Bertille Bak clichés burlesques de la mondialisation
Bertille Bak clichés burlesques de la mondialisation .L’exposition Abus de souffle au Jeu de Paume dresse une cartographie des travailleurs invisibles, de leur quotidien et de leurs rituels. Résultat : une œuvre où domine la fantaisie, de l’absurde à la poésie grinçante. Au menu : des objets faits avec des cheveux de marins ou des yeux de crevettes. On encore des films délirants comme celui d’un chœur d’hommes de soufflets à feu.
Bertille Bak est petite-fille de migrants polonais installés dans le Nord de la France. Sa migration à elle est volontaire, artistique et militante. Elle pose en effet ses valises et son regard aux quatre coins du monde ou presque pour en tirer des films et des objets qui empruntent au burlesque comme à la poésie piquante. Toujours avec l’accord et la participation des communautés. Une collaboration qui a commencé dans une cité minière du Pas-de-Calais. Cette démarche lui a notamment valu de figurer parmi les finalistes du prix Marcel Duchamp 2023.
Le jeu de Paume consacre à l’artiste multi-média une exposition composée de vidéos et d’objets. Tout ici est décalé, surprenant et relève d’un humour polymorphe.
« Bertille Bak travaille sur les fragilités sociales et économiques. Elle ajoute la fantaisie à la vie et aux rituels quotidiens. C’est la base de tout » explique la commissaire Marta Ponsa.
Abus de souffle : un air de mondialisation
L’exposition s’ouvre sur une pièce murale qui regroupe les soufflets du dernier artisan qui les produits. Au Maroc. Bertille Bak a acheté sa collection de gabarits pour attiser le feu des foyers. Pas pour orner les murs de touristes amateurs d’artisanat autochtone. Plus loin une vidéo montre le travail de l’artisan. Cette création donne son nom à l’exposition : Abus de souffle.
Les pièces offrent un tour d’horizon des pratiques dans une planète sous économie globale. « Nous avons choisi de sélectionner des œuvres qui ne résonnent pas avec le Pas-de-Calais. Une exception cependant dans la première pièce. Bertille Bak a travaillé avec des marins en escale du port de Saint-Nazaire pour concevoir notamment un ensemble de pavillons de complaisance avec leurs cheveux » poursuit Marta Ponsa. Même si l’artiste ne pratique pas la vision documentaire elle recourt à la technique du journalisme d’immersion pour gagner le confiance et rendre compte d’une réalité. Ainsi à Saint-Nazaire elle s’est faite embaucher au Seamen’s club afin de faciliter le contact. Les Complaisants, avec cette matière intime que constituent les cheveux, incarnent la mondialisation et ses travailleurs invisibles.
Tourisme ethnique : mise en scène avec exocticscore de l’authenticité
Toujours en accord avec les communautés, Bertille Bak met en scène l’absurdité consumériste du tourisme ethnique et de la quête d’authenticité. « Je ne sais pas exactement comment tout fonctionne et qui commence. Indéniablement c’est un échange. Les acteurs imaginent et proposent. Comme moi d’ailleurs. Mais je garde la main sur la technique » explique l’artiste.
Ce qui donne des films délirants au burlesque teinté parfois de dadaïsme. Notamment celui où des membres de la tribu Lanu (Thaïlande) surjouent les stéréotypes. Une sorte de exoticscore de l’authenticité indique les réactions de touristes imaginés. Ainsi que le temps d’attention, d’intérêt qu’ils portent au spectacle.
Ailleurs, plus précisément à Tétouan au Maroc, des dizaines d’hommes armés d’un soufflet à feu bougent et chantent sur un toit blanc. Un ballet racoleur au service de l’usine touristique. Un rien onirique aussi. On pense aux danses des films d’Emir Kusturica. Mais ici la poésie a un goût de satire et les communautés regorgent d’acteurs moqueurs.
Mines et crevettes : les clichés de l’usine globale
En écho au travail des mines nordistes, Bertille Bak signe une vidéo d’une grande beauté formelle où des enfants de cinq pays échappent à la mine le temps d’un jeu. De petites silhouettes glissent dans le noir du charbon (Inde), le jaune de l’or (Thaïlande), le gris de l’étain et de l’argent (Indonésie et Bolivie), le bleu du saphir (Madagascar).
Au Maroc, des décortiqueuses de crevettes pêchées aux Pays-Bas. « J’ai vu un documentaire montrant le travail de ces femmes. Ingrat, mal payé. J’en ai tiré un film participatif : Boussa from the Netherlands » se souvient Bertille Bak. « Boussa from the Netherlands » signifie bons baisers des Pays-Bas. Il montre les décortiqueuses récupérant la seule chose qui puisse l’être : les yeux. Ensuite ils sont traités pour devenir des sortes de gros grains de sable et remplir une bouteille souvenir aux couleurs du drapeau néerlandais.
L’exposition montre par ailleurs un film sur la communauté méprisée des cireurs de chaussures de La Paz (Bolivie). Avec des scènes surréalistes de chaussures tournant sur un micro onde. Et enfin « Figures imposées » un arrêt sur images sur la Maison des femmes réfugiées du Hédas (Pau / Pyrénées-Atlantiques).
Tous les films de cette Tour de Babel jouent sur les synchronisations, les montages au bruitage décalé, les effets spéciaux bidouillés, les décors improbables, les références aux jeux d’arcade (l’exoticscore de l’authenticité »). Bertille Bak est un peu le Buster Keaton ou le Charlot de la mondialisation et de ses Invisibles.
Photo principale : Usine à divertissement, 2016, Triptyque vidéo HD 16/9, couleur, son stéréo, 20 min
Courtesy de l’artiste, de la Galerie Xippas Paris, Genève et Punta del Este & de The Gallery Apart, Rome
INFOS
Abus de souffle
Bertille Bak
Jusqu’au 12 mai 2024
Jeu de Paume
1 place de la Concorde
Jardin des Tuileries, Paris 1er
Mardi : 11h – 19h30
Du mercredi au dimanche : 11h – 18h30
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