La soustraction des possibles Joseph Incardona : l’homme avide

La soustraction des possibles Joseph Incardona : l'homme avide

La soustraction des possibles de Joseph Incardona : l’homme avide est un thriller magistral et désespérant qui dresse, à travers des femmes fortes et sombres, le portrait d’une époque, celle des golden boys et du fric chic et facile. Ce roman sur l’avidité s’insinue dans notre quotidien. Il laisse l’empreinte brûlante d’une interrogation sur la nature humaine.

2020 l’année ((fantasmée) du Post. Le confinement dû au Covid 19 avive une conscience écolo post-consumériste solidaire et en quête de sens. Le monde d’après, le post fric, la sortie de la mondialisation malheureuse se précisent devisent les Bienveillants.

Joseph Incardona plante son roman 30 ans avant les ravages du libéralisme débridé et de sa (timide mais progressive) remise en question.

Un livre et une époque

Nous sommes en 1989 à Genève qui célèbre une décennie de thatchéro-reaganisme. L’idéologie des Chicago boys a rempli les poches et les esprits d’une minorité de Golden boys. Et, même si elle n’en a pas, pour la majorité le fric c’est chic. Il faut vivre vite et cher car plus la vie avance plus l’espace des choix se rétrécit c’est “La soustraction des possibles”.
À Genève, à Zurich, les banquiers blanchissent sans poser de questions. Joseph Incardona a été l’élève de Jean Ziegler le pourfendeur des paradis fiscaux. Les mécanismes, les protagonistes de l’optimisation X délocalisation fiscales, les mutations de l’argent du crime ont, pour lui, la transparence d’un lagon des Bahamas.

Svetlana, l’une des femmes clefs du roman, reflète l’époque. Brillante, la jeune femme originaire de l’Est est Fondée de pouvoir d’une grande banque et attend une promotion. Pion-soldat du système c’est sans scrupules qu’elle accepte la proposition d’arnaque de son supérieur Elle y gagnera, pense-t-elle, plus de confort, plus de pouvoir et un avenir de rêve pour sa petite fille.

Aldo est prof de tennis. En extra, il tire des balles de service tarifées dans le lit de ses riches clientes dont Odile. Odile, femme d’ingénieur converti au négoce des OGM, s’ennuie placidement . Emma Bovary du Léman, elle ouvre à son Aldo les portes de la finance suisse blanchiment et grand banditisme inclus.

Lors d’une livraison d’argent -très sale et très dangereux- à blanchir Aldo rencontre Svetlana. Amour fou et fatal. Ils tentent de doubler les banquiers maffieux. Un gros coup pour ne plus être des petits. Pari fou et fatal.

Personnage féminins forts et sombres

La souscription des possibles fait la part belle aux personnages féminins forts
Loin des mères courage, des modèles de compassion ou de générosité, des héroïnes de bonnes causes, les femmes d’Incardona sont des very bad girls.
Elles arnaquent, elles tuent, elles torturent Le goût du pouvoir et de l’argent les animent comme les habitent l’amour, l’art et les livres.

Il y a Svetlana qui va sauter avec le Diable.
Il y a Julia épouse du boss de la jeune Tchèque. Fine stratège elle est aussi une critique d’art internationalement reconnue qui voue un amour surprenant à un époux disgracieux. Le goût des jeux dangereux et de l’art les soudent.
Et puis il y a Mimi Leone. Veuve d’un grand amour, mère d’une petite fille trisomique Mimi est aussi une Cheffe de mafia corse qui dessoude tout ce qui entrave ses affaires. Sèche, la peau tirée sur les os, la Corse se soigne au jogging et aux livres Elle partage avec Julia l’amour des toiles (celles qui évoquent les livres). Un penchant qui scelle l’alliance des deux femmes dans un magistral coup d’arnaque. Les gros en sortiront encore plus gros et tant pis pour les petits poissons.
L’avidité, le fric, le toujours plus est un art de vivre, un jeu esthétique pour l’une, une manière de servir l’honneur et l’empire du clan pour l’autre.

Genève – Colombie- Lyon- Corse : le monde comme scène de crime

Mimi en “voyage d’affaires” à Genève découvre Ramuz et sa vie alpine pre-gentrification. L’occasion pour Incardona de raconter sa ville. Une ville ou il a grandi entre commerces et industries. Une ville populaire et vivante aujourd’hui vitrifiée en hôtels et en façades de luxe.
Genève comme les femmes est un personnage fort et singulier. L’auteur la décrit en city guide des villas ultra luxueuses à l’abri sur les collines aux banlieues ignorées par la jet set internationale.
Y cohabitent des banquiers et des avocats véreux, des bandits de l’Est, des célébrités, des serviteurs venus des quatre coins du monde, des SDF et des toxico.

Si Genève est le point de confluence des passions et des crimes, d’autres lieux peuplent le livre.
Lyon où l’avidité se cache derrière les murs patrimoniaux de demeures cossues ou bien s’affiche dans les cités au cosmopolitisme sauvageon.
La Corse du clan Leone avec la mer, les terres et les bêtes. Incardona y donne une sorte de pastorale du flingue.
La Colombie des Narcos dont la blanche gangrène toutes les strates de l’économie mondiale.

Narration intrusive et digressions

Joseph Incardona profite de cette scène de crime mondiale pour digresser avec un rien de sadisme. Il arrête le récit en pleine action nous prenant en otage, nous maintenant sous haute tension. D’écrivain il se fait prof ou journaliste pour décrire la globalisation de la misère et des violences.
L’auteur retrace l’histoire des banques suisses et de trace leurs dérives.

Des parenthèses s’ouvrent et se referment sur une planète où tout s’achète.
La drogue des narco consommée pure, blanchie dans les jeux, l’immobilier, les actifs variés des banques ou recyclée en bourse par les traders “assistés par ordinateur. Le web va révolutionner les vies. Il y a eu le feu et la roue. maintenant il y a le web assène Joseph Incardona.
Avec l’effondrement du bloc soviétique, les femmes partent vers des enfers peints en paradis par la pub et les trafiquants de chair. À la puissance de ses héroïnes Incardona oppose la zombification des filles de l’Est. Des adolescentes que l’on brise avant d’en faire des instruments de plaisir. Mimi Léone va d’ailleurs recruter un commando de ce nec plus ultra du désir. Mais il n’y aura jamais assez d’hommes à tuer pour qu’elles retrouvent la paix estime Mimi-Incardona.

Il y a décidément beaucoup de Joseph Incardona dans Mimi Leone.

Amateur de digressions géo-politiques, l’écrivain intervient par ailleurs directement dans le récit. il interpelle le lecteur, lui demande son avis, donne le sien.

Ces ponctuations intrusives côtoient des phrase brèves, presque des haikus, des descriptions précises très documentées de paysages, d’événements, d’atmosphères comme de psychés.

La soustraction des possibles n’est pas un libre anodin. Il nous accompagne longtemps et presque partout. On ne regarde plus les pubs du groupe HSBC – très impliqué dans le blanchiment du narco trafic- de la même manière. On s’interroge sur la provenance de l’argent du distributeur. Espion de nos gestes, ce thriller puissant impacte notre esprit. L’avidité des Gafam a succédé à celle des Golden boys des 80es. L’Homme peut-il lui échapper ou est-elle inscrite dans sa nature ?

Léonore Cottrant

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La soustraction des possibles
Joseph Incardona
Éditions Finitude
https://www.finitude.fr/

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