L’expérience des fantômes Fabrice Humbert entre terres polaires et spectres anglais

L’expérience des fantômes Fabrice Humbert entre terres polaires et spectres anglais livre un récit qui en met en regard âmes troubles et expéditions arctiques comme il questionne la construction de l’histoire. Le tout à travers le portrait ambigu d’une femme hors pair, Jane Franklin, épouse de l’amiral mythique et incarnation d’un féminisme singulier.

Mai 1845 : l’amiral John Franklin quitte l’Angleterre à la tête des navires Erebus et Terror et d’un équipage de 133 hommes. L’expédition qu’il dirige doit permettre de découvrir le passage du Nord-Ouest dans l’Arctique canadien et ainsi d’ouvrir une nouvelle route commerciale entre l’Atlantique et le Pacifique.

11 avril 1847 : Jane Franklin fait un rêve. Elle voit son mari “entouré d’une nuée bleue, ses rares cheveux comme épaissis et d’un blanc éclatant (…). Son visage était contracté par la peur. Il fuyait sur la neige. Ce n’était pas de la panique, plutôt une sorte de peur réfléchie (…). Derrière lui, y avait une ombre, mais les obscurités et les troubles du rêve empêchaient Jane de savoir s’il s’agissait de la nuit qui s’avançait ou d’une toute autre créature. Et puis John s’abattit sur terre. Il tenta de se relever par le côté : son visage déterminé était devenu hagard”.

Construction des récits et figure de l’explorateur

Le décor est planté. Le rêve, l’irrationnel, vont conduire Jane Franklin à remuer l’Angleterre victorienne pendant douze ans afin de retrouver son héros de mari perdu dans les ombres arctiques.

Elle y réussit d’autant plus que John Franklin a figure de mythe. Le marin est l’incarnation du héros explorateur, symbole de la puissance de l’empire où le soleil ne se couche jamais. Du moins jusqu’aux indépendances. Un homme devenu culte après deux expéditions dans l’Arctique. Celle de la rivière Coppermine (1819-1822) au Canada l’a fait connaitre comme “L’homme qui a mangé ses bottes”.

Fabrice Humbert se livre à une analyse de la construction des récits qui forgent une nation et au delà l’Histoire du monde. Et plus généralement l’histoire de la conquête de l’Occident sur la nature et les peuples. Car, selon Fabrice Humbert, Lady Franklin va réussir à pervertir la vérité en faisant de son mari le découvreur de passage convoité et à réduire à néant les témoignages des Inuits. So schocking ! Comment des Anglais, incarnation de la plus fine civilisation, des sujets de sa très gracieuse Majesté auraient-ils pu se livrer au cannibalisme ? Même dans les conditions les plus extrêmes un Anglais reste un homme porteur de civilisation.

Ambivalence : Jane Franklin féminisme ou ambition

Alors que les Anglo-Saxonnes s’emparent du personnage de Jane Franklin pour en faire une stratège guerrière qui interpelle les plus hautes autorités militaires comme le Président des États-Unis ou le star de Russie. Une femme qui aurait aujourd’hui savamment utilisé les réseaux sociaux pour servir son combat en se servant de son image de jeune femme de 24 ans -alors qu’elle en a plus de cinquante lors de sa vision- et de techniques de communication de pointe – des éditos de Dickens à la cagnotte finale alors qu’elle est ruinée- Fabrice Hubert en fait un portrait beaucoup plus ambigu. Quel combat Jane sert elle en définitive ?

Le verdict de sa belle fille sonne comme une condamnation “Tout le monde sait, dit Eleanor d’une voix sifflante de haine que vous avez envoyé mon père dans cette expédition par pure gloriole (…) mon père avait l’âge de se reposer (…) Vous l’avez tué”.

Fabrice Humbert dresse le tableau d’une femme qui agit, bouscule l’ordre établi. En bref une femme au féminisme singulier qui utilise son mari pour une gloire commune. Seule manière à l’époque de s’affirmer.

Terres polaires et spectres anglais

L’expérience des fantômes s’affirme comme une superbe aventure vécue côté “polar wives”, femme d’aventuriers arctiques. De fait, Jane Franklin s’aventure sur des terres tout aussi méconnues, spectrales et mouvantes que celles des héros des récits mythiques d’explorations polaires. Et c’est peut-être l’aspect le plus original de ce roman.

L’écrivain croise en effet les imaginaires. Celui du monde blanc et celui des esprits. Deux inconnus qui se répondent. Il pointe par ailleurs les contradictions d’une société qui célèbre le progrès et la raison conquérante tout en goûtant les vertiges du fluide mesmérien. Une théorie qui affirme que tout baigne dans un même magnétisme animal. Et par conséquent que les vivants et les morts pouvent communiquer. C’est ainsi que le fantôme d’une petite fille va guider une Jane Franklin plutôt sceptique dans une ultime expédition.

“Si étrange qu’il soient, les événements relatés dans cet ouvrage sont authentiques” écrit l’auteur en préambule. “Les journaux de l’époque ont fait des recensions précises des moments les plus surprenants de ce récit. Des témoins oculaires les ont consignés dans des ouvrages que chacun pourra consulter dans les bibliothèque nationales anglaises et canadiennes”.

Attendez vous à frémir dans la blancheur spectrale, à vous perdre dans la neige noire.

INFOS

L’expérience des fantômes

Fabrice Humbert

Éditions Gallimard https://www.gallimard.fr

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