Sarah Suzanne et l’écrivain un livre esthète et féministe

Sarah Suzanne et l’écrivain un livre esthète et féministe .Éric Reinhardt plonge au cœur du couple et des violences psychologiques dans une descende aux enfers illuminée par l’art. Le livre figurait dans la dernière sélection du prix Goncourt 2023.

Suzanne Stadler ça sonne un peu trop Duras non ? L’écrivain acquisse. Que pense-t-elle alors de Suzanne Sonneur ? Sarah est d’accord. Éric Reinhardt imagine un écrivain qui écrit l’histoire d’une femme, Sarah, en gardant sa liberté mais en respectant les remarques de l’inspiratrice. Un dialogue parfois moqueur comme quand Sarah fait remarquer à l’auteur qu’il projette un peu ses fantasmes sur elle et son double Suzanne. Un échange qui éclaire aussi sur la construction d’un livre : personnages, lieux notamment. Et surtout qui conduit à un flou où les identités se mêlent. On se sait plus parfois qui est qui.

Du cancer au sacré : la mangeuse de tableaux

Dans Sarah Suzanne et l’écrivain, Éric Reinhardt commence par faire vivre le cancer de Sarah-Suzanne. On pense alors à une réflexion sur la maladie portée par un homme à travers un récit d’une femme. Certes, mais l’auteur en profite pour introduire l’art comme force et sens.

C’est grâce à l’art que Sarah-Suzanne supporte la maladie et se réinvente. En particulier à travers la lumière de Nicolas de Staël. L’une architecte, l’autre généalogiste, laissent tout en plan pour se consacrer à l’essentiel. Et pour elles l’essentiel c’est la création. Art et écriture. L’écrivain livre alors de jolies pages sur Francis Ponge et les créations des héroïnes. Notamment une “cabane crâne-coquillage” inspirée par le poète et une église de dentelle. Des inspirations qui dérivent de Ponge mais aussi d’une “retraite” que Sarah-Suzanne effectue au Louvre.

Le sacré est là. Un sacré esthète. Dans une rue de Dijon, Sarah-Suzanne tombe en arrêt devant la boutique d’un antiquaire. Là, un tableau du XIXe siècle représentant un couvent et deux religieuses qui semblent guetter. Quoi, qui ? Les moniales comme l’architecture fascinent Suzanne. Pourquoi ? Elle se cesse de s’interroger. Une projection, une mise en garde ? Le tableau est un livre en soi. Il donne d’ailleurs son titre au roman dans le roman : La mangeuse de tableaux.

Féminisme provinciale

Mais Sarah Suzanne et l’écrivain est avant tout une description lente, précise et terrible de la descente aux enfers d’une femme écrasée par les violences psychologiques de son mari. Sarah ne se sent plus à l’aise dans son couple. Son marin, avocat fiscaliste dans le cas de Suzanne, boit, fume des joints et mate du porno chaque soir après le dîner. Elle prend par ailleurs conscience qu’il détient 75 % de leur appartement.

Afin de déclencher un électrochoc elle quitte le domicile conjugale pour un temps. Le résultat sera très loin des effets salvateurs escomptés. Son mari pratique le ghosting, sa fille la rejette et son fils vient dans la HLM où elle vit désormais en “dînant une fesse sur une chaise”. Très attachée à sa maison et à sa famille, Sarah-Suzanne passe ses soirées devant les fenêtres de la demeure cossue où elle regarde, comme un tableau, une vie de famille se dérouler sans elle. Sarah-Suzanne se sent “à la consigne”. Rejetée, inexistante, comme morte de son cancer. Cette exclusion destructrice la mène au délire.

Sarah-Suzanne a eu le courage de ne pas se satisfaire d’un couple qui se délite et de vouloir le sauver. Mais aussi de questionner les pratiques patriarcales d’un mari pingre et égoïste. À elle les dépenses du quotidien, à lui le patrimoine. Le tout en province et dans une hiérarchie de classes marquée.

Happy end hollywoodo-dijonais

Éric Reinhardt a beau jeu de s’attaquer à la bourgeoisie de province. C’est facile. Un rien surfait même si la situation de Sarah-Suzanne est parfaitement crédible. Comme la progression de sa descente aux enfers est remarquable et son pétage de plombs digne d’un bad trip où peut-être d’une performance artistique.

Surtout l’épilogue sous forme de happy end hollywoodo-dijonais a des allures d’énigme. Car voilà toutes les planètes-alignées, tous les voyants au vert. C’est du feel good surprise et ultra concentré. Le souvenir imaginaire (ou pas) de l’écrivain a boosté Sarah. L’a révélé. Les frontières entre les identités se floutent de plus en plus. Éric Reinhardt s’invente démiurge ce qu’est en effet un peu tout écrivain. Mais là, le démiurge bâcle sérieusement son œuvre !

INFOS

Sarah Suzanne et l’écrivain

Éric Reinhardt

Éditions Gallimard

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