Livre L’Horloger Audiard chez les suprémacistes

Livre L’Horloger Audiard chez les suprémacistes blancs. Un polar de Jérémie Claes qui croise l’art de vivre à la française et les délires de l’idéologie trumpiste. S’il agace par ses facilités le roman surprend et retourne avec une mécanique qui distille les rebondissements.

Jacob Dreyfus infiltre l’Aryan Blood, un mouvement suprémacisme blanc américain. Résultat : l’arrestation de ses chefs, des trumpistes avérés voire plus. Une fatwa kukluklanique est lancée contre le héros. Après un attentat sanglant contre sa femme, Jacob part avec son fils et s’installe en Provence sous une nouvelle identité. Mais la vengeance court toujours et les Dreyfus meurent mystérieusement 10 ans plus tard. Le 31 décembre 2018 à minuit précisément. De manière mystérieuse et à des milliers de km de distance. Qui est derrière les exécutions ? Les suprémacistes ou un mystérieux Horloger ?

Dans L’horloger les méchants sont très très méchants et les gentils très très gentils. Une division aussi radicale dans les sous-catégories. Les méchants sont ou bien hyper stylés ou bien ridiculement rednecks cravatés avec une pointe d’esthétique trumpiste. C’est l’effet Agent Orange, le surnom de l’ancien Président amateur d’auto-bronzant pour masquer sa peau tavelée, précise l’auteur. De même les gentils sont hyper sexy ou bien méchamment ringards.

Ainsi le super gentil Jacob Dreyfus est beau, intelligent, cultivé et animé par une juste cause. Infiltrer les suprémacistes blancs pour venger ses ancêtres victimes des rafles nazies. Son protecteur lui est gras, ventru et looké plouc. Côté vilains, Scorpion le tueur star balade sa classe italienne et L’Horloger abrite sa beauté immortelle dans une “bodéga” patagonienne digne d’AD magazine. En revanche les suprémacistes combinent mauvais goût et esprit discount.

Audiard le verbe et le vin

Jacob Dreyfus devenu Cyril Buissière est exfiltré vers Gourdon, un village du Lot. L’occasion de célébrer les paysages, couleurs et odeurs comprises. Il y rencontre Lucie la lumineuse qui s’occupe des jardins du château. Mais il faut plus que cet éden provençal pour tirer Cyril de son enfer personnel. Pourtant son garde du corps Solane s’y emploie à coup de jaja millésimé, de philosophie (de comptoir ?), de punchlines et d’un vocabulaire inspiré des dialogues d’Audiard.

“Ça y est, il ferme les yeux et s’immerge à son tour dans la dégustation du nectar. C’est pas possible, c’est divin ! C’est ça, divin. Il ne croit pas au bon Dieu, Solane, il a vu trop de saloperies, il ne crois plus en l’Homme, il cultive son fond de misanthropie. Alors, qu’un mec sur sa parcelle sableuse arrive à faire pousser de la vigne qui produit des raisins qui donnent du pinard de cette envergure, ça le dépasse, mieux ça le transcende. Et en goûtant maintenant plus franchement le Rayas, il comprend de moins en moins, il s’extasie, les arômes l’envahissent, de l’écorce d’orange confite, de la mûre, de la figue même, et du tabac, tout délicat, tout subtil, et puis d’autres effluves encore, comme le vin respire, un peu de bois de santal et de vieux cuir. Solane se met d’un coup à la religion et hurle aux énormes nuages qui défilent là-haut : “Encore !”

L’Horloger Pendant l’Orage

L’auteur, Jérémie Claes, est caviste. Il distille sa science des jus dans le thriller. Du Sud de la France à la Patagonie en passant par la Moselle. Le vin, un bandol en l’occurrence, aide même Sofiane à secourir Cyril coursé par une milice.

Les dégustations se font en petit comité ou en réunion sur un air de jazz, refuge de Cyril. On feuillette les auteurs du Sud. Langueur vintage. Car la langue et le personnage central de Solane, le flic retraité, nous donnent nettement l’impression d’être immergés dans un film ou un roman de gangster des années 50-60. On soupire parfois. Solane frôle la caricature.

Trump et le complotisme général

L’Horloger de Jérémie Claes s’inscrit dans l’actualité – les présidentielles américaines de novembre 2024- et le souvenir de l’assaut du Capitol. Le portrait des suprémacistes blancs de l’Aryan Blood est terrifiant avec ses relents de III e Reich et la noirceur de ses dirigeants. Mais à ce stade on baille un peu. Rien de nouveau même si tout rappel est salutaire. Précisons toutefois que les disciples évangélistes de Trump supportent Israël donc que leur cible prioritaire n’est pas les Juifs.

Le polar se pimente quand les pseudo commanditaires se font éliminer. L’Horloger s’approche. Il dessine un complot général, un mécanisme sans âme qui séduit dirigeants comme mafieux. L’occasion d’un détour par les ors de la République et un désopilant Macron moulé dans un maillot de cycliste. Le complot est aussi un ressort facile. Mais ici il est sous-tendu par un dispositif qui fait frisonner. Le maitre des horloges est beaucoup plus glaçant que le locataire de l’Élysée.

L’Horloger la quête d’éternité

L’Horloger de Jérémie Claes orchestre ses rebondissements. Dans la sublime “bodéga” patagonienne aux caves qui regorgent du jus exquis se trame des recherches dignes des expérimentations des savants du III e Reich. Sofiane y joue les Indiana Jones. Car Jérémie Claes ne peut pas s’empêcher d’être lourd. Mais il livre aussi une version horrifique de la recherche d’éternité. Une quête aussi vieille que l’Homme, de l’Antiquité aux nazis en passant par les transhumanistes.

L’Horloger de Jérémie Claes agace par ses facilités mais maîtrise le rythme et l’art des surprises.

Crédit photo:
©Philippe Matsas / Leextra / éditions Héloïse d’Ormesson

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L’Horloger

Jérémie Claes

Éditions Héloïse d’Ormesson

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