Frank Horvat pose son regard sur la mode et le photoreportage au Jeu de Paume
Frank Horvat pose son regard sur la mode et le photoreportage au Jeu de Paume .Une exposition qui s’attache aux débuts de la carrière du photojournaliste et nous immerge notamment dans les bordels de Paris et de Calcutta comme dans le luxe couture en créant des ambiances décalées ou déstabilisantes. Avec deux constantes : approcher l’intime et le restituer à travers le regard.
Le regard du moins connu des photographes célèbres
C’est un peu « le moins connu des photographes célèbres » qui nait en 1928 à Abbazia (Italie) et passe son enfance en Suisse pour fuir l’Allemagne nazie. Car arrivé à Paris, Frank Horvat va côtoyer les plus grands de son époque et devenir l’un d’eux. Irving Penn, Richard Avedon, Hiro ou encore Helmut Newton côté mode. Les stars de l’agence Magnum côté photoreportage.
Après le succès de l’exposition au Château de Tours en 2022, le Jeu de Paume organise la plus grande manifestation à Paris consacrée à Frank Horvat en France depuis sa mort en 2020.
L’exposition se concentre sur le début de la carrière de ce capteur de réalités hors normes. Plus précisément sur son travail de 1955 à 1963. La commissaire Virginie Chardin a sélectionné 170 tirages dont 70 documents d’archives. L’ensemble provient des fonds de la maison-studio du photographe à Boulogne-Billancourt avec quelques pépites jamais montrées au public.
Ligne rouge : le regard. Celui du photographe et celui de ses modèles, complices ou non. À cheval entre deux mondes, comme d’autres dont William Klein qui le guide, Frank Horvat fait cohabiter, entre le milieu des années 50 et le début des années 60, les reportages sur la prostitution et ceux sur la mode. Mais de Pigalle à la rue Cambon c’est toujours son empreinte granuleuse, son usage de la lumière naturelle, du noir et blanc de même que son approche de l’intime qui donne le clic.
Mode ou photoreportage : un photographe du regard
Ainsi l’exposition s’ouvre sur la photo d’un mannequin à la robe poudreuse et au col fleuri qui semble tout à la fois surgir et faire partie d’un ensemble gris composé de travailleurs et de de bâtiments (photo principale).
Il y a plusieurs Frank Horvat dans cette exploration des années 50-60.
Celui des tout débuts qui, admirateur de Cartier-Bresson, rêve d’intégrer Magnum. L’Œil du siècle lui conseille de roder ses sujets en prenant le large. Armé d’un Leica il construit en effet des reportages qui plonge dans l’intériorité des protagonistes.
Les regards de Lahore
Pendant son aventure au long cours Frank Horvat pose donc son regard sur des communautés alors peu connues, leurs cérémonies et leurs coutumes. Il réalise en particulier une série sur le quartier chaud de Hira Mandi à Lahore (Pakistan). Chaque année, lors d’une fête, des jeunes filles y dansent exceptionnellement dévoilées. À la une du magazine Die Woche le visage de l’une d’elles. Poings sur l’œil gauche, œil droit regard caméra. L’obsession du regard est déjà présent. Comme le thème du voyeurisme.
Toujours à Lahore on retient également le cliché où le marié découvre pour le première fois le visage de sa femme …dans un miroir.
Le Toulouse Lautrec des bordels
Revenu à Paris le photojournaliste va poursuivre son travail sur la nuit et les Red Lights. Résultat : une exploration en paparazzi anthropologue et humaniste des cafés et des hauts lieux du proxénétisme. Il filme à distance ou en travelling depuis sa voiture Pigalle, le Bois de Boulogne, la rue Saint-Denis. L’occasion parallèlement de saisir en hauteur et au téléobjectif le milieu urbain qui le fascine avec son architecture pullulant d’enseignes. Les Reds lights d’une autre consommation, celle des masses. Cet autre regard, sur la ville cette-fois, lui faudra une exposition à la Biennale de Venise.
Le plus célèbre de ses reportages sur la prostitution reste celui consacré au cabaret Le Sphinx. Dans cette commande on retrouve des scènes de danse. Mais ce qui domine dans ce ballet est encore le regard et le voyeurisme. « Les femmes sont maîtres du spectacle tandis que les hommes sont saisis dans leur désarroi. Frank Horvat capte la solitude du voyeur » souligne Virginie Chardin. La commissaire de l’exposition insiste par ailleurs sur la complicité des hôtesses.
Il y a de la pudeur, du défi et de la complicité dans ces photos. À ce titre Frank Horvat est un peu le Toulouse Lautrec des bordels même s’il n’était pas un solide pratiquant.
Mode et modèles ambassadrices
Le photographe va transposer cette collaboration au monde la la mode. Les mannequins sont, comme comme les femmes du Sphinx, des complices. Ou encore les modèles ambassadrices de son regard cette fois-ci impertinent. « Ce regard de la femme au chapeau Givenchy, quand les hommes tournent le dos en regardant un spectacle invisible, est un clin d’œil ironique à Doisneau » estime ainsi Virginie Chardin.
Outre l’iconique œil unique du mannequin au chapeau, l’exposition présente d’autres clichés cultes. Tan au Chien qui fume mais aussi Monique Dutto qui photographie le regardeur aux côtés d’autres mannequins, peut-être encore une référence au voyeurisme.
Mais le top dans l’espèce reste la photo de Coco Chanel qui espionne son défilé depuis les escaliers de la rue Cambon, siège de Chanel. `
Du Jardin des Modes à Vogue en passant par le Harper’s Bazaar, Frank Horvat imprime sa patte. Il applique à la photo de mode les techniques du photoreportage : le grain, le la lumière, les poses plus naturelles. « Dans sa série, pour le Harper’s Bazaar, les clichés penchent vraiment vers l’insolence avec également une inspiration venue du cinéma. Signe du passage des années 50 aux années 60 » poursuit la commissaire.
Les mannequins viennent de milieux artistiques notamment du cinéma. On reconnait ainsi Anna Karina, Deborah Nixon et Marcello Mastroiani, la réalisatrice Agnès Varda, ou encore la chanteuse Nico.
Essai photographique et crise existentielle
Le Jeu de Paume a choisi de clore son exposition sur un tour du monde. Entre 1962 et 1963 Frank Horvat part en effet pour le magazine Revue. Il se rend dans dans douze villes non européennes dont Calcutta, Caracas, ou encore Tokyo. Plus que jamais il poursuit ses recherches sur les variations du regard et l’intimité des corps. À Calcutta, des hôtesses dansent avec des marins presque jusqu’à l’épuisement. Il suit l’une d’entre elle.
« Le travail n’a pas été publié parce qu’il reflétait la réalité tourmentée du photographe et non la réalité du monde » explique Virginie Chardin.
Question de regard sur le monde !
INFOS
Frank Horvat Paris, le monde, la mode
Jeu de Paume https://jeudepaume.org/
Jusqu’au 17 septembre
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