Les trafiquants d’éternité d’Amélie de Bourbon Parme

Les trafiquants d’éternité d’Amélie de Bourbon Parme nous plonge dans l’Église ultra décadente de la Renaissance. Le jeune cardinal Farnese, sorte de Rastignac en pourpre, sert de guide dans ce livre monde entre hybris sanglante des Borgia, subtiles intrigues des Médicis et menaces d’Apocalypse. Une grande fresque historique sur l’ambition.

La Renaissance évoque d’emblée l’art du XVIe siècle et ses génies. Une revisitation, une transcendance, un au-delà de la perfection antique signés Michel Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, Botticelli ou encore Greco. Mais tous ses maîtres avaient des maîtres, des commanditaires sans lesquels ils auraient certes pu créer mais pas vivre. Et les plus grands mécènes étaient des grandes familles et surtout des hommes d’Église dont des papes qui, pour certains, n’avaient rien à envier aux pires empereurs romains.

C’est dans ce monde de pouvoir, de corruption et de débauche qu’Amélie de Bourbon Parme nous immerge. Pour cette aventure en apnée il faut prendre une grande inspiration car le roman compte plus de 500 pages. Historienne, elle l’a construit et documenté en travaillant notamment à la villa Farnèse de Rome.

Amélie de Bourbon Parme : un souffle héroïque sur le roman d’histoire

Tout commence comme un grand récit d’aventure à la Dumas. L’arrestation et l’évasion d’Alessandro Farnese, gentilhomme destiné à l’Église mais attiré par les armes. Après de ralliement de son frère aux ennemis du Pape Innocent VIII, le jeune Alessandro est emprisonné au château Saint Ange, la forteresse qui protège le Vatican. On ne s’évade de l’Alcatraz romain. Sauf si Silvia, une jeune religieuse, fournit la clef des champs et des rêves de pouvoir.

Mais c’est une autre femme, la sublime Julia, sœur d’Alessandro, qui va assurer au jeune ambitieux son rang de cardinal, première étape d’une laborieuse conquête du pouvoir. Alessandro deviendra en effet pape. Le pape Paul III. Stendhal s’inspirera directement du personnage dans la Chartreuse de Parme en transposant l’intrigue au XIXe siècle.

Amélie de Bourbon Parme appartient à l’une des plus grandes familles de France à l’image des Valois, des Condé ou encore des Guise. L’histoire coule dans ses veines. Elle met son héritage ai service des livres. On lui doit ainsi Le sacre de Louis XVII et Le secret de l’Empereur. Avec l’épopée des Trafiquants d’éternité, elle s’attaque aux luttes de pouvoirs entre la papauté et les souverains de Naples, Milan, Venise. Entre la fin du XVe siècle et le milieu du XVIe siècle les alliances se créent et se défont au fil des intérêts privés des princes. Elles se fomentent et s’achèvent dans la trahison et le sang. Au milieu règne la débauche.

Prolilage de l’ambition

On croise ainsi le sombre gouverneur Della Rovere, conseiller du pape Innocent VIII ou encore le stratège esthète Laurent de Médicis et sa cour florentine. “Florence n’avait pas d’autres armes que celle des mercenaires de la vérité et du beau. Et pourtant, malgré la lumière et l’intelligence, qui s’étaient couché à ses pieds, Laurent de Médicis est toujours en quête d’une légitimité supérieure. Loin de Rome, je mesurais toute la puissance du pape vers lequel ses ambitions convergeaient” écrit Alessandro Farnèse. Laurent le magnifique accède indirectement au pouvoir suprême grâce aux habiles mariages de ses enfants avec des membres de la famille du pape Innocent VIII.

Car ce “maillage” permet à son fils Jean, nommé cardinal à 13 ans, de devenir pape sous le nom de Léon X. La diplomatie des mariages est pratique courante chez les souverains. Mais Amélie de Bourbon Parme rappelle un fait moins connu. Les cardinaux – et futurs papes- avaient en effet des enfants illégitimes qu’ils utilisaient comme des instruments de pouvoir.

L’ambition réelle mais raffinée de Laurent de Médicis tranche avec les excès légendaires de la famille qui lui succède au sommet du pouvoir : les Borgia. L’écrivain peint la folie et la fureur sur le visage de César, l’ambivalence sur celui de Lucrèce, la passion et la ruse sur celui de leur père, Rodrigo, le pape Alexandre VI.

Quant à Alessandro Farnese, “le cardinal jupon”, il doit sa nomination à l’amour du pape pour sa sœur Julia, très habile et très intrigante. Dans cette galerie d’ambitieux, Amélie de Bourbon Parme classe Alessandro parmi arrivistes aussi tenaces que discrets. Ses armes : sa sœur, son art de la diplomatie et un sens de la stratégie guerrière. Un conseiller du Prince qui attend son heure. Pour établir la gloire de sa famille. Machiavel n’est pas loin.

Portrait d’une époque

L’écrivaine s’attache aussi à portraitiser la vie et la culture de l’époque. Elle détaille la mode, notamment le costume traditionnel traditionnel florentin : “une tunique rouge, tirant sur le bras, cousue dans une étoffe légère, accompagné d’un chapeau, assorti porté sur le côté de la tête”. Mais aussi les chasses à l’épervier en Toscane, la gastronomie, l’architecture, l’art et la philosophie. Celle du cercle florentin de l’Académie platonicienne où Alessandro rencontre les plus fins esprits de l’époque. Pic de la Mirandole aussi beau que piquant et Machiavel tout en rousseur et regard perçant.

Les trafiquants d’éternité : les germes de la révolution protestante

Une époque de concentration des richesses, corruption, incestes, orgies, fratricides. Les papes ne se contentent pas d’assoir les évêques en contrepartie de petites fortunes. Et dans la cas des Borgia de les empoisonner pour récupérer leurs biens afin de financer la conquête d’un état “papal”. C’est l’ensemble du corps ecclésiastique qui joue les trafiquants d’éternité. Des Indulgences aux bulles de tolérances. “Tous les écrivains apostoliques étaient tentés de se laisser acheter pour quelques ducas, tant les sollicitations étaient nombreuses. Dérogation accordée à un prêtre souhaitant vivre, maritalement, permission donné à des religieux mendiant de s’enrichir, ou encore de dire la messe sans servir le vin.”

Dans le livre d’Amélie de Bourbon Parme, un personnage incarne la “révolte”. Jérôme Savonarole. Un prédicateur florentin dont les harangues d’apocalypse remuent les foules. Le moine réformateur condamne la débauche, la corruption qui s’incarnent en particulier dans les indulgences, passe-droits pour l’éternité. Il stigmatise le désir de gloire. Les trafiquants d’éternité le redoutent même s’il ne prône pas une Réforme comme Calvin ou Luther.

En centrant ce premier tome sur Alessandro Farnese Amélie de Bourbon Parme rend un hommage nuancé à son ancêtre. Mais ce personnage guide et acteur permet aussi et surtout d’insuffler un souffre héroïque au roman. On explore les coulisses d’Augias de l’Église de la Renaisse avec autant de plaisir que d’horreur.

INFOS

Les trafiquants d’éternité – L’ambition

Amélie de Bourbon Parme

Éditions Gallimard https://www.gallimard.fr/

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