Le Cabaret du Néant l’art du Rien
Le Cabaret du Néant : l’art du Rien nous balade en plein château de Rentilly des danses macabres aux espaces mallarméens. Métaphysique et jubilatoire.
À4, N104, le bus file de Paris vers le néant ou plutôt le Cabaret du Néant.
Terminus 30 minutes plus tard sur le parking du Parc culturel de Rentilly – Michel Chartier (Seine et Marne).
D’un côté une ligne de pavillons sagement monochromes. De l’autre 50 ha d’espaces « nature » et le château tout en verre et inox. Façade parfaite pour refléter les vanités sub-lunaires.
Le Cabaret du Néant l’art du Rien : une double origine
L’exposition Le Cabaret du Néant a une double origine. La vision mallarméenne de la mort, de la vie et de la création cristallisées dans le poème « Coup de dés » et le cabaret éponyme. Premier restaurant à thème, le célèbre établissement installé en 1892 entre Pigalle et Montmartre associait menus et déco joyeusement lugubres à des spectacles inspirés des danses macabres du XVe siecle pour le plus grand plaisir des visiteurs. « Un mélange d’effroi et de beauté poétique » commente César Kaci l’un des commissaires.
Organisée conjointement par la Frac Île-de-France, la Communauté d’Agglomération de Marne et Gondoire et les Beaux-Arts de Paris, la manifestation présente l’originalité de mêler œuvres contemporaines et pièces maitresses de la collection des Beaux-Arts parisiens sous la curatelle de la nouvelle filière « Métiers de l’exposition ».
Un itinéraire en trois temps
Elle suit une progression menant du plus concret ou plus abstrait et se divise en trois parties : Le festin des inquiétudes, Anatomie de la consolation, Fin de partie.
Ouverture sur des écorchés anciens et contemporains.
Dans une atmosphère rouge bloody, le buste auto-portait narquois de Jules Tarlich semble surveiller la danse macabre que forment un autre écorché à terre, l' »Apollon » sans peau d’Edme Bouchardon désinvolte avec son index qui ponte le ciel de la Fatalité et Hélène doublée Homer les créatures de Victor Yudaev.
Cette scénographie reflète l’approche parodique et festive du Moyen Age post-peste face à la mort.
Au menu de ce festin, des pièces majeures comme Le cheval et la mort d’Albrecht Dürer ou le Rien en néon de Jean-Michel Alberola.
S’y ajoutent des songes de la raison face au trépas et au néant : tableaux, manuscrits anciens, photo, gravures …
Les photos de punk flous (no future) de Nina Galdino dessinent une fresque des nuits parisiennes au romantisme noir.
Le Spectacle poule signé Damien Moulierac – étudiant aux Beaux-Arts- renvoie au cabinet des curiosités d’une Alice au pays de sombres Merveilles.
Les paysages hantés de Graham Gussin estompent par leur brouillard les frontières entre monde humain et surnaturel laissant présager l’apparition de créatures fantastiques.
Écorchés, fantômes, songes et danses macabres
La figure du fantôme comme celle du crâne symbolisent la finitude humaine , le Memento mori, « souviens toi que tu vas mourir » chrétien.
Mais dans le cas de Valérie Sonnier, le fantôme ne rime pas avec la mort mais avec la transmission. « L’accumulation des souvenirs qui constituent le fantôme n’est pas le fantôme d’un être mais la concentration des êtres qui ont traversés le lieu » explique l’enseignante qui piége par la photo/vidéo l’ectoplasme des Beaux-Arts. L’oeuvre trouve sa source dans un travail sur les maisons s’inspirant de Lazartigue et de Méliès.
Science, exploration, consolation
L’Anatomie de la Consolation, deuxième partie de l’exposition Le Cabaret du Néant l’art du Rien explore sciences et techniques qui, de la l’anatomie à la psychanalyse, ouvrent de nouveaux horizons à la fois plus rationnels et plus abstraits sur la mort et le néant.
Ici, le vivant c’est par la mort que scientifiques et artistes l’appréhendent.
Place donc aux dissections, à l’anatomie encore enseignée aux Beaux-Arts.
Deux dessins de Géricault dialoguent ainsi avec L’Ange anatomique de Jacques-Fabien Gautier d’Agoty auteur des premières planches anatomiques en quadrichromie. L’étrange beauté écorchée fascina les Surréalistes qui la baptisèrent et assurèrent sa célébrité.
La gravure rayonne près d’un montage de mues de cigales récoltées aux Japon. L’assemblage d’exosquelettes appelle-t-il pour le recouvrir la corolle de peau aux pistils de muscles ?
Toujours dans le contemporain, Valentin Ranger – étudiant aux Beaux-Arts de Paris – une vidéo et une collection d’ex voto en aluminium interroge sur l’histoire de l’humanité et sa finitude.
À cette histoire figée dans le métal répondent les têtes de bébés de Christian Boltanski. Sous formes de reliques photographiques, elles questionnent sur les débuts de la vie et , en creux, sur sa fin.
L’art de la fin
La troisième partie sonne la fin en clin d’oeil à la pièce de Samuel Beckett. Une réflexion artistique également mallarméenne sur le néant.
Qu’est l’Être, le vivant par rapport au Néant, à la mort, au Rien ?
La philosophie peine à appréhender la frontière entre l’Être et le Néant ou à définir l’Être. En effet, le Rien ne peut rationnellement s’appréhender car si la raison le capture il est déjà quelque chose se niant lui même.
Mais l’art parvient à saisir ce qui glisse sur le raisonnement.
Ainsi, Ismaïl Bahri filme la lente combustion d’une feuille de papier depuis sn centre jusqu’à sa disparition totale.
L’aquarium de Claire Isorni traduit l’imperceptible mouvement qui peut définir la vie mais dont la couleur verte évoque le mal, la mort.
Le retour de la vie à la poussière, Hugues Reip l’illustre avec Black Sheeps, une installation formée de moutons résidus d’aspirateur retenus par des fils.
Toujours des fils chez Pierre-Alexandre Savriacouty qui s’inspire des Parques Greques qui règnent sur le destin des humains.
Et c’est sur l’opus 77 de Haydn que le Professeur suicide d’Alain Séchas, pique sa tête de baudruche devant cinq élèves ballons. Une fin ridicule et radicale qui s’inscrit dans les années 90 marquées par effervescence de l’art vidéo et les suicides collectifs des adeptes de la secte de l’Ordre du temple solaire.
À découvrir le 16 septembre lors de la réouverture de l’exposition reportée pour cause de Covid 19. Farce macabre.
Léonore Cottrant
Le Cabaret du Néant l’art du Rien
Le Cabaret du Néant
Parc culturel de rentilly – Michel Chartier / frac-ile-de-france, le château
Domaine de Rentilly
1, rue de l’Étang
77 600 BUSSY-SAINT-MARTIN
http://fraciledefrance.com
http://parcultutelcrentilly.fr
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