et la composition sculpturales commme la monumentalité de Michel-Ange.

Idem pour la Pieta (1580-1590) avec ici une grande force émotionnelle : cadre serré, bras mort du Christ qui frôle les limites du cadre à côté d’une couronne d’épines où est incluse la signature de l’artiste. Le bras qui frôle le cadre donne envie de le saisir. Force humaniste du Gréco.
Au delà de la monumentalité, les muscles transcendent la chair fibreuse dans la colère ( Jesus chassant les marchans du temples) comme dans la mort (Pieta)

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique pieta

Au fil du temps et des oeuvres  les corps se déforment et les bras se lèvent : Triptyque de Modène, Le Songe de Philippe II ou L’Adoration des bergers du musée national de Bucarest (1596-1600),

Ces récurrences stylistiques incomparables de Greco triomphent dans la dernière oeuvre exposée : l’iconique Ouverture du cinquième Sceau (la vision de saint Jean). Au delà des postures, le choc visuel vient de la palette électrique des drapés et du ciel (amputé). La lumière devenue folle comme le ciel d’outre-tombe rendent l’Apocalypse presque palpable.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique ouverture du cinquieme sceau

Si les oeuvres sacrées constituent la majeure partie de l’oeuvre, l’exposition montre aussi les scènes profanes comme Tabula le fascinant tableau du souffleur (souffleuse ?) de verre entouré du singe (symbole du diable) et d’un personnage à l’expression indéterminée. La composition serrée et le focus sur le feu créent un effet magnétique.

 Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique tabula

L’atelier : le sens des affaires

Les commandes affluent. Domeniko Theotokopoulus ouvre un atelier dans le palais du marquis de Villena où il applique une division stricte du travail.
Son fils, Jorge manuel Theotokopoulos, joue le maître d’œuvre et le marketing Officer. Trois des sept dessins présents dans l’exposition sont des ébauches de commande mais le maitre n’est pas fan du medium et prèfère realisé de petits formats exposés dans son atelier, comme des appâts pour commanditaires. Les employés réalisent le « gros »de travail tendit que le Gréco se réserve plus belles oeuvres et se contente semble-t-il de signer ou de retoucher le « travail commun ».

Le style : invention et variation

Selon les commissaires de l’exposition, Greco n’a cessé de reprendre un motif initial. Cela vaut pour les scènes (bouche de l’enfer ou bras levés) comme pour les thèmes. Répétition des prototypes durant la période byzantine, observation des pratiques des ateliers vénitiens, l’origine de ces variations reste ouverte.
Ce côté sériel aurait inspiré les Modernes selon Guillaume Kientz, le commissaires (voir interview de Guillaume Kientz)

Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique Jesus chasant les marchands du temple

L’exposition montre ainsi quatre versions du Christ chassant les marchands du Temple ( incarnation de Gréco en colère ?) et deux Agonie du Christ au jardin des oliviers.

La postérité : des romantiques aux Modernes, des artistes aux écrivains

Greco meurt à Tolède en 1614.
Après la gloire vient un oubli de près de deux siècles.
Madrid succède à Tolède comme capitale des arts, Greco appairait difficilement accessible et Velàzquez reste dans toutes les mémoires.
Au XIXe siècle, l’Espagne fait sortir des œuvres qui font redécouvrir le maitre et se développer un goût pour le pays.
Le romantisme qui classe à tord, Greco, parmi des génies maudits ou hallucinés, remet Doménikos Theotokopoulos au goût du jour. Les avant- garde prendront la suite : fauves, impressionnistes, cubistes.
La Dame à l’hermine de Cézanne est inspirée de celle qui au XIXe siècle est considérée comme une œuvre de Greco. L’anatomie des Baigneurs de Cézanne doit beaucoup au Laocoon de Gréco.
Picasso visite le Prado et Tolède. Le réalisme des figures de Doménikos Theotokopoulos l’a visiblement inspiré pour les demoiselles d’Avignon.
Aujourd’hui un artiste comme Garouste s’intéresse de près au travail du dernier maître de la Renaissance.

Si les artistes découvrir l’importance du maître, les écrivains s’enthousiasment. Cocteau lui consacre un livre comme
Barrès à la recherche de racines chrétiennes de l’Occident dans l’âme de la Castille du XVIe siècle.

« Greco échappe à son siècle, à son pays, à tout sauf à l’admiration » conclue Guillaume Kientz.

Léonore Cottrant

Exposition Greco -Grand Palais : le migrant magnétique

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Credits photos RMN et Finelife TV

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