Racines voraces foot et cartels de la mort

Racines voraces foot et cartels de la mort .Dans ce premier roman Sylvain Estibal livre le combat épique d’une mère dont la fille a été kidnappée par les narco trafiquants dans le silence de l’État mexicain. Seul espoir : Lionel Messi. Un récit parfois insoutenable sur la douleur et les pratiques mafieuses, un document sur la complaisance d’État autant qu’une illustration de la puissance du foot. Bienvenue en enfer.

La soirée commence bien pour Lucia, 14 ans. Toute pimpante dans son maillot Lionel Messi, son idole, elle va rejoindre les amis de son club de foot pour suivre un match du Barça. Mais à une station essence tout bascule. Lucia est enlevée par des ados de son âge ou presque. De jeunes apprentis mafieux qui espèrent une vie plus facile. Des malhabiles, des hésitants. “Des pauvres qui se sont entredévorés pour posséder aux aussi quelques miettes du grand festin”. Si Messi gagne le match je te relâche lance à Lucia celui qui va commettre son premier crime au couteau. Car Messi va perdre la demi-finale de la ligue des champions. Deux jours plus tard Bianca, sa mère reçoit un appel des ravisseurs réclamant 3 500 dollars. Elle paie puis, plus rien. Silence côté ravisseurs. Déni et conseils de deuil, de résignation côté autorités.

Mères contre cartels

Bianca c’est un peu une Mère extrême de la place de Mai, ces femmes qui cherchaient leur enfants disparus durant la dictature argentine (1976-1983). Elle refuse d’obéir, de se résigner, s’engage dans une quête presque mystique. On la désigne comme folle. Elle persiste secondée par un photographe. En cherchant sa fille, elle découvre les autres. Début 2022 ils étaient environ 100 000. Des hommes, des étudiants et de jeunes femmes prises dans la spirale de la traite d’êtres humains. Sylvain Estibal, ancien journaliste de l’AFP à Mexico, s’est inspiré de ces disparitions. Ainsi que de l’inertie du pouvoir que l’on dIt gangrené par les cartels. Et sans doute de ces femmes qui s’opposent au pouvoir et cherchent leurs enfants dans des charniers. À cet égard le roman est une enquête-portrait à peine romancée sur leur combat.

Les charniers du Mexique : des terres voraces

Mais il y ajoute une poésie noire servie par une langue précise qui rend la lecture parfois difficilement supportable. À la mesure de la douleur de Bianca, caissière et mère de deux enfants dont Lucia. Une douleur qui la transcende et lui apporte le courage d’affronter les terres voraces, ces charniers qui peuplent le Mexique.

Ils rappellent ceux de Katyn, de Srebrenica ou encore ceux des Hutus. “La fosse et ses cris que personne n’entend (…) La fosse que tu trouveras un jour, au fond d’une vallée. Trois corps aux mains ficelées, pourrissent ensemble dans de grands sacs plastiques. Tes premiers corps”. Bianca teste tel un sourcier cherchant non pas l’eau mais la mort. Avec une tige. Elle la plonge à profondeur de cadavre puis la remonte. Si aucune odeur de putréfaction ne se dégage elle poursuit son chemin. Sinon elle creuse.

Souvent elle trouve des os qu’elle rapporte et consigne dans son garage. Un ossuaire, un temple d’ex voto, un endroit de mémoire pour les défunts disparus.

Messi ou la puissance du foot

Les autorités ne bougent pas car les moyens sont maigres, les cartels infiltrent et intimident. Une terreur parfois brute parfois sophistiquée toujours théâtrale. “On a vu rouler sur la piste de danse d’une discothèque bondée quatre têtes aux affreuses grimaces, au yeux exorbités aux lèvres tranchées (….) On a vu rouler un jour sur une place publique un ballon de football qui horrifiait les passants. La peau d’un visage avait été cousue dessus”.

Impact garanti. Car au Mexique comme ailleurs le foot est indéniablement roi. Et Lionel Messi est son pape. Touché par le récit de Bianca, le footballeur star lui écrit. La lettre sera publiée dans les journaux. Alors tout change. Tout d’abord la disparition de Lucia est réellement examinée. Ensuite des moyens sont mis en ouvre. Enfin l’affaire devient nationale. Et avec elle celle de milliers d’autres disparus. Mais en guise de happy end c’est une photo luminescente que capturera le photographe qui enquête aux côtés de Bianca.

Un “futur prédicatoire” tel un oracle noir

La langue de Sylvain Estibal a la précision d’un entomologiste croisée à celle d’un médecin légiste. De l’économie des mots il se dégage aussi une puissance noire. Tandis que le style alternant présent descriptif et une sorte de “futur prédicatoire” sonne comme un oracle implacable. Tout est écrit déjà alors le lecteur ne peut que tourner, impuissant, les pages d’une histoire de la terreur et d’une géographie de la douleur.

INFOS

Racines voraces

Sylvain Estibal

Editions Actes Sud 2022 https://www.actes-sud.fr/

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